Paris, Cité de la Musique, Salle des concerts, samedi 29 septembre 2012
Pierre Henry - Photo : (c) DR
Une fumée aux fragrances
douçâtres et aux effluves d’eau de toilette de super marché pour jeunes
filles en fleurs aux arabesques rosées flottant dans la salle ainsi
enveloppée d’un brouillard accueillait hier soir le nombreux public de la Salle des concerts de
la Cité de la Musique venu religieusement admirer l’icône de la « techno », Pierre Henry (né en 1927), « jouer » de sa console son dernier opus à ce jour,
composé à 85 ans, Le Fil de la vie.
Ce titre prometteur cache en fait un cérémonial
bouddhiste électronique dominé par des sons de flûtes de divers formats
enregistrées et transformées ainsi que de la percussion de temples tibétains
(cloches, cymbales, crotales et tambours) qui pourraient avoir été captés dans
le temple bouddhiste du bois de Vincennes sur les bords du lac Daumesnil, dans
le XIIe arrondissement de Paris où vit le compositeur. Dans cette œuvre interminable
exécutée dans une atmosphère religieuse, l’on retrouve également des sons que
Henry avait utilisés en 1967 dans Messe
pour le temps présent qu’il avait imaginée en collaboration avec Michel
Colombier pour le ballet éponyme culte de Maurice Béjart. A l’écoute du Fil de la vie, l’on plane comme dans une
fumerie de d’opium pendant soixante-dix - annoncée pour 1h20, la
séance s’est heureusement avérée plus courte. On s’ennuie ferme, l’on s’assoupit
rapidement, même les fans les plus inconditionnels de l’idole, transformée en
icône par le public où communient jeunes DJs en quête de sons nouveaux qui se
comportent dans une salle de concert comme dans une boîte de nuit, et cheveux
blancs à l’instar de ceux du compositeur, applaudi à tout rompre au début, traversant
lentement le parterre des coulisses jusqu’à ses consoles, accompagné de ses
assistants, pour s’asseoir délicatement sur sa chaise devant ses deux instruments,
dont il manipulera imperturbablement les potentiomètres jusqu’à la fin, moment
où il sera applaudi en standing ovation cinq longues minutes durant, finissant
de lui-même par mettre un terme à l’enthousiasme général en demandant à ses
deux collaborateurs de le ramener vers les coulisses.
Tandis que le compositeur-interprète se trouvait
au milieu du public, ce dernier n’avait pour seul point de vue ou poser le
regard qu’une tonne de matériel, au moins, sur le plateau éclairée de spots
rouges et bleu alternant inlassablement sur cet orchestre de haut-parleurs,
assourdissant, d’où outre les flûtes et la percussion déjà mentionnées, sortaient
des bruits de fontaines, des cris d’oiseaux et de divers animaux plus ou moins
exotiques ainsi que des imprécations de moines bouddhistes aux voix plus ou
moins graves. Il n’est pas certain que les bouddhistes apprécient ce type de
rendu sonore.
Tandis que les parties de la pièce se succédaient
sèchement entre deux silences, sans modulation ni passerelle, l’on ne pouvait
que constater combien il est loin le temps où les bidouillages de Pierre Henry
ne cessaient de surprendre, de la Symphonie
pour un homme seul (1949-1950, avec Pierre Schaeffer) à la Messe pour le temps présent déjà citée.
Certes, on sent que l’œuvre émane de l’esprit d’un authentique musicien, tant
structure et forme sont solides, contrairement à beaucoup de ceux qui se revendiquent
comme ses héritiers, mais le résultat ne convainc pas, tant ce produit sonore (difficile
d'employer le terme « musique ») tourne court.
Les absents ont toujours
tort… Pleyel n’était pas tout à fait plein, et c’est fort dommage, car
l'événement musical de la semaine était bel et bien ce mercredi soir rue du faubourg
Saint-Honoré... C’est en effet un extraordinaire concert qu’ont proposé le
Budapest Festival Orchestra et son directeur-fondateur Iván Fischer.
Le programme et ses interprètes
étaient quasi à cent pour cent hongrois, Gustav Mahler étant d’un peu partout
et de nulle part dans l’empire bicéphale austro-hongrois des Habsbourg, comme
il le disait lui-même (1), et ayant en outre travaillé à Budapest comme
directeur de l’Opéra de 1888 à 1890, époque où il composait ses deux premières
symphonies.
Deux œuvres de Bartók sonnant
sous les doigts de ces musiciens de façon idiomatique, avec des Chansons paysannes hongroisespour orchestreSz. 100 de 1933 jouées comme si les soixante six musiciens étaient
autant de voix humaines fleurant bon le terroir, bruissant, grondant,
respirant, chantant avec un naturel stupéfiant. Le Concerto n° 1 pour violon et orchestre Sz. 36 (1907-1908), moins
connu que le second d’autant qu’il n’a été redécouvert qu’en 1956 et créé en
1958 à Bâle sous la direction de Paul Sacher avec en soliste Heinz Schneeberger,
est en fait un poème symphonique intime qui présente deux aspects de l’être
aimé, la violoniste Stefi Geyer, chacun des deux mouvements (au lieu des trois
habituels dans un concerto) illustrant l’un des aspects de l’artiste, la femme sublime
et lumineuse dans le premier et la musicienne virtuose dans le second. Bartók reprendra
d’ailleurs l’idyllique morceau initial en introduction comme premier des deux Portraits pour orchestre, Egy
Ideális (idéal) dès 1908, tandis que le second
mouvement est empli de rythmes brillants et d’élans populaires. De ce fait, le
violon est doué de vies multiples réclamant du soliste virtuosité et maîtrise
du son exceptionnelle. Taillé tel un bûcheron voire un ermite jamais sorti de
sa forêt, le cheveu long frisé noir et touffu jamais passé chez un coiffeur, le
soliste, Jószef Lendvay, inconnu de moi jusqu’à hier soir, s’avère
un monstre de virtuosité naturelle, jouant sans effort, exaltant des sons
inouïs avec un naturel confondant tant il n’a pas l’air de toucher à son
instrument, un superbe Stradivarius, le « Ex Ries » de 1691, ni des
doigts ni de l’archet, comme sur un violon enchanté... Un véritable équilibriste
venu d’une autre planète, jouant dans un bis inouï (était-ce une pièce de Fritz
Kreisler ? un Paganini ?) des pizzicati des
deux mains tout en faisant rebondir un archet comme en apesanteur…
En seconde partie, L’orchestre
hongrois et Ivan Fischer ont donné une interprétation grandiose de la Symphonie n° 5 en ut dièse mineur (1901-1902)
de Mahler. L’on a senti que l’on allait vivre un grand moment dès l’attaque à
découvert d’une prodigieuse trompette solo (tenue par Zsolt Czeglédi), qui,
voyant sans doute arriver la fin du long premier mouvement dans lequel il a
fort à faire puisque c’est à lui qu’est confié l’essentiel du matériau de ces vingt
minutes de musique avant d’être souvent à découvert par la suite, s’est légèrement
relâché dans sa phrase ultime s’achevant
ppp a capella à la fin de la coda.
Autre performance remarquable, le cor solo (Zoltán Szöke) que Fischer a étonnamment placé dans le
troisième mouvement sur le devant de la scène, entre lui et le premier violon, Giovanni
Guzzo, tout aussi magistral… Mais tous les pupitres seraient à féliciter –
notamment la harpiste Ágnes Polónyi, le premier altiste Ferenc Gábor, son homologue contrebassiste Zsolt Fejévári, la
flûtiste Gabriella Pivon, le hautboïste Victor Aviat, le clarinettiste Ákos Ács, le bassoniste Moritz Winker, le
tromboniste Balázs Szakszon et le tubiste József Bazsinka, entre autres), tant l’ensemble de la phalange s’est avéré d’une
dextérité exemplaire, faisant à eux tous un orchestre remarquable d’équilibre,
de cohésion magnifiée par un évident bonheur de jouer ensemble. De vrais
musiciens à la virtuosité de tziganes ! Iván Fischer dirige sans en avoir l’air, le geste
rare mais large et précis, battant souplement la mesure, ouvrant largement les
bras dans les moments de tendresse et de poésie, s’économisant toujours pour
laisser libres ses musiciens et porter l’écoute du public à son comble et lui
donner des sueurs d’émotion. Une ovation extraordinaire s’est d’ailleurs élevée
de la salle à la fin de l’exécution, le public ne bougeant pas tant que le chef
ait tiré son premier violon par la manche.
Bruno Serrou
1) « Jesuis trois foisapatride, disait
Mahler, en tant que natifde Bohêmeen Autriche, comme un Autrichienparmi les Allemands, eten tant que Juifdans le monde entier. Partoutun intrus, jamais
bienvenu. »
Cité de la Musique, Amphithéâtre, mardi 25 septembre 2012
György Kurtag - Photo : (c) DR
Révélé au début des années quatre-vingt
par Pierre Boulez qui inscrit son opus
magnum, Messages de feuDemoiselle R. V. Troussovaop. 17 (1) composés en 1980 sur vingt et un
poèmes de Rimma Dalos pour soprano et ensemble de chambre au répertoire de l’Ensemble
Intercontemporain, György Kurtág est considéré depuis la disparition de György Ligeti comme le grand compositeur
hongrois de la génération des années 1920. Né à Lugos, Transylvanie roumaine, en 1926, trois
ans après Ligeti, naturalisé hongrois en 1948, installé à Bordeaux depuis 2002, Kurtág ne cesse dans ses partitions, courtes et condensées,
de rendre hommage depuis 1959 - année de son opus 1 officiel - à des confrères, des artistes, des amis et des connaissances. La création de
ce spécialiste de la petite forme et de l’épure n’est pas sans évoquer celle d’Anton
Webern, mais en moins inventif et hardi. Elève de Léo Weiner, Sándor Veress
et Ferenc Farkas à l’Académie Franz Liszt de Budapest, où il enseignera à son tour de 1967
à 1993, il a également suivi les cours d’Olivier Messiaen et de Darius Milhaud
au Conservatoire de Paris, et s’initie aux techniques de la Seconde Ecole de Vienne
en assistant aux concerts du Domaine musical de Pierre Boulez. La Cité de la
Musique, qui l’avait accueilli en résidence en 1999, lui consacre jusqu’au 29
septembre une décade qui le met en regard avec Jean-Sébastien Bach, compositeur
que Kurtág avoue admirer, à l’instar de la grande majorité de ses confrères, d’ailleurs.
Bogdan
Božović, Stefan Mendl et Matthias Gredler (de gauche à droite) - Photo : (c) Wiener Klaviertrio
Le programme d’hier était confié
au Wiener Klaviertrio, ensemble de grand talent qui réunit le violoniste Bogdan
Božović, le violoncelliste Matthias Gredler et le pianiste Stefan Mendl , qui jouait hier soir également un clavecin double clavier, et
organise depuis 1997 sa propre série de concerts au Musikverein de Vienne. Pour
la Cité de la Musique, les trois musiciens ont alterné instruments anciens et
modernes, jouant les pages de Bach sur les premiers et celles de Kurtág sur les
seconds. Ce qui a valu une série d’accords plus ou moins longs entre chaque œuvre,
puisque les deux compositeurs alternaient. Ce qui s’est imposé d’amblée est la
qualité du jeu des musiciens, qui ont paru maîtriser jeux et styles avec une
même dextérité. Tant et si bien que l’on a pu mesurer clairement combien l’aîné
est plus inspiré et maître du temps que le cadet. En effet, si les pièces de Kurtág
sont courtes et celles de Bach infiniment plus longues, celles du second ne
suscitent pas la moindre lassitude, pas même le long Trio en la majeur BWV 1025, tandis que certaines de celles du
premier semblent se déployer interminablement, particulièrement dans la
sélection des Játékok (Jeux) que Stefan Mendl a retenue et jouée sur un Steinway
trois-quarts. De belles pages néanmoins dans les trois fragments des Signes, jeux et messages pour
violoncelle seul superbement illustrés par Matthias Gredler, et le trio avec
piano droit Varga Bálint
Ligaturája (Ligature à BálintVarga) de 2007 dont le Wiener
Klaviertrio est le créateur. Une miniature de quatre minutes qui exhale un
climat de mystère et d’onirisme de bon aloi et qui suscite une concentration du
jeu comme de l’écoute.
Bruno Serrou
(1) Pierre Boulez et l'Ensemble Intercontemporain ont enregistré cette œuvre en 1983 pour Erato avec la soprano Adrienne Csengery et la cymbaliste Marta Fabian. A noter la parution le 10 septembre chez ECM/Universal Music Classics & Jazz d'un remarquable CD Kurtág / Ligeti par l'altiste nord-américaine d'origine arménienne Kim Kashkashian(ECM NS 4764729)
Strasbourg, Festival Musica, Palais de la Musique et des Congrès, Salle
de la Bourse, Auditorium de la Cité de la musique et de la danse, Salle Koltès
du Théâtre National de Strasbourg, vendredi 21, samedi 22 et dimanche 23 septembre
2012
C’est sous le signe de la
spiritualité qu’a été placé le premier des trois week-ends de la trentième
édition du festival Musica de Strasbourg. Autant par les œuvres que par un
jeune compositeur plein de talent dont le nom dit combien il se place sous le
signe du divin, puisqu’il s’agit de Francesco Filidei…
Arnold schönberg dans les années 1930 - Photo : (c) DR
La mystique est toujours
d’actualité chez les compositeurs contemporains, que leur approche soit métaphysique, spirituelle, allégorique ou mystificatrice voire facétieuse et
narquoise. Figure tutélaire de la création musicale depuis les années 1920,
inventeur de l’expressionnisme musical et de l’écriture dodécaphonique, compositeur
pédagogue à la fibre mystique à l’instar d’un Olivier Messiaen, Arnold
Schönberg (1874-1951) a été choisi pour ouvrir le festival international des musiques
d’aujourd’hui avec son chef-d’œuvre lyrique, Moses und Aron.
Moïse posant la main sur l'épaule d'Aaron. Chacun porte un rouleau de la Thora (sculpture du tympan de Conques. Photo : (c) DR
Composé à la fin des années 1920 et au début des
années 1930, Moïse et Aaron - Schönberg
a supprimé du titre le second « a » de Aaron pour échapper aux treize
lettres, le chiffre 13 lui paraissant fatal, et cela avec raison puisqu'il allait mourir un vendredi 13 juillet - est le grand opéra de
son auteur, qui, comme son élève Alban Berg dans les mêmes années trente avec
sa Lulu, en a laissé le troisième
acte inachevé. Schönberg a lui-même tiré le livret de l’Ancien Testament au
moment où il se rapprochait lui-même de son identité juive qu’il recouvrera à Paris en 1933 sous
le parrainage de Marc Chagall. Dans son livret, Schönberg, qui y place la communication et l’éthique au centre de ses préoccupations, met en
scène Moïse, qui, missionné par Dieu pour libérer les Hébreux d’Egypte, demande
l’aide de son frère Aaron qui, contrairement à lui, sait convaincre par sa
maîtrise du langage et par sa séduction. Parti dans le Sinaï pour recevoir les
tables de la Loi, il trouve à son retour le peuple élu plongé dans le chaos.
Furieux, il brise les tables et accuse son frère de forfaiture. C’est sur un terrifiant
cri d’impuissance de Moïse tombant dans le silence de l’orchestre « Oh
parole, parole, qui me manque » que se termine l’opéra, Schönberg, acculé
à l’émigration, laissant sans musique le troisième acte dans lequel, après une
violente explication avec son frère, Aaron s’écroulera, mort. Cette œuvre
grandiose, sans doute l’un des ouvrages majeurs de l’opéra, est
inexplicablement trop peu représenté au théâtre lyrique, malgré la plastique indéniable
de la scène centrale du vau d’or. Ce qui, néanmoins, n’est pas forcément une
trahison puisque le compositeur avait tout d’abord envisagé de tirer de ce
projet un oratorio. De plus, la puissance évocatrice de la partition, les
sortilèges de l’orchestration, la dualité des protagonistes, les grondements d’un
orchestre polychrome, la force et la profondeur du texte sont tels que l’on peut
aisément se passer de support dramaturgique. D’autant plus lorsque
l’interprétation est aussi exceptionnelle que celle proposée par Sylvain
Cambreling, maître du temps et de l’espace, à la tête d’un Orchestre Symphonique
du Sudwestfunk Baden-Baden und Freiburg impressionnant de virtuosité et d’éclat, et d’un chœur somptueux, l’EuropaChorAkademie, tandis que le baryton Franz
Grundheber, qui fut l’un des grands Wozzeck de l’histoire, a donné de Moïse une
interprétation impressionnante de noblesse et d’humanité, et le ténor Andreas
Conrad un Aaron de braise.
Limbus-Limbo - Photo : (c) Philippe Stimweiss
L’on est d’autant plus frappé par
la contemporanéité, la magie, l’inventivité de l’écriture vocale et, surtout,
instrumentale de Schönberg que bien des compositeurs d’aujourd’hui n’ont
toujours pas assimilée, et par la grandeur de sa pensée, surtout à l’aune de
l’opéra que les Percussions de Strasbourg ont commandé pour leur cinquantième
anniversaire à Stefano Gervasoni (né en 1962), Limbus-Limbo (1). Le projet avait pourtant tout pour séduire. L’action
se déroule en effet dans les limbes,
espace incertain où le temps s’écoule interminablement et dans lequel musardent
le médecin botaniste Carl von Linné depuis 1778 et le prêtre philosophe
Giordano Bruno depuis 1600. Ils sont entourés de divers personnages, dont Tina
(There Is No Alternative)/Marilyn Monroe, milliardaire des temps modernes qui a
soudoyé un garde afin d’échapper à l’enfer auquel elle était destinée et dont l’arrivée
intempestive perturbe l’activité routinière, jusqu’à ce qu’ils soient tous condamnés
à l’errance éternelle par simple décret du Vatican, qui, le 20 avril 2007,
rayait d’un trait de plume le dogme du purgatoire.
Pour son premier
opéra, Gervasoni s’est appuyé sur livret de Patrick Hahn qui est un montage de
textes de sources diverses, alliant latin, français, anglais, allemand et
suédois, tandis que l’œuvre se déploie en un acte unique sur la symbolique de
la trinité - trois chanteurs, trois comédiens, trois plus trois
percussionnistes, trois instrumentistes supplémentaires (cor/cor des Alpes,
flûte à bec/flûte basse Paetzold et cymbalum) - et confronte temps, styles et
vocalités, tandis que les limbes sont suggérées par l’électronique. Si la mise
en scène d’Ingrid von Wantoch Rekowski
s’avère d’une efficacité redoutable, avec des comédiens et chanteurs se
mouvant autour et au milieu de la piste glaciale d’un cirque, si la
distribution vocale et instrumentale est irréprochable, les Percussions de
Strasbourg, bien sûr, mais aussi l’inénarrable Tina de Juliet Fraser, le
contre-ténor Christopher Field (Carl) et le baryton Gareth John (Bruno), la
musique de Gervasoni, raffinée, et les pastiches de compositeurs du passé bien
amenés, le spectacle traîne en longueur, le purgatoire par trop figé distillant
un ennui prégnant, jusqu’à ce qu’arrive enfin l'accorte Tina,
qui précède de trop peu la disparition abrupte des limbes.
Francesco Filidei, abbaye de Royaumont - Photo : DR
En regard de ces deux œuvres scéniques,
Musica a offert ce premier week-end son foisonnement coutumier de
concerts de créations au sein desquels un compositeur s’est particulièrement
imposé, l’Italien Francesco Filidei (le bien-nommé entre deux ouvrages lyriques d’inspiration
divine), dans une naturaliste et onirique Ballata
n° 2 avec appeaux, crèves bulles, sons soufflés dans les anches des bois et les embouchures des cuivres par les excellents musiciens de l’ensemble Ictus, et Filastrocca pour piano préparé interprété par un véritable sorcier
du piano, Wilhem Latchoumia dans un programme-hommage à John Cage (1912-1992).
La
découverte d’un nouvel ensemble de qualité voué à la création musicale est trop
peu fréquente pour ne pas être saluée, avec pour ma part la première audition
du KNM (Kammerensemble Neue Musik) de Berlin fondé en 1988 à Berlin-Est au sein
de la Hochschule für Musik Hanns Eisler dans un programme cent pour cent
français, avec des pièces de Pascal Dusapin (né en 1955) - le Trio Rombach (1997) pour violon, violoncelle
et piano qui emprunte à la musique hongroise -, Franck Bedrossian (né en 1971) -
L’usage de la parole pour clarinette,
violoncelle et piano dont les sept minutes sont d'un Bedrossian
de 25 ans à la forte personnalité déjà maître de son style -, Philippe Hurel
(né en 1955) - la chatoyante Ritonello in
memoriam Luciano Berio (2003-2004) pour flûte et piano dans sa nouvelle
version de 2012 -, Aurélien Dumont (né en 1980) dont la Berceuse et des poussières pour violon, alto, violoncelle, piano et
bande donnée en première audition française révèle un compositeur de 32 ans inventif
qui sait ménager la surprise, et le regretté Christophe Bertrand (1981-2010),
avec un touchant Hendeka de 2007 pour
violon, alto, violoncelle et piano (plus deux tourneurs de pages).
Outre Francesco
Filidei (né en 1973) déjà évoqué plus haut, le somptueux ensemble bruxellois
Ictus dirigé par Georges-Elie Octors a donné en première audition française Little Smile pour seize instruments de
Wolfgang Mitterer (né en 1958) qui s’avère long et monotone, dénué de forme et
de narration, et, en création mondiale, Carbone
de Raphaël Cendo (né en 1975), œuvre assourdissante pour douze musiciens
amplifiés, dont un trompettiste accoutré tel un astronaute, un dobro gratté
avec virulence à l’aide d’un plectre, un piano préparé et une flûte octobasse,
seul instrument aux sons oniriques dans un enfer de sons hurlants et informes.
Wilhem Latchoumia - Photo : DR
Intitulé
« Cage héritage », le récital de Wilhem Latchoumia est un modèle de
programmation intelligemment pensée et construite. Cet hommage à John Cage pour
le centenaire de sa naissance et le vingtième anniversaire de sa disparition, présentait
en première partie deux pièces pour piano préparé et en seconde partie deux
pages pour piano et bande et deux œuvres pour piano, avec entre les deux
parties, la fameuse Suite for Toy Piano
(1948) de Cage, le petit instrument étant installé à l’avant-scène entre les
deux grands Steinway de concert, l’un préparé l’autre naturel. Outre la pièce
de Filidei, Filastrocca déjà évoquée,
Pendulum VIII : « TKS I »
(2011) de l’Etats-unien Alex Mincek (né en 1975) s’avère riche en timbres et en
jeux, usant notamment des clusters, tandis que l’épure d’Enbâcle (2009) de Jérôme Combier (né en 1971) s’avère à la fois
complémentaire et riche en sonorités, à l’instar du magnifique …mais les images restent… (2003) de
Michael Jarrell (né en 1958), avec son premier mouvement d’une puissance
saisissante et son second mouvement rêveur, et du dense et foisonnant cage in my car (2011) de Gérard Pesson
(né en 1958) dont le jeu nécessite des mitaines, et deux œuvres de Pierre
Jodlowski (né en 1971) pour piano et bande hommage au cinéma, Série-C (2011) et surtout Série Noire (2005), exemplaire de
souffle, de théâtralité avec sa bande-son de thriller et la virtuosité des
mains qui parcourent le clavier. A noter que les œuvres de Filidei, Pesson,
Jodlowski et Mincek sont le fruit de commandes de Latchoumia pour cet hommage à
Cage.
Musica se poursuit jusqu’au 6
octobre, avec à la fin du festival une série de concerts et un colloque
consacrés au grand compositeur chef d’orchestre allemand Hans Zender.
Bruno Serrou
(1) Spectacle repris à Vernon (29/11), Paris (Opéra-Comique, 3-4/12), Reims
(15/12), Salzbourg (10/03), Grenoble (19/04), Herrenhausen (6/06), Marseille
(9/07), etc.