Paris, Eglise Saint-Merry, vendredi 27 avril 2012
Photo : (c) Gilles Pouëssel
A Paris, la création musicale
contemporaine emprunte de multiples voies pour toucher un public qui, s’avère beaucoup
plus large et bigarré que ce que les
édiles, décideurs et médias laissent sournoisement entendre. Entre l’Ircam et l’Ensemble
Intercontemporain, parmi les plus soutenus, et l’ensemble 2e2m à la périphérie
parisienne, il existe des chemins souvent originaux, qui sont dirigés par de
jeunes mélomanes entreprenants conquis et convaincus du rôle et de la place
importante de la musique de leur temps et qui font tout ce qu’ils peuvent pour
que celle-ci touche à son tour les oreilles de l’âge des leurs. Ainsi le
Cabaret contemporain, qui va au-devant d’une écoute potentielle de la jeunesse
en investissant les lieux où ils aiment à se retrouver, ou bien encore les
Rendez-vous Contemporains de Saint-Merry, église des XVIe-XVIIe siècle située au
plein cœur de Paris, derrière l’Ircam, qui accueillent le vendredi pour une
somme dérisoire un public jeune et particulièrement à l’écoute dans une
acoustique précise mais dans une température quasi-polaire pour des concerts de
musiciens en début de carrière dans des programmes de musique de notre temps, expérimentale,
écrite ou improvisée.
Le « Rendez-vous » d’hier
soir donnait carte blanche à une paire de jeunes musiciennes japonaises, la
percussionniste Akino Kamiya et la pianiste Yoko Kojiri, qui constituent le Duo
L’iris, toutes deux originaires de la région d’Aichi et diplômées du
Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, où elles se
sont rencontrées en 2008. Dans un programme monographique consacré à Philippe
Hurel réunissant quatre œuvres composées entre 1997 et 2009, elles ont choisi deux
pièces pour le propre instrumentarium et deux partitions pour ensembles pour
lesquelles elles ont convié six de leurs amis musiciens ainsi que le
compositeur pour qu’il les dirige en personne.
Proposés en ouverture de chacune des deux parties du concert, un duo et un solo ont précédé une pièce d’ensemble. C’est avec Tombeau composé en 1999 à la mémoire du compositeur Gérard Grisey (1946-1998), qui fut un proche de Philippe Hurel, qui programme régulièrement ses œuvres dans les saisons de son propre ensemble Court-Circuit, que le concert a débuté. Cette œuvre d’une douzaine de minutes créée au Shizuoka Hall au Japon le 17 novembre 1999 par deux Japonais, Hiromi Okada (piano) et Hikaru Matsukura (percussion), a été conçue sous le choc de la mort brutale du compositeur Gérard Grisey, annoncée au petit matin gris d’un triste 11 novembre. Comme dans les trois autres œuvres du concert, Hurel alterne deux mouvements vifs aux couleurs scintillantes exaltées par crotales, cloches de vache et sept gongs thaïlandais de toute taille encadrant un émouvant passage d’une douce et tendre mélancolie. « La pièce prit rapidement l'allure d'un rituel, rappelle Hurel dans un texte accompagnant l’enregistrement de l’œuvre paru chez Aeon, et le vibraphoniste se vit attribuer de nombreux instruments supplémentaires comme les cloches de vache, les gongs thaïlandais, les crotales, le tambour de boisé, autant de moyens pour "perturber" le piano sans le désaccorder (contrairement à ce qu)’avait fait Grisey (dans Vortex temporum). Pour la première fois, ma musique ne sera pas objective. J'ai eu une grande difficulté à en calculer le matériau et mon abandon par instant à l'intuition la plus complète n'aurait peut-être pas plu à son dédicataire. Pourtant, c'est bien l'esprit de Gérard qui règne dans cette pièce, elle n'aurait pu se faire sans lui. » Composé en 1997 … à mesure est un sextuor pour piano, flûte, clarinette, violon, violoncelle et vibraphone de treize minutes. Il s’agit d’une œuvre dynamique à la pulsation ferme et décidée, aux élans jubilatoires et aux sonorités scintillantes et cristallines qui la situent dans la séduction sonore de Debussy et, surtout, de Boulez. Dans cette partition qui associe les instruments par affinités de registres, la flûte avec le violon, la clarinette basse et le violoncelle, la percussion et le piano, chaque instrument du duo élargit finement les résonances de l’autre, particulièrement la percussion qui amplifie le piano, dans les deux moments extrêmes de l’œuvre, qui est scindée en son centre par une courte page d’introspection. Ce qu’a parfaitement restitué le sextuor constitué de Valentin Broucke (violon), Askar Ishangaliyev (violoncelle), Marion Constant (flûte), Hidehito Naka (clarinette) et le Duo Iris, l’ensemble étant dirigé avec une jubilation non feinte par Philippe Hurel.
Proposés en ouverture de chacune des deux parties du concert, un duo et un solo ont précédé une pièce d’ensemble. C’est avec Tombeau composé en 1999 à la mémoire du compositeur Gérard Grisey (1946-1998), qui fut un proche de Philippe Hurel, qui programme régulièrement ses œuvres dans les saisons de son propre ensemble Court-Circuit, que le concert a débuté. Cette œuvre d’une douzaine de minutes créée au Shizuoka Hall au Japon le 17 novembre 1999 par deux Japonais, Hiromi Okada (piano) et Hikaru Matsukura (percussion), a été conçue sous le choc de la mort brutale du compositeur Gérard Grisey, annoncée au petit matin gris d’un triste 11 novembre. Comme dans les trois autres œuvres du concert, Hurel alterne deux mouvements vifs aux couleurs scintillantes exaltées par crotales, cloches de vache et sept gongs thaïlandais de toute taille encadrant un émouvant passage d’une douce et tendre mélancolie. « La pièce prit rapidement l'allure d'un rituel, rappelle Hurel dans un texte accompagnant l’enregistrement de l’œuvre paru chez Aeon, et le vibraphoniste se vit attribuer de nombreux instruments supplémentaires comme les cloches de vache, les gongs thaïlandais, les crotales, le tambour de boisé, autant de moyens pour "perturber" le piano sans le désaccorder (contrairement à ce qu)’avait fait Grisey (dans Vortex temporum). Pour la première fois, ma musique ne sera pas objective. J'ai eu une grande difficulté à en calculer le matériau et mon abandon par instant à l'intuition la plus complète n'aurait peut-être pas plu à son dédicataire. Pourtant, c'est bien l'esprit de Gérard qui règne dans cette pièce, elle n'aurait pu se faire sans lui. » Composé en 1997 … à mesure est un sextuor pour piano, flûte, clarinette, violon, violoncelle et vibraphone de treize minutes. Il s’agit d’une œuvre dynamique à la pulsation ferme et décidée, aux élans jubilatoires et aux sonorités scintillantes et cristallines qui la situent dans la séduction sonore de Debussy et, surtout, de Boulez. Dans cette partition qui associe les instruments par affinités de registres, la flûte avec le violon, la clarinette basse et le violoncelle, la percussion et le piano, chaque instrument du duo élargit finement les résonances de l’autre, particulièrement la percussion qui amplifie le piano, dans les deux moments extrêmes de l’œuvre, qui est scindée en son centre par une courte page d’introspection. Ce qu’a parfaitement restitué le sextuor constitué de Valentin Broucke (violon), Askar Ishangaliyev (violoncelle), Marion Constant (flûte), Hidehito Naka (clarinette) et le Duo Iris, l’ensemble étant dirigé avec une jubilation non feinte par Philippe Hurel.
La seconde partie s’est ouverte sur
une pièce de huit minutes de 2004-2005, Loops
IV. Commande du festival Aujourd’hui Musiques de Perpignan, cette page pour
marimba solo se situe dans la continuité des solos instrumentaux que Hurel compose
sous le titre générique Loops (Boucles), à l’instar de Luciano Berio et
de ses Sequenze. Le compositeur se
fonde sur « de petits motifs rythmiques qui se répètent et se transforment
peu à peu. Ce sont des formules simples qui, par ajout ou soustraction successifs,
finissent par créer elles-mêmes de nouvelles boucles. » Akino Kamiya interprète
cette pièce non seulement avec précision mais aussi avec une richesse sonore et
un nuancier d’une amplitude impressionnante, jusqu’aux pianissimi les plus éthérés. C’est avec Interstices que s’est conclu le programme. Commande du Concours
international de piano d’Orléans 2009 et des Percussions de Strasbourg, cette
partition de quatorze minutes pour piano solo et trois percussionnistes se
situe bien au-delà d’une œuvre de circonstance. Certes, la virtuosité du piano
est grande, mais elle n’est en aucun cas gratuite, car tout ici est musique
servie par une orgie de sons, de rythmes, de couleurs et de vie, et le piano
sait à la fois s’extraire et se fondre au groupe de percussion, à la façon d’un
concerto, voire d’une pièce soliste, tant l’on est souvent surpris, au cours
des trois sections vif-lent-vif, de n’entendre qu’un seul timbre instrumental
élargi par les harmoniques de quatre résonances… Interstices est une œuvre parfaitement maîtrisée qui a tout les
atouts pour un franc succès auprès des pianistes et des percussionnistes. Sous
la direction chaloupée de l’auteur, le Duo L’iris renforcé par les
percussionnistes Sylvain Borredon et Thibault Lepri en ont tiré l’essence avec
gourmandise, délivrant une énergie qui a su réchauffer un auditoire transi de
froid dans une église de Saint-Merry ouverte à tout vent et à l’environnement
si bruyant que les cris venant à jet continu de l’extérieur se sont avérés
souvent gênants.
Bruno Serrou
1) http://rendezvouscontemporains.com