Abbaye de Royaumont, dimanche 16 septembre 2012
Abbaye de Royaumont. Photo : (c) Bruno Serrou
Beaucoup de monde dimanche, Journée du patrimoine, dans le parc de l’abbaye royale de Royaumont, dans l’Oise. Nombreux ont assisté aux concerts du troisième des huit week-ends de la saison musicale 2012.
Lancée en 1936, la Saison de
Royaumont, dans le département du Val d’Oise à une cinquantaine de kilomètres
de Paris, est le rendez-vous musical de fin d’été le plus riche et porteur d’avenir.
Depuis 1964, sous l’égide de la Fondation Groüin-Lang propriétaire de l’abbaye
fondée par saint Louis, elle propose une programmation très large et diversifiée
qui couvre une vaste période, du moyen-âge à la création contemporaine, en
passant par la danse, le jazz et les musiques traditionnelles. Ainsi, tous les
publics peuvent-ils se rencontrer et partir conjointement à la découverte de
répertoires divers qui leur devient commun avec des œuvres conçues et jouées
par des artistes en résidence, compositeurs, instrumentistes, chanteurs,
danseurs, chorégraphes, vidéastes, plasticiens. Ce deuxième dimanche de
septembre a vu beaucoup de monde déambuler sous un chaud soleil dans ce site paradisiaque
d’abbaye cistercienne presque huit fois séculaire, s’égayant dans le parc à la
découverte de trésors architecturaux dont les vestiges disent la grandeur du
lieu où saint Louis aimait à séjourner, partageant la vie des moines, prenant
place au côté de l’abbé pendant les offices, servant les moines à table et les
soignant.
Yannick Haenel. Photo : DR
Amateurs de jazz, de musique
contemporaine et curieux ont pu assister du matin au soir, parfois de l’extérieur,
à trois concerts croisant les genres, tout en goûtant l’imposante beauté
architectonique et les qualités acoustiques d’autant de salles de l’abbaye.
Ainsi, Salle ses Charpentes, deux musiciens de l’Ensemble Multilatérale, le
contrebassiste Nicolas Crosse et le saxophoniste Vincent David, ont proposé un mélodrame
collectif sur un livret de Yannick Haenel, Je
vois le feu, dont l’auteur du texte était
le récitant. Fruit d’une résidence de création, ce projet musico-littéraire
était plutôt convainquant. Ce mélodrame ayant réuni dix compositeurs (Raphaël
Cendo, Nicolas Crosse, Nicolas Ducloux, Lucas Fagin, Matteo Franceschini, Yan
Maresz, Martin Matalon, Yann Robin, Tolga Tüzün, Marco Suarez Cifuentes), il
était plaisant de chercher à identifier les auteurs des pièces de cinq à sept
minutes chacune reliées par des improvisations jazz des deux interprètes mais
se concluant fâcheusement sur un lied de Schubert transcrit pour saxophone et
contrebasse, ce qui est apparu du pire mauvais goût.
Andreï Tarkovski. Photo : DR
Beaucoup moins
convainquant, malgré le cadre du concert sous les belles charpentes du grand
comble, une très longue et fastidieuse page de quatre vingt cinq minutes pour
quatuor jazz du pianiste François Couturier réalisée en résidence à la
Fondation Royaumont titrée Le Temps
scellé Hommage à Andreï Tarkovski, ce fastidieux voyage sur des images du
cinéaste musicien russe mort en 1986 auteur d’Andreï Roublev, est d’une
platitude musicale consternante. Constitué du compositeur au piano, de
Jean-Marc Larché au saxophone soprano, d’Anja Lechner au violoncelle et de
Jean-Louis Matinier à l’accordéon, cette formation s’est avérée peu convaincue par
la partition qui forme hiatus avec ce qui est donné à voir.
Abbaye de Royaumont, Cuisines des moines. Photo : (c) Bruno Serrou
Mais cette journée mi figue-mi raisin s’est achevée en apothéose, avec un magnifique concert monographique d’une heure donné cuisines des moines par le Quatuor Diotima. Il était consacré à trois œuvres de musique de chambre du compositeur espagnol Alberto Posadas. Né en 1967 à Valladolid, disciple de Francisco Guerrero (1951-1997), avec qui il a exploré de nouvelles formes musicales grâce aux techniques de la combinatoire mathématique et de la théorie fractale, Posadas n’a de cesse d’explorer en outre les phénomènes acoustiques des instruments de musique et de transposer en musique les espaces architecturaux. Les trois pièces du programme de dimanche tournaient autour du concept d’ombre en tant que référence poétique et géométrique et constituent chacune l’un des trois formants d’un cycle conçu par le compositeur sous l’impulsion du Quatuor Diotima (1).
Alberto Posadas. Photo : DR
Le concert a débuté avec le dernier des trois volets à ce jour, un somptueux quatuor à cordes, Elogio de la Sombra, qui impose la puissance de la création de ce magnifique artiste fasciné par les mathématiques dont la musique est pourtant merveilleusement charnelle et extraordinairement expressive, d’un souffle et d’un onirisme singulier confortés par l’intense quintette pour soprano et cordes La tentacion de las sombras qui illustre un texte de Cioran confié à une soprano colorature remarquablement tenue par Caroline Stein, et par le vigoureux quintette pour clarinette basse et cordes Del reflejo de la sombra, joué avec dextérité par Alain Billard. Les Diotima ont donné de ces pièces qu’ils ont inspirées une interprétation tendue au cordeau, vaillante, précise et lumineuse, se jouant des difficultés du jeu avec une adresse époustouflante tout en exaltant les beautés sonores et la densité du discours avec un naturel confondant, Posadas exploitant des techniques parfois inouïes mais toujours utilisées à bon escient, avec cales et plectres glissés entre les cordes, course particulière des archets, doigtés originaux, etc., suscitant des sonorités souvent inédites.
Bruno Serrou
1) CD à paraître chez Kairos sous le titre "Liturgia fractal"
Jour Bruno,
RépondreSupprimerphoto d'Alberto par mes soins : https://picasaweb.google.com/gilnobody/CompositeursContemporains
à bientôt