Photo : (c) Orchestre de Paris
A l’instar du Saint Louis
Symphony qui, vendredi dernier à Pleyel, consacrait une partie de son concert
aux compositeurs états-uniens ayant séjourné à Paris, et en prologue à sa
propre thématique franco-russe, l’Orchestre de Paris a présenté dans cette même
salle en cette ouverture de saison un programme « parisien »
réunissant cette fois non pas des Américains mais des Russes ayant travaillé en
France qui ont été mis en regard de pages de Francis Poulenc, qui les côtoya. Paavo
Järvi a en outre convié le chœur de son orchestre à se joindre aux festivités, lui
confiant deux pages d’inspiration religieuse du compositeur français.
C’est d’ailleurs avec ces
dernières que s’est ouverte la soirée. La première des deux œuvres a réuni
cordes, timbales et les seules voix de femmes du Chœur de l’Orchestre de Paris,
puisqu’il s’agissait des Litanies à la Vierge
Noire que Poulenc a composées en 1936 à l’origine pour chœur de femmes et
orgue. Il s’agit de la première partition du compositeur d’inspiration
religieuse. A l’exemple de Paul Claudel qui eut « la Révélation » au
pied d’un pilier de la cathédrale Notre-Dame de Paris, Poulenc la reçut durant une
visite de Rocamadour qui avait suivi la nouvelle de la mort de son confrère
Pierre-Octave Ferroud. Quelques heures après qu’il eût quitté la chapelle flanquée
en partie dans la roche qui abrite la statue miraculeuse de la Vierge sculptée
selon la tradition dans du bois noir par saint Amadour, Poulenc commençait ses
litanies, qui ouvraient une série de partitions qui allaient constituer la part
la plus significative de sa création, avec le Gloria entendu la saison dernière, l’opéra Dialogues des carmélites,
la Messe, les Petits motets du temps de la Pénitence, les Quatre petites prières de saint François
d’Assise, les Sept répons des
ténèbres, le Salve Regina, les Laudes à saint Antoine de Padoue, Figure humaine, les Quatre motets
pour le temps de Noël et le Stabat
Mater. C’est cette dernière œuvre, extraordinairement concentrée et
puissante, inspirée elle aussi par la Vierge noire de Rocamadour et écrite à la
mémoire du peintre-scénographe Christian Bérard (1902-1949), qui concluait la
première partie du concert. Composée en 1950 et créée le 13 juin 1951 au
Festival de Strasbourg, cette partition est l’une des œuvres religieuses
majeures du XXe siècle, associant l’humilité de la prière, voire la
nudité des pages spirituelles a capella de Poulenc à la puissance dramatique d’un
requiem, genre auquel Poulenc se disait réfractaire, avec les forces
telluriques du grand orchestre et la présence d’une soprano solo et d’un grand chœur
mixte.
Dans les Litanies, le chœur de femmes s’est fait homogène et le fondu des voix parfait, timbres
étincelant et frais en intonation, bien qu’un peu tendu et asphyxiés par l’ardeur
de la direction de Järvi. Dans le Stabat
Mater, la belle musicalité et l’intelligence du texte de Mireille Delunsch,
qui remplaçait Patricia Petibon au pied levé, ont souligné la dimension
spirituelle de cette œuvre brûlante, la voix sortant sans forcer d’un chœur et
d’un orchestre parfois saturés, les couleurs de la soprano soliste s’ajustant parfaitement
aux couleurs de l’orchestre.
Photo : (c) Orchestre de Paris
Le Concerto n° 3 en ut majeur op. 26 de Serge Prokofiev qui ouvrait la seconde partie
du concert est l’une des partitions pour piano et orchestre les plus brillantes
du répertoire. Il est aussi la plus jouée des cinq pièces du genre que le
compositeur russe consacra à son instrument. Esquissé en 1913, achevé en
Bretagne en 1921, il a été créé avec un vif succès à Chicago en décembre de la
même année par le compositeur en soliste et l’Orchestre Symphonique de Chicago
dirigé par Frederick Stock. L’œuvre est d’une virtuosité extrême et demande au
soliste des doigts d’acier dans des gants de velours, tant les doigts doivent
survoler le clavier tout en détachant toutes les notes, enchaîner les
modulations d’intensité à la vitesse de l’éclair, lutter avec l’orchestre dans
sa toute puissance, ménager des moment de lyrisme intense mais sans pathos, souligner
la modernité tout en ne reniant pas le classicisme… Exceptionnel de souplesse, de délicatesse, de
vélocité, d’élan, de force fébrile, Lang Lang a excellé hier dans cette œuvre,
se montrant à son meilleur, au point que je dois avouer ne l’avoir jamais
entendu en pareille intelligence avec une partition. Au point de revoir mon
sentiment à l’égard de ce pianiste chinois hyper-médiatisé qui est parvenu à
une fusion piano/orchestre exemplaire, pour une interprétation, un jeu d’une
perfection jamais atteinte dans aucun concerto sous ses doigts à Paris, tandis
que l’entente avec le chef est apparue totale. Hélas, dès le bis, on a retrouvé
le Lang Lang des pires moments, dans une valse de Chopin ni faite ni à faire, avec
ses tics de jeu brouillon et ses divagations rythmiques et thématiques qui
dénaturent le sens-même du mot « valse », la pièce de Chopin devenant
méconnaissable.
Pour terminer la soirée, l’orchestre, seul avec
son chef, a donné la suite de 1919 de l’Oiseau
de feu d’Igor Stravinski. Dans ce morceau de bravoure, deuxième des trois
suites que le compositeur a tirées du premier de ses trois grands ballets
écrits pour le Ballets Russes et qui ne donne qu’une impression limitée de l’œuvre
entière, non seulement parce qu’il manque toute la partie centrale de l’original
mais aussi parce que l’orchestre est réduit pour des raisons d’ordre matériel, l’Orchestre
de Paris s’est montré brillant et rutilant, emportant l’auditeur à l’euphorie dans
le volet conclusif, tandis que l’introduction n’a pas été assez immatérielle et
aérienne, l’interprétation gommant ce que cette partie doit à Debussy. Järvi a
bissé le finale qu’il a interrompu à mi-parcours sans crier gare, devant une
salle en délire…
Bruno Serrou
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