Imma Santacreu - Photo : (c) Bruno Serrou
Une
nouvelle série de concerts est née à Paris cette saison sur l’initiative de la
pianiste chilo-italienne vivant en France depuis une vingtaine d’années,
Maria-Paz Santibañez. Sitôt installée dans un appartement au
rez-de-chaussée d’une petite bâtisse située dans une profonde impasse du XIe
arrondissement, la musicienne a eu l’idée d’aménager la pièce principale disposée dans
une ancienne boutique dans laquelle elle a installé son grand quart de queue
Kawaï en salle de concert de poche où peuvent prendre place une vingtaine de
personnes. En mettant à disposition deux à trois fois par mois ce lieu magique et
extraordinairement convivial à la disposition de ses collègues, la délicieuse
hôtesse peut accueillir de jeunes musiciens qui souhaitent rôder leurs programmes,
souvent ambitieux et complexes, en vue de concours, tournées ou enregistrements. Ainsi, dimanche 1er avril, la flûtiste taïwanaise Phoebe Chengjou Hsieh, accompagnée
de son compatriote pianiste Yun-Yang Lee et du guitariste guatémaltèque Luis
Juárez Quixtán, également compositeur, arrangeur et improvisateur, qui termine
en ce moment son cursus de l’Ecole normale de musique, a proposé un programme
original consacré à son instrument couvrant le XXe siècle.
Autour du célèbre Syrinx pour flûte
seule que Claude Debussy a composé en 1913, la jeune Hsieh a proposé la Sonatine de 1916 de Pierre Sancan dans
sa version pour flûte et piano, la charmante Ballade pour flûte et piano
(1939) de Frank Martin, l'onirique Merle
noir pour flûte et piano (1952), l’œuvre de musique de chambre la plus courte d’Olivier Messiaen
qui préfigure plusieurs partitions inspirées du chant des oiseaux, et deux
pièces pour flûte et guitare du compositeur bandonéoniste argentin Astor
Piazzolla, Café 1930 et Night-club 1960. Remarquablement
entourée par un pianiste particulièrement à l’écoute de
sa comparse, et par un excellent guitariste aux doigts onctueux exaltant des
timbres à l’éclat singulier, la flûtiste taïwanaise ne s’est pas montrée à la
hauteur de son programme, exposant des sonorités étriquées, un jeu contraint et
une prestance comme tétanisée par le stress. Pour juger de ses aptitudes,
il faudrait d’abord qu’elle s’aguerrisse en ciselant davantage son programme et
en travaillant son appréhension du public. Son manque de préparation est apparu
d’autant plus prégnant que ses partenaires de musique de chambre entendus
là ses côtés se sont avérés excellents, particulièrement le guitariste, à
suivre.
Toute
autre a été la prestation d’Imma Santacreu, le soir du Samedi-Saint. Cette
jeune pianiste catalane a le talent ensoleillé. Après de brillantes études au
Conservatoire de Barcelone, elle a été l’élève à Paris de Pierre Réach et
Françoise Thinat, avant de suivre des master-classes de Marie-Françoise Bucquet
et Ian Pace, entre autres. Installée à Paris depuis 2002, elle enseigne au
Conservatoire Henri Dutilleux de Maisons-Alfort et collabore avec de nombreux
compositeurs, tels David Padrós, Jörg Widmann et Hèctor Parra. De ce dernier, elle a
enregistré le CD l’Aube assaillie en
2006 et Intérieur Voix pour l’Atelier
de Création radiophonique de France Culture diffusé en 2011. Elle a également
participé à la création de l’opéra Hamadoun
de Guy Reibel en 2010. C’est dire combien cette musicienne au jeu généreux et
au toucher aérien qui exaltent des couleurs étincelantes et charnelles est
engagée dans la musique de notre temps.
Ce
qui frappe dès les premiers instants de sa prestation de samedi, c’est son jeu délicat
et sûr, la position des mains et des bras qui ne sont pas sans rapports avec
les préconisations de Marguerite Long, coudes serrés contre le corps, poignets
hauts, doigts arqués quasi à angle droit sur le clavier, options aujourd’hui
décommandées mais qui ne contraignent en rien le jeu de cette superbe pianiste
étonnamment délié et assuré, malgré de petites mains et des doigts plutôt
courts et graciles qui ne contraignent pourtant en rien un nuancier d’une
ampleur considérable qui lui permet d’interpréter un vaste répertoire. C’est en
tout cas ce qu’Imma Santacreu a pu démontrer dans un programme couvrant l'ensemble du
XXe siècle, depuis la Catalogne jusqu'aux Etats-Unis, en passant par la France
et l’Autriche.
Davantage
dans l’esprit de sa compatriote Alicia de Larrocha que dans celui du Français
Jean-François Heisser, les trois pages extraites des Danzas españolas
que le Catalan Enrique Granados (1867-1916) a composées entre 1892 et 1900 ont
séduit par le toucher aérien et la souplesse rythmique de la pianiste, à
l’instar des quatre pièces tirées des Impressions
intimes (1911-1914) d’un autre Catalan, Federico Mompou (1893-1987), les
deux premières aux élans romantiques, les deux dernières proches de Debussy, particulièrement
l’andante Pájaro Triste (Oiseau triste). C’est d’ailleurs sur le
premier des deux Livres d’Images (1905)
de Claude Debussy (1862-1918) que s’est achevée la première partie du
programme. Imma Santacreu y a affirmé sa grande capacité aux contrastes, bien
qu’un peu crispée au début de Reflets
dans l’eau, mais prenant rapidement la mesure de cette pièce avec son
toucher liquide pour une interprétation frémissante de sensualité et de rêverie,
à l’instar de l’Hommage à Rameau, sobre et inaltérable, et,
surtout de Mouvement, où le fantasque
et la précision requis par le compositeur dans ce mouvement perpétuel plein
d’humour et de fantaisie concordent avec le jeu généreux et sans fioriture de
la pianiste, au point qu’elle a choisi de le donner en bis à la fin de son
récital.
La seconde partie du programme
s’est ouverte sur l’impressionnant mouvement unique de la Sonate op. 1 (1907-1908) d’Alban
Berg (1885-1935) que la musicienne a jouée par cœur avec tant de naturel que la
partition est apparue plus naturellement pianistique qu’elle ne l’est en vérité,
ce qui lui a permis d’exalter sans retenue le climat expressionniste et tristanien
de l’œuvre. Ce même climat porte la première des Quatre miniatures pour piano qu’Hèctor Parra (né en 1976) a
composées en 2005 dans un but pédagogique. Dans ce recueil, la mélodie est
reine mais les difficultés sont nombreuses, notamment dans la dernière aux
atours introspectifs et aux résonances debussystes. Le récital s’est achevé
sur les Trois préludes de George
Gershwin (1898-1937) publiés en 1937 dans lesquels Emma Santacreu a pu attester
de ses qualités rythmiques, malgré quelque lourdeur de la main gauche dans le
premier, et de ses affinités avec la nostalgie du jazz dans le troisième et du
blues dans le deuxième, avec, dans ces deux dernières pièces, une main gauche
grondante et ferme et une main droite claire aux détachés étincelants et
énergiques.
Bruno Serrou
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