Paris, Opéra de Paris Garnier, samedi 8 septembre 2012
Photo : Opéra de Paris. DR
La seconde reprise de la production créée en juin 2004 de Robert Carsen du Capriccio de Richard Strauss (1) cinq ans après celle de septembre 2007 sous la direction de Hartmut Haenschen avec Solveig Kringelborn dans le rôle de la comtesse Madeleine, confirme l’exceptionnelle qualité de ce spectacle qu’avait offert Hugues Gall en guise de cadeau d’adieu au public de l’Opéra de Paris au terme de son mandat de directeur. Cette œuvre majeure du répertoire lyrique est aussi l’une des plus élitistes et intellectuelles jamais conçues par un compositeur.
Conversation en musique
débattant de la primauté de la parole ou de la musique, donc dénuée a priori de
toute action dramatique, Capriccio est un plaisir de gourmets épris
d’art, de littérature, d’histoire et d’humanisme alors-même qu’il a été conçu dans
les années les plus barbares et tragiques de l’histoire, la Seconde Guerre
mondiale. Retiré à Garmisch-Partenkirschen, Strauss composa cet ouvrage sur un
livret qu’il signa lui-même avec le chef d’orchestre autrichien Clemens Krauss sur
un canevas de Stefan Zweig, qui se suicida l’année même où le compositeur
posait le point final de sa partition. Cette œuvre qui chante le Siècle des
Lumières, l’action se plaçant dans un château huppé de la région parisienne,
est donc totalement décalée avec son temps, non seulement en regard des
circonstances de sa genèse mais aussi aujourd’hui, où les références au passé
et les grands débats artistiques ne sont plus guère en faveur. Dans cet opéra
qui s’interroge sur la nature-même de l’art lyrique et
dont l’un des personnages principaux est un directeur de théâtre qui prononce
un éblouissant plaidoyer sur son métier, Strauss
emprunte à sa propre création, de Guntram à Daphné, renvoyant à
sa propre querelle avec son librettiste Joseph Gregor qui lui avait offert un
finale impossible avec la métamorphose de l’héroïne grecque en laurier, ainsi que
des rappels insistants à Ariane à Naxos
et surtout au Chevalier à la rose et à ses personnages hauts en
couleurs, incarnés dans Capriccio par le couple de chanteurs italiens, le
souffleur Monsieur Taupe et les serviteurs. Mais le pastiche atteint les
sommets de l’art dès le sublime sextuor à cordes introductif puis dans le trio
pour clavecin violon et violoncelle, salut au baroque flamboyant, plus authentique
que nature.
Photo : Opéra de Paris. DR
Robert Carsen a adopté le parti de transposer
l’action à l’époque de la genèse de Capriccio, dans une France occupée
par les nazis, ce qui accentue le décalage de l’ouvrage avec le contexte
historique de sa conception. Le metteur en scène canadien place ses personnages
sur la scène d’un petit théâtre que contemple la comtesse depuis la salle, le
temps de l’exécution du sextuor à cordes de l’ouverture. La direction
d’acteurs, éblouissante, est un festival d’humour et de tendre nostalgie,
Carsen jouant finement des ambiguïtés et des artifices du théâtre, l’apogée
étant atteint dans les ultimes mesures de la sublime scène finale : le décor
s’évapore dans les cintres dévoilant l’immense plateau nu de Garnier, tandis
que des techniciens accompagnent la comtesse vers la coulisse, et qu’au fond de
la scène, sur la barre du foyer de danse, s’exerce une ballerine.
La distribution est toujours vaillante, avec un
sextuor de protagonistes principaux bien équilibrée. Sans atteindre la
puissance pénétrante d’une Felicity Lott dans la compréhension de la portée du
texte et des intentions du compositeur, Michaela Kaune, qui succède à Renée
Fleming et SOLVEIG Kringelborn, s’impose dans le rôle de la Comtesse par la
rayonnante beauté de son timbre, la plastique de sa ligne de chant, sa
prestance scénique. La soprano allemande sait séduire avec naturel et se fond
avec talent dans le jeu de ses
partenaires d’une distribution entièrement renouvelée qu’elle n’écrase à aucun
moment, pas même les plus petits rôles, comme les neuf serviteurs et un
Monsieur Taupe de luxe incarné par le ténor britannique Ryland Davies. Le baryton
danois Bo Skovhus, comte d’une spontanéité joviale et dégagée, est le maillon
le plus fragile de cette reprise. En revanche, Joseph Kaiser et Adrian Eröd
sont attestent d’une belle complémentarité en compositeur et en poète. Michaela
Schuster est une Clairon femme fatale particulièrement bien dans sa peau, et la
voix est consistante et ferme. Peter Rose est La Roche éclatant, et sa
glorification du théâtre et du métier de directeur est d’une poignante vérité.
A la tête d’un Orchestre de l’Opéra de Paris en
forme (le solo de cor introduisant la scène finale est d’une beauté prodigieuse
sous les lèvres de Vladimir Dubois), Philippe Jordan dirige de façon inégale cette
partition délicate et pleine de sève, s’avérant souvent dramatique mais peu
sensuel et rarement nostalgique.
Bruno Serrou
1) La captation de la production en juin 2004 est disponible en DVD : TDK DVWW-OPCAPR
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