Amphithéâtre de l’Opéra Bastille, jeudi 5 avril 2012
Rachid Safir - Photo : (c) Xavier Zimbardo Mo
Gilbert Amy est de la génération qui
suit immédiatement celle de Pierre Boulez, Luciano Berio, Luigi Nono et
Karlheinz Stockhausen. Il a d’ailleurs succédé au premier de ces aînés à la
tête du Domaine Musical lorsque ce dernier décida de quitter la France à la
suite de désaccords avec André Malraux, alors ministre de la Culture. Né en 1936,
compositeur, chef d’orchestre, pédagogue, Gilbert Amy, par ailleurs passionné d’architecture,
est également un bâtisseur, puisqu’il a fondé en 1976 l(e Nouvel) Orchestre
Philharmonique de Radio France dont il sera le directeur artistique jusqu’en 1981,
et il a été le deuxième directeur du Conservatoire National Supérieur de Musique
et de Danse de Lyon, qu’il a animé pendant seize ans, jusqu’en 2000. Malgré ses
multiples activités, Amy reste avant tout un compositeur. Au sein d’un
catalogue riche en pièces instrumentales, de chambre, pour ensembles et pour
orchestre, la voix et le texte occupent une place privilégiée, depuis Œil de fumée en 1955 jusqu’à son opéra le Premier Cercle d’après le roman
éponyme d’Alexandre Soljenitsyne créé à l’Opéra de Lyon, son commanditaire, en
1999. Amy s’intéresse également à la musique spirituelle puisque, en 1988, il a
composé une Missa con jubilo, et, en
2005, les Litanies pour Ronchamp, cette
dernière œuvre ayant fait l’objet du concert d’hier soir dans l’Amphithéâtre de
l’Opéra Bastille (1).
Créées le 24 septembre 2005 sous la direction de Rachid Safir pour
la consécration par l’archevêque de Besançon Mgr André Lacrampe de la chapelle Notre-Dame-du-Haut
de Ronchamp en Haute-Saône bâtie entre 1950 et 1955 par Le Corbusier, les Litanies pour Ronchamp requièrent un
effectif original judicieusement adapté aux dimensions intimistes de la
chapelle de Ronchamp, puisqu’elles sont écrites pour deux chantres solistes, un
ensemble vocal de huit voix mixtes, un quatuor à cordes et percussion, et se déploient
sur quatre vingt quinze minutes. Le compositeur intègre à son rituel des antiennes
de plain-chant, de la polyphonie primitive du XIe siècle, mais aussi
des extraits du Kyrie et de l’Agnus Dei de sa propre Missa con
jubilo, et jusqu’au mouvement lent du Quatuor
à cordes n° 15 en la mineur op. 132 de Beethoven, tandis que l’œuvre se
fonde sur des textes latins de Jacques Merlo Horstius (1597-1644), du
paroissien romain et de l’hymnaire grégorien, des fragments de textes français
de l’Ancien Testament (Siracide ou Livre de l’Ecclésiastique) et de l’architecte
Le Corbusier, ainsi que sur des écrits grecs tirés de l’hymne acathiste à la Mère de Dieu. Malgré emprunts et citations, l’œuvre
n’en est pas moins singulièrement originale et personnelle, typique du style d’Amy,
à la fois rigoureux et lyrique, complexe et éminemment onirique. L’atmosphère
générale est à l’introspection, à la douleur, à la retenue, tandis que le
climat est intimiste et la musique réservée et souvent circonscrite aux limites
du silence. Le compositeur signe ici ce qui est sans doute l’une des œuvres les
plus expressément spirituelles de ce début du XXIe siècle, et l’une
de ses partitions les plus accomplies.
Fin connaisseur de la musique polyphonique
à travers les siècles, notamment religieuse, s’imposant tout autant dans le
plain-chant et la polyphonie médiévale et Renaissance que dans la création
contemporaine, extrêment exigeant envers lui-même et pointilleux dans l’exécution
des partitions qu’il défend, Rachid Safir a dirigé avec simplicité et sensibilité
son excellent ensemble Solistes XXI constitué de chanteurs tous plus remarquables
les uns que les autres (les sopranos Julie Hassler, Claudine Margely et
Maryseult Wieczorek, la mezzo-soprano Daïa Durimel, les ténors Laurent David et
Philippe Froeliger, enfin les barytons Jean-Sébastien Nicolas et
Jean-Christophe Jacques), qui ont répondu ou ponctué les extraordinaires
interventions des deux chantres solistes, la basse Emmanuel Virstorky et,
surtout, le ténor Dominique Vellard, animateur du superbe ensemble Gilles Binchois,
à la voix au grain d’une beauté exceptionnelle et d’une solidité d’airain. Le
Quatuor Parisii a joint avec allant et conviction les chaudes sonorités de ses
archets, magnifiant et soutenant avec délicatesse les interventions des
solistes et des tuttistes vocaux, à l’instar du percussionniste Abel Billard,
qui passait d’un groupe d’instruments à l’autre en restant extrêmement
concentré pour jouer une percussion toute en finesse et en nuances, n’atteignant
que rarement le mezzo-forte. Seul
infime réserve, les légers décalages perceptibles suscités occasionnellement par le second
percussionniste dans les dernières minutes, et qui était assuré par l’un
des deux ténors. A signaler la spatialisation et la scénographie conçues
autour de photographies et d’une vidéo de Jacqueline Salmon réalisées sur le
site de Ronchamp.
Un concert magnifique qui fait regretter
les trop rares apparitions sur les scènes françaises de l’ensemble Solistes XXI
de Rachid Safir qui est aujourd’hui l’un des tout meilleurs ambassadeurs de l’art
du chant polyphonique français dans le monde, toutes époques confondues, régulièrement
invité par les Festivals de Salzbourg, Lucerne, Hollande, Biennale de Venise,
Ars Musica de Bruxelles, Musica de Strasbourg, ainsi qu'à Carnegie Hall à New York, etc.
Bruno Serrou
1) Le même concert est repris le 11 mai à 20h30 en l’église Saint-Pierre-Saint-Paul
d’Ivry-sur-Seine et le 18 mai à 20h30 en la basilique Sainte-Anne d'Auray.
Devrait suivre un CD dont l’enregistrement est prévu l’été prochain sur les
lieux-mêmes de la création par le label Soupir.
Si mes souvenirs sont bons le Quatuor Parisii est familier de l’œuvre de Gilbert Amy puisqu'ils ont déjà enregistré son "Quatuor à cordes N°1" dans la collection MFA Harmonia Mundi.
RépondreSupprimerExact : CD MFA 216011.
SupprimerMême concert hier soir à Ivry : absolument magistral ! Je suis d'accord avec vous, c'est une oeuvre majeure, très impressionnante, et servie par des interprètes exceptionnels.
RépondreSupprimerVal