Bruxelles. Palais de La Monnaie, Tour et Taxis. Jeudi
24 mars 2016
Hector Berlioz (1803-1869), Béatrice et Bénédict. Photo : ©B.Uhlig / La Monnaie
Soirée de grande émotion
jeudi 25 mars à Bruxelles. Le Théâtre de La Monnaie, sous le chapiteau
provisoire qu’il a acquis pour la durée des travaux de sa salle, a donné une engageante
production de Béatrice et Bénédict de
Berlioz précédée d’une minute de silence et de l’hymne national belge, la Brabançonne.
Hector Berlioz (1803-1869), Béatrice et Bénédict. Stéphanie d'Oustrac (Béatrice), Anne-Catherine Gillet (Héro). Photo : ©B.Uhlig / La Monnaie
Production
engageante parce que les répétitions ont été interrompues avant la pré-générale
en raison du deuil national qui a suivi les attentats de mardi 22 mars. Si bien
que la première de Béatrice et Bénédict
de Berlioz s’est présentée comme une générale. Mais, il faut se féliciter de la
décision prise par Peter de Caluwe, directeur de La Monnaie, qui a opportunément
rappelé que seule la Culture aura raison de la barbarie. Un poignant hommage a suivi
sa déclaration avant la représentation : une minute de silence avant une Brabançonne jouée avec foi par
l’Orchestre de La Monnaie. Sous le choc du traumatisme des terrifiants
événements du 22 mars et avec une tangible émotion, le Théâtre de La Monnaie,
en travaux jusqu’en novembre, a inauguré la salle provisoire du Palais de La
Monnaie, chapiteau établi sur le site industriel Tour & Taxis.
Hector Berlioz (1803-1869), Béatrice et Bénédict. Photo : ©B.Uhlig / La Monnaie
Un
poignant hommage a précédé la première de Béatrice
et Bénédict de Berlioz, à Bruxelles, une minute de silence en hommage aux
victimes des attentats de mardi suivie d’une exécution de la Brabançonne, l’hymne national belge, jouée avec cœur par
l’Orchestre du Théâtre de la Monnaie. C’est en effet sous le choc des attentats
de mardi 22 mars et d’une palpable émotion que le Théâtre de la Monnaie de
Bruxelles a inauguré la salle provisoire du Palais de la Monnaie, chapiteau
planté sur l’ancien site industriel Tour & Taxis où vient de s’installer
l’Opéra de Bruxelles, fermé pour travaux jusqu’en novembre prochain. « Malgré
le coût de la structure, convenait Peter de Caluwe, cette solution épisodique
est amplement préférable à la fermeture pure et simple de l’Opéra de Bruxelles,
qui aurait engendré la déprogrammation de productions déjà engagées, et la mise
à pied du personnel. » Et peut-être bien plus, considérant les difficultés
des institutions culturelles fédérales belges dues pour l’essentiel aux baisses
drastiques des subventions.
Hector Berlioz (1803-1869), Béatrice et Bénédict. Stéphanie d'Oustrac (Béatrice), Julien Dran (Bénédict). Photo : ©B.Uhlig / La Monnaie
L’œuvre
choisie pour cette ouverture, Béatrice et
Bénédict d’Hector Berlioz originellement prévue pour le Théâtre de la
Monnaie intra-muros, s’est présentée jeudi comme un véritable antidote à la
barbarie, grâce à ses atouts à mêle de susciter le sourire et faire oublier
l’espace d’une heure quarante aux Bruxellois la terreur dont la capitale belge
a été victime deux jours plus tôt. Cet opéra comique en deux actes est en effet
une œuvre de divertissement à l’optimisme conquérant entreprise après la
tragédie des Troyens dont la genèse
avait épuisé Berlioz, qui, cette fois, a conçu un ouvrage empli d’avenantes mélodies
et de numéros musicaux d’une extrême beauté.
Hector Berlioz (1803-1869), Béatrice et Bénédict. Anne-Catherine Gillet (Héro), Etienne Dupuis (Claudio). Photo : ©B.Uhlig / La Monnaie
C’est un
exercice de haute voltige auquel n’a pas hésité à se livrer la production bruxelloise
en donnant au public un travail qu’elle n’a pu peaufiner en raison des
tragiques événements qui ont empêché la réalisation des pré-générale et
générale. L’Opéra de Bruxelles n’a pas voulu reporter le rendez-vous de la
première. C’est donc une véritable prouesse qui a été réalisée, puisque rien
n’a transparu, la soirée étant un quasi sans faute, malgré tandis les
hélicoptères qui ont survolé le chapiteau du Palais de la Monnaie, couvrant
parfois les voix des chanteurs et comédiens, et quelques raccords s’avérant peut-être
nécessaires pour les représentations qui vont suivre.
Hector Berlioz (1803-1869), Béatrice et Bénédict. Stéphanie d'Oustrac (Béatrice), Anne-Catherine Gillet (Héro), Eve-Maud Hubeaux (Ursule). Photo : ©B.Uhlig / La Monnaie
Œuvre rare
à la scène, ne serait-ce que pour d’évidentes difficultés de représentation,
Berlioz ayant façonné dans cette ultime partition opératique non pas une œuvre théâtrale
mais une synthèse de son art et de ses exigences de musicien épris de
Shakespeare, au risque-même de l’impossible réalisation à la scène. Cela malgré
une intrigue plutôt limpide, la pièce de Shakespeare adaptée par Berlioz, Beaucoup de bruit pour rien, dont l’action
se déroule au XVIe siècle dans la ville sicilienne de Syracuse,
contant deux histoires d’amour parallèles, l’une finissant mieux que l’autre.
Richard Brunel, directeur de la Comédie de Valence qui a enthousiasmé le public
lyonnais la semaine dernière avec la reprise de sa production du Kaiser von Atlantis de Viktor Ullmann
(voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2016/03/retour-lyon-de-lexcellente-production.html),
a réactualisé avec tact - abstraction faite d’injures un brin triviales et de
crachats dignes du 9-3 ou de Villeurbanne -, les textes parlés écrits par
Berlioz en retournant aux sources de Shakespeare dans une nouvelle traduction
française. Le directeur de la Comédie de Valence signe de nouveau une mise en
scène mobile et fraîche, cette fois dans un décor un peu fatras mais plastiquement
réussi d’Anouk Dell’Aiera dominé par une chaire d’église imposante et au
plafond éclaté où pendent des rameaux tandis que le printemps jaillit de
l’arrière-scène. Dans la fosse peu profonde du Palais de La Monnaie, Jérémie
Rohrer dirige avec onirisme et beaucoup de sensibilité un Orchestre de la
Monnaie fluide et aux textures le plus souvent cristallines.
Hector Berlioz (1803-1869), Béatrice et Bénédict. Photo : ©B.Uhlig / La Monnaie
La distribution
est dominée par les femmes, Stéphanie d’Oustrac campant une éblouissante
Béatrice, qui s’impose dans sa belle aria
« Dieu que viens-je d'entendre ? », Anne-Catherine Gillet est une radieuse Héro, et Eve-Maud
Hubeaux une généreuse Ursule. Toutes trois offrent des moments enchanteurs,
comme le sublime duo Ursule/Héro qui conclut le premier acte et le trio du
second acte. L'ensemble de la distribution est des plus méritantes, avec Julien Dran, Bénédict ébaubi à la voix
claire, Etienne Dupuis (Claudio),
Frédéric Caton (Don Pedro), et
Lionel Lhote, qui incarne un maître de chapelle plutôt sobre, tandis que
le chœur de de La Monnaie est excellent. Il convient bien sûr d'associer les comédiens, Pierre Barrat (Lonato) et Sébastien Dutrieux (Don Juan).
Bruno
Serrou