Lyon, Théâtre
de la Croix-Rousse, samedi 10 mars 2012
Louis Gourbeix (Yassin), HamidReza Javdan (Dastaguir), Ariana Vafadari (Zaynab)
A 40 ans,
Jérôme Combier est l’un des compositeurs français les plus en vue et originaux de
la jeune génération. Cette réputation lui a valu la commande de deux opéras
qu’il a écrits en un an pour deux des institutions lyriques les plus
importantes de France, le Festival d’Aix-en-Provence, où il a donné Austerlitz d’après W. G. Sebald l’été
dernier, et l’Opéra national de Lyon, qui vient de créer, Théâtre de la
Croix-Rousse à Lyon dans le cadre de la biennale Musiques en scène, Terre et Cendres, composé sur un livret du romancier et réalisateur
afghan Atiq Rahimi. L’action, qui se déroule pendant la guerre des
indépendantistes afghans contre l’Union Soviétique, conte l’histoire d’un vieil
homme qui cherche à annoncer à son fils que tous les habitants de leur village
sont morts sous des bombardements…
HamidReza Javdan (Dastaguir) et Olivier Hernandez (Mourad)
Elève d’Emmanuel
Nunes et de Michael Levinas au Conservatoire de Paris, directeur artistique de
l’ensemble Cairn qu’il a fondé en 1997, auteur d’une thèse de doctorat consacrée
à Anton Webern, épris d’arts plastiques et de théâtre, Jérôme Combier parcourt
le monde, du Japon au Kazakhstan et l’Ouzbékistan, où il aime à se plonger dans
la collecte des musiques et cultures ethniques. Pensionnaire de la Villa
Médicis à Rome en 2005, il y compose une œuvre remarquable pour grand
orchestre, Gris Cendre, inspirée de Samuel
Beckett et créée à Lyon en 2006. « Plutôt qu’un opéra, précise Combier, j’ai
développé avec Terre et Cendres une
forme personnelle de théâtre qui alterne conte récité, brefs dialogues, chants
écrits et musique épurée percée de violents soubresauts. » Ce qui rapproche
Combier de Rahimi, qui a tiré un film de son roman dès 2004, outre l’attrait
pour l’Asie centrale, est la structure littéraire occidentale du roman mue par une
économie de moyens qui permet l’apparition fulgurante d’images, souvent
agressives parfois lyriques, comme seuls les conteurs savent en inventer.
« Je m’interroge sur l’universalité de ces drames du monde, de ces guerres
interminables, dit Combier. En quoi nous, Occidentaux bien protégés dans nos
vies, au nom de quelle universalité pouvons-nous nous ’’réclamer’’ de ces conflits
lointains ? Comme tout drame, semble-t-il, ces terribles guerres sont
fondamentalement liées à ceux qui les vivent. » L'écriture de
Rahimi, qui a réalisé pour Combier un livret à la fois abstrait et onirique,
est faite de phrases rapides, de rythmes enlevés, de mots simples qui octroient
une efficacité pathétique à la tragédie et à la douleur exprimées d’un bout à l’autre
de l’œuvre, mais aussi la narration à la seconde personne, l’évocation de la
littérature afghane. Le tout a stimulé l’imaginaire du compositeur et l’a conduit
à trouver une forme spécifique à sa partition. Cette « fable à la fois
belle et violente » met en scène deux comédiens et un chanteur enfant à
qui s’ajoute un chœur mixte de six chanteurs. Fractionné en trois parties (l’attente, le doute, la dignité), Terre et Cendres
est le reflet de l’attirance de Combier pour les musiques traditionnelles qu’il
utilise néanmoins avec discrétion, insérant davantage des couleurs et des
climats que des évocations.
Julian Negulesco (le Conteur / Mirza Qadir)
Sur le
plateau du Théâtre de la Croix-Rousse, le metteur en scène Yoshi Oïda a scindé l’espace
en deux. Sur les deux-tiers coté cour, un impressionnant décor de cinéma
réalisé par Tom Schenk fait de ruines, sol convulsé, véhicule carbonisé, murs
de béton explosés… Nous sommes en état de guerre, indubitablement, et les costumes,
tout aussi précis signés Richard Hudson, nous signifient que nous sommes bel et
bien en Afghanistan... Pas de place donc pour l’onirisme voulu par le
compositeur, donc, tant le cadre est hyperréaliste, allant de ce fait à l’encontre
du climat brossé par la musique. Côté jardin, un ensemble instrumental de treize
musiciens superbement tenus par des premiers pupitres de l’Orchestre de l’Opera
de Lyon, avec un accordéon dont les nostalgiques sonorités émergent de temps à
autres et qui assure l’assise harmonique, et, surtout, un zarb, instrument à percussion
de peau iranien joué à main nue dont le jeu est d’une extrême difficulté mais remarquablement
tenu par Sylvain Lemêtre, élève de celui qui introduisit l’instrument en
France, Jean-Pierre Drouet. La musique de Combier ne fait jamais redondance
avec le texte, cherchant au contraire la distanciation, sauf exception, particulièrement
lors de l’évocation des bombardements. Les musiciens de l’Opéra se sont assurément
engagés dans l’aventure qui leur a été proposée par le compositeur, avec qui
ils travaillent depuis le mois de janvier à la mise au point de leur
interprétation, certains ayant même préparé leurs propres instruments pour
réaliser plus précisément l’exécution des micro-intervalles, à l’instar du trompettiste
Pascal Geay. Parmi les instruments à percussion extra européens, un tambour
kenkeni (Afrique), un tambour malbar (réunionnais), un tambour asiatique, des gongs
chinois et thaïlandais, des congas, un tam-tam et des cymbales chinois… Combier
a ainsi universalisé son propos, portant la guerre afghane à la hauteur du
symbole de toutes les guerres. D’où le hiatus formé par la mise en scène d’Oïda
trop marquée par le film de Rahimi et qui, de ce fait, plonge de façon trop affirmée
dans les paysages et les êtres afghans. Autre problème, le chœur des ombres
souhaité par Combier mais qui, dans le spectacle, n’a rien d’une ombre tant il est
présent, au point de gêner lorsqu’il est inoccupé et statique, se contentant d’assister
passivement à l’action.
HamidReza Javdan (Dastaguir)
Néanmoins, ce
réalisme excessif n’affecte en rien la musique, qui incite au contraire à l’introspection,
et il convient de saluer l’excellence de la distribution, avec deux remarquables
comédiens, Julian Negulesco, à la fois commentateur et acteur du drame puisqu’il
incarne le conteur et le marchand Mirza Qadir, et, surtout, HamidReza Javdan,
comédien iranien, qui est ici le grand-père Dastaguir perdu et peu courageux
qui cherche à rejoindre son fils accompagné de son petit-fils devenu sourd pendant
le bombardement de leur village au cours duquel tout les villageois sont morts à
l’instar du reste de la famille. Mais veut-il vraiment retrouver son fils, puisqu’il
évoque toutes sortes de raisons pour ne pas se rendre à la mine où il travaille
au loin. Un troisième comédien, Juan Carlos Benitez, est plus effacé, campant un
gardien qui nettoie sans cesse une kalachnikov et que Dastaguir a chargé de lui
trouver un véhicule de passage qui puisse le conduire auprès de son fils. Un
regret pourtant, les trois comédiens sont munis de micros, ce qui hypertrophie
leur présence, qui perd ainsi en naturel. Un grand moment dans le récit d’onirisme
lorsque le conteur dit du fond du plateau d’une voix emplie d’émotion un
magnifique poème épique du XIe siècle en langue persane.
Julian Negulesco (le Conteur / Mirza Qadir)
Les rôles chantés
appartiennent à un autre monde, déconnecté de la tragique réalité. Tout d'abord
le petit-fils, Yassin, campé par un émouvant enfant de la Maîtrise de l’Opéra
de Lyon, Louis Gourbeix. S’il s’exprime par le chant c’est parce qu’il est
engoncé dans sa solitude de sourd, au point de penser que la guerre a fait
perdre à tout le monde ses cordes vocales. La voix de soprano pleine mais
fragile et aux intonations peu sûres rend plus prégnant le cauchemar vécu par
ce petit être innocent. Six autres chanteurs (trois femmes et trois hommes)
forment un chœur d’où sortent trois solistes, le fils Mourad, à qui Dastaguir
ne cesse de songer en quête de la façon dont il pourrait annoncer la mort de sa
mère, de sa femme et de ses deux autres enfants, campé par le solide ténor
Olivier Hernandez, mais aussi deux figures de femmes, les mezzo-soprano Sarah
Breton en Mahro, l’épouse morte de Dastaguir, et Ariana Vafadari en Zaynad, sa
belle-fille qui s’est jetée nue dans les flammes du hammam où elle prenait son
bain au moment où les bombes sont tombées.
Bruno Serrou
Jusqu’au 21
mars. Théâtre de la
Croix Rousse, 04.72.07.49.49, www.croix-rousse.com. Rés. : Opéra de Lyon, 0.826.305.325, www.opera-lyon.com ;
Festival Musiques en scène, www.2012.bmes-lyon.fr
Crédit photos : (c) Opéra national de Lyon
Crédit photos : (c) Opéra national de Lyon
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