Paris, Salle Pleyel, mardi 25 novembre 2014
Deux
ans et demi après leur intégrale des symphonies de Beethoven, la Salle Pleyel a
reçu cette semaine Bernard Haitink et le Chamber Orchestra of Europe dans deux
programmes Brahms. L’on sait les affinités du chef hollandais avec l’œuvre de ce
dernier qu’il a très souvent dirigée à la tête de grandes phalanges comme les
Orchestres du Concertgebouw d’Amsterdam et de la Staatskapelle de Dresde, deux
formations dont il a été le patron, et Philharmonique de Berlin dont il est
membre honoraire. Ses enregistrements ont indubitablement marqué l’histoire de
l’interprétation de ces partitions.
Emanuel Ax. Photo : DR
Ce
répertoire, à l’instar de la création beethovenienne, est également familier à
cette formation chambriste d’excellence qu’est le Chamber Orchestra of Europe
créée en 1981 sous le parrainage de Claudio Abbado et constituée de
cinquante-sept musiciens, tous solistes ou membres des orchestres les plus
prestigieux venant de toute l’Europe, actuellement basée à Londres. Ce qui a
séduit Haitink, conquis par l’expérience acquise avec Beethoven à la tête de
cet ensemble, est l’occasion pour lui de renouveler à 85 ans son approche de la
somme brahmsienne, loin de l’ampleur sonore et du panel de couleurs des grandes
phalanges symphoniques qu’il a dirigées tout au long de sa carrière. Avec un
tapis de cordes passant de soixante archets à quarante, la texture de
l’orchestre de Brahms est naturellement moins charnel et sombre, mais aussi
plus aéré et lumineux, ce qui bien évidemment remet en question certitudes et clichés
quant à la surabondance de l’écriture du maître de Hambourg. De petite taille, la
stature altière, le pas léger, l’œil pétillant, le sourire aux lèvres, l’élégance
faite homme, Bernard Haitink a donné des deux œuvres programmées lundi soir à
Pleyel (il avait dirigé la veille les partitions précédentes des deux mêmes
genres), les Concerto pour piano et
orchestre n° 2 en si bémol majeur op. 83 et Symphonie n° 4 en mi mineur op. 98 des interprétations aérées et
chatoyantes avivées par une dynamique souveraine laissant percer un chant d’une
luminosité et d’une humanité transcendante.
Bernard Haitink et le Chamber Orchestra of Europe. Photo : (c) PKetterer / Lucerne Festival
Ainsi,
l’immense chef-d’œuvre qu’est le Second
concerto pour piano de Brahms a-t-il été un moment de pur bonheur musical.
Emanuel Ax s’est volontiers laissé porter au dialogue avec Haitink et le
Chamber Orchestra of Europe, chacun jouant sa partie dans un sens commun avec
une qualité d’écoute et de partage qui a suscité une musicalité tenant du
prodige. Les solistes du COE ont partagé avec le pianiste polonais un même panache
sans fioritures, particulièrement Richard Lester dans le sublime dialogue du
piano avec le violoncelle qui a irradié l’Andante
d’une brûlante cantilène, ainsi que Jasper De Waal (cor) dès l’entrée de l’Allegro initial, et tous les premiers
pupitres des bois (Clara Andraka, flûte, Kal Frömbgen, hautbois, Romain Guyot,
clarinette, Matthew Wilkie, basson). La chaleur et l’abnégation partagées qui
ont émané de cette interprétation a donné un tour classique à cette partition
qui a ainsi remarquablement préludé à la Quatrième
symphonie, sans doute la plus classique de ton et de forme de tout l’œuvre orchestral
de Brahms. La conception de Haitink, qui a magnifiquement tiré profit des
textures souples et décantées de son orchestre, a tendu vers Haydn tout en
ménageant une profonde et noble nostalgie, donnant ainsi à cette ultime
partition d’orchestre du compositeur une grandeur souveraine, apportant en
outre dans les trente-cinq variations de la chaconne finale une clarté et une
progression haletante, la flûte solo et les cuivres respirant néanmoins
largement, attestant d’une maîtrise exceptionnelle du souffle et des longs
phrasés, tandis que le timbalier John Chimes donnait une résonance singulière à
la progression de cet hallucinant finale.
Bruno Serrou
Ce que je regrette ne pas avoir pu être présent.
RépondreSupprimerOeuvres et interprètes d'exception comme ceux-là, c'est de plus en plus rare.