Paris, Amphithéâtre de la Cité de la
Musique, lundi 10 novembre 2014
Maudite soit la guerre (1914), film d'Alfred Machin (1877-1929) illustré par Olga Neuwirth (née en 1968) avec sa partition A Film Music War Requiem (2014). Photo : DR
Du 8
au 17 novembre, la Cité de la Musique et la Salle Pleyel ont présenté une deuxième
série de concerts consacrée à la guerre et à la paix dans le cadre des
célébrations du centenaire de la Guerre de 1914-1918. La veille des cérémonies du
11 novembre qui pérennisent le souvenir de la fin du même premier conflit
mondial à l’automne 1918, la Cité de la Musique, en collaboration avec l’ensemble
2e2m et Reims Scène d’Europe, a rassemblé deux créations d’œuvres nouvelles de deux
compositrices d’Europe Centrale de la même génération qui sont autant d’appels
à la paix dans un monde agressif et déshumanisé.
Marzena Komsta (née en 1970). Photo : (c) Marzena Komsta
Stelfer de Marzena Komsta
La
première pièce présentée dans le cadre intime de l’Amphithéâtre de la Cité de
la Musique, Stelfer, est de la
Polonaise vivant à Paris Marzena Komsta. Née en 1970 à Gdynia non loin de
Gdansk dans une famille de cheminots (elle a découvert la musique en jouant enfant
avec les verres des voitures restaurants où ses parents travaillaient), Marzena
Komsta a été remarquée à l’Académie Chopin de Varsovie par Witold Lutoslawski,
qui lui a attribué en 1993 une bourse personnelle et l’a recommandée à Philippe
Manoury dont elle est devenue l’élève au Conservatoire National Supérieur de Musique
et de Danse de Lyon. En 1996, elle s’est installée à Paris où elle a suivi une
formation doctorale en musique et musicologie du XXe siècle à l’IRCAM/EHESS/CNRS/Sorbonne.
En 2003, elle est lauréate de la Villa Médicis hors les murs Villa Kujoyama à
Kyoto.
Commande
de l’institut Adam Mickiewicz pour l’ensemble 2e2m, Stelfer (anagramme de Reflets)
est son vingt-troisième opus. Chose rare dans sa création, cette partition d’un
quart d’heure fait abstraction de tout élément électronique et d’informatique
en temps réel, à l’exception d’une guitare électrique au sein d'un effectif réunissant, outre cette
dernière, clarinette, trompette, trombone, percussion, violon, alto et
violoncelle. Dans cette grande variation de quinze minutes où les idées ne
cessent de se métamorphoser, « filtrées par la perception, la sensibilité,
le passé, le présent, le contexte [qui] créent un nouveau monde parallèle »
(M. Komsta), l’on retrouve l’inaltérable puissance énergétique propre à la
compositrice et la virtuosité instrumentale qui est la marque de son écriture,
avec ses flamboyances hardies non dépourvues d’âpreté et de grincements. Au
total, une œuvre qui ne laisse pas indifférent et que l’on souhaiterait pouvoir
réécouter au plus vite.
Olga Neuwirth (née en 1968). Photo : (c) Olga Neuwirth
A Film Music War Requiem d'Olga Neuwirth
Signée
Olga Neuwirth (née en 1968), la seconde pièce du concert illustre un film muet d’anticipation
de quarante-trois minutes, Maudite soit
la guerre, tourné en Belgique en 1914, quelques semaines avant le début du
conflit de 1914-1918, par le réalisateur français Alfred Machin (1877-1929). Sa
poignante et prémonitoire action évoque dans le contexte d’une
guerre entre deux puissances imaginaires, la rivalité de deux
aviateurs, et montre des batailles de biplans, triplans et dirigeables opposant
deux amis de nationalités indéfinies différentes qui s’opposent en combats
aériens. Au terme d’une poursuite au cours de laquelle l’un se réfugie dans un
moulin, ce dernier est tué par son ami-ennemi, qui, devenu officier, demandera
la main de la sœur du soldat mort. Celle-ci découvrira que son fiancé est en
fait l’assassin de son frère. Pour fuir cet amour devenu impossible, elle se
refugie dans un couvent où elle passera le restant de ses jours…
L'Ensemble 2e2m et Pierre Roullier devant le film d'Alfred Machin Maudite soit la guerre jouant la musique d'Olga Neuwirth A Film Music War Requiem. Photo : (c) Markus Sepperer
Olga Neuwirth,
dont nous avons écrit dans ce même blog voilà quelques jours tout le bien que
nous avons pensé de sa dernière création donnée le 6 novembre dans le cadre du
Festival d’Automne à Paris (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/11/antoine-tamestit-et-lalto-en-majeste-in.html),
frappe de nouveau un grand coup en livrant une partition somptueuse, dramatique
et contrastée qui en fait un troublant joyau. Passionnée de littérature, de
théâtre et de cinéma, auteur d’œuvres souvent multimédia s’appuyant sur la
vidéo, la lumière et tout dispositifs scéniques imaginables, la compositrice
autrichienne ne cherche pas dans sa nouvelle partition pour neuf
instrumentistes (clarinette, trompette, trombone, synthétiseur/échantillonneur,
percussion, guitare électrique, violon, alto, violoncelle) qu’elle a intitulée A Film Music War Requiem, à illustrer
les images d’Alfred Machin ni à les commenter, mais exprime à travers sa
musique qui prend ses distances avec ce qui est projeté en usant notamment de
citations qui surlignent le côté patrimonial de ce film centenaire et suscitent
des sourires entendus du côté du public, au risque parfois d’une objectivité
glaciale, mais exprimant de façon confondante le non-dit, la profondeur des
sentiments, la stupidité de la guerre et des hommes, la tragédie de la trahison,
renforçant les relations étroites entre sale guerre et guerre héroïque,
magnifiant la douceur de la paix et la tendresse féminine, scrutant, malgré
cette probité, jusqu’au plus profond de l’être, autant celui des personnages du
film de Machin que celui du spectateur/auditeur.
Pierre Roullier et l'Ensemble 2e2m devant le film d'Alfred Machin Maudite soit la guerre jouant la musique d'Olga Neuwirth A Film Music War Requiem. Photo : (c) Markus Sepperer
Sous
la direction concentrée de Pierre Roullier, l’Ensemble 2e2m sert avec une sensibilité
et une maîtrise instrumentale incontestable les deux œuvres, participant sans
faillir à leur dramatisation, particulièrement dans le film de Machin où les
neuf musiciens ont été autant d’acteurs de l’action.
Bruno Serrou