vendredi 30 septembre 2022

Dirigé par Paavo Järvi, l’Orchestre de Paris a forgé un écrin féerique pour la violoniste María Dueñas

Paris. Philharmonie. Salle Boulez. Jeudi 29 septembre 2022

María Dueñas, Paavo Järvi et l'Orchestre de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

Retrouvant avec un plaisir non fin son ex-directeur musical Paavo Järvi (2010-2016), l’Orchestre de Paris a reçu cette semaine pour la première fois la jeune violoniste María Dueñas. Née en 2003 à Grenade, élève à sept ans de l’Académie de Musique Carl Maria von Weber de Dresde, l’artiste espagnole a fait ses études auprès de Boris Kuschnir à l’Université de la Musique et des Arts de Vienne. Vainqueur de nombreux concours, le dernier en date étant le Yehudi Menuhin à Richmond en 2021, elle s’est déjà produite dans la majorité des grandes capitales musicales du monde. Egalement compositrice, elle joue sur des instruments prestigieux qui lui sont confiés par trois fondations, un Niccolo Gagliano de 1774, le Guarneri del Gesu « Muntz » de 1736 et un Stradivarius qui lui est prêté grâce à sa victoire au Concours Menuhin.

María Dueñas (violon) et l'Otchestre de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

Sans précision quant à l’instrument qu’elle a choisi pour sa première prestation parisienne, la première des qualités qu’il convient de relever chez María Dueñas est la rondeur et la plénitude de sa sonorité, lumineuse et charnelle, sa main gauche déliée et précise mais au vibrato un rien trop ample. Son Concerto pour violon et orchestre en majeur op. 35 de Tchaïkovski a séduit par sa maîtrise, son ampleur, son chant épanoui, où seul un vibrato légèrement trop large déjà signalé a pu gêner certains auditeurs. Son engagement et sa musicalité radieuse qui ont engendré quelques facéties de la part de son archet dont les crins se rompaient à l’envi, ont envoûté une Salle Pierre Boulez remplie à ras bord qui l’a écoutée médusée dans un silence souverain. Couvée du regard par Paavo Järvi, attentif à la moindre de ses inflexions, la violoniste andalouse a dialogué avec un Orchestre de Paris polychrome, de sonorités chaudes et onctueuses. En bis, María Dueñas a donné Recuerdos de la Alhambra de Francisco Tarrega (1852-1909) dans un arrangement pour violon solo de Ruggiero Ricci.

Paavo Järvi. Photo : DR

Avant le concerto, l’orchestre au complet a donné une interprétation poétique et flamboyante de la première suite de la musique de scène de Peer Gynt op. 23 d’Edvard Grieg, et en seconde partie la trop rare Symphonie n° 2 « Les Quatre Tempéraments » op. 16 que Carl Nielsen a composée en 1901-1902, une musique dans laquelle Paavo Järvi excelle, lui donnant tout son bouquet, ses contrastes, sa puissance évocatrice, sa fluidité intrinsèque, tandis que les pupitres solistes, à l’instar des tutti, ont trouvé à exprimer à satiété leur virtuose musicalité.

 Bruno Serrou

jeudi 29 septembre 2022

Pour ses 70 ans, Heiner Goebbels a présenté au Festival d’Automne « Liberté d’action » inspiré d’Henri Michaux

Paris. Festival d’Automne 2022. Théâtre du Châtelet. Mardi 28 septembre 2022

Le Festival d’Automne à Paris, créé en 1972 par Michel Guy, rend hommage à l’un de ses plus fidèles compositeurs, Heiner Goebbels, qui célèbre ses soixante-dix ans et dont il a présenté quatorze spectacles en trente ans

Heiner Goebbels (né en 1952). Photo : DR

Compositeur, interprète, scénographe, l’Allemand Heiner Goebbels est à soixante-dix ans une sorte de Kurt Weill contemporain, iconoclaste et populaire. Il se félicite volontiers du fait que sa musique soit un melting-pot de la musique de son aîné Hanns Eisler, du free jazz, du hard rock, de la pop’ music, du rap, du bruitage, de l’avant-garde, du classicisme... « Je viens de l’improvisation, rappelle Goebbels. Etudiant, je dirigeais un groupe rock, les Cassiber, avant de travailler avec les grands improvisateurs Don Cherry et Arlo Lindsay. Mes œuvres n’ont cependant rien d’improvisé. Car, au jazz, au hard rock se mêle à ma culture l’histoire de la musique, de Bach à Schönberg. Je n’apprécie guère le romantisme, que je trouve trop sombre, mes propres textures étant liquides, transparentes. »

Heiner Goebbels, Liberté d'action. Photo : (c) Bruno Serrou

Admirateur de Prince, Helmut Lachenmann, Luigi Nono et Steve Reich, proche de Daniel Cohn-Bendit, Goebbels se flatte d’écrire non pas pour les spécialistes, mais pour le grand public. En Allemagne, il s’est forgé une réputation enviable pour son théâtre musical, ses musiques de scène, film et ballet, et pour ses pièces radiophoniques, mais son catalogue couvre tous les genres, de la musique de chambre au grand orchestre en passant par la scène et l’écran.

Heiner Goebbels, Liberté d'action. Photo : (c) Festival d'Automne à Paris

Né le 17 août 1952 à Neustadt an der Weinstraße en Rhénanie-Palatinat, vivant depuis près de cinquante ans à Francfort-sur-le-Main, membre de l’Académie des Arts de Berlin depuis 1994, professeur à l’European Graduate School à Saas-Fee (Suisse) et à l’Institut d’Etudes Théâtrales Appliquées de Gießen, Goebbels est depuis les années soixante-dix l’un des compositeurs vivants d’outre-Rhin les plus joués dans le monde, sans doute parce que son œuvre entier résonne des sons de la ville, de la vie de la cité, son incontestable univers. « Je ne veux pas être illustratif, tempère-t-il cependant. Mon propos tient plutôt du subjectif. Je m’intéresse à l’architecture des villes. Tout comme le tissu urbain, ma musique est en constante évolution. Qu’on l’aime ou qu’on la déteste, qu’elle soit menaçante ou protectrice, la cité est plus fascinante que la campagne. Elle ne peut néanmoins pas tout donner, et elle n’est souvent qu’un succédané. »

Heiner Gorbbels, Liberté d'action. David Bennent (comédien). Photo : (c) Ferstival d'Automne à Paris

Sa collaboration avec le dramaturge Heiner Müller a conduit Goebbels à considérer la musique comme mode d’expression et de communication inextricablement lié à tous les arts, ce qui l’a conduit à créer un langage qui lui est personnel, en dépit de son éclectisme, tenant principalement du théâtre d’improvisation. Parmi ses œuvres les plus significatives, la pièce de théâtre musical Ou bien le débarquement désastreux créé à Paris en 1993, Surrogate Cities, sa première partition pour grand orchestre donnée en première mondiale par la Junge Deutsche Philharmonie, La Reprise (1995) sur des textes de Soren Kierkegaard, Alain Robbe-Grillet et Prince, ou Industrie & Idleness créé en 1996 à la Radio Hilversum. En ce début de saison 2000-2001, Heiner Goebbels a donné simultanément en création mondiale deux grandes partitions, l’une à Munich le 28 septembre 2018, …Même Soir. - commande des Percussions de Strasbourg -, l’autre à Lausanne la semaine suivante, Hashirigaki, pièce de théâtre musical sur des textes de Gertrude Stein dont le compositeur conçoit également la mise en scène.

Heiner Goebbels, Liberté d'action. A gauche, Heiner Goebbels et David Bennent. Photo : (c) Bruno Serrou

En 2002, Goebbels signe son premier opéra, Paysage avec des parents éloignés, en 2004 c’est Théâtre de l’Odéon Eraritjaritjaka sur un texte d’Elias Canetti, suivi en 2007 par l'installation performative Stifters Dinge qui a été jouée plus de trois cents fois sur les cinq continents, le concert mis en scène Songs of Wars I have seen sur un texte de Gertrude Stein, commande du London Sinfonietta et de l'Orchestre the Age of Enlightenment, en 2008 Je suis allé à la maison mais je n’y suis pas entré sur des textes de Maurice Blanchot et Samuel Beckett. En 2012, il crée When the Montain change its clothings et il met en scène Europeras 1&2 de John Cage, en 2013, Delusion of the Fury d’Harry Partch et De Materie de Louis Andriessen. L’essentiel de ces productions a été présenté au Festival d’Automne à Paris depuis 1992, La Jalousie / Red Run / Befreiung / Herakles (1992), Surrogate Cities (1994), Schwarz auf Weiss (1997), Walden (1998), Eislermaterial (1999 et 2004), Les Lieux de là (1999), La Jalousie / Red Run (2002), Eraitjiaritjaka (2004), Paysage avec parents éloignés (2004), Fields of Fire (2005), I went to the House But Did not Enter (2009), When the Mountain changed its clothing (2012)…

Henri Michaux (1899-1984). Photo : DR

Il aura fallu attendre dix ans pour que Heiner Goebbles fasse son retour au Festival d’Automne, cette fois avec une création inspiré du peintre poète belge naturalisé français en 1955 Henri Michaux (1899-1984), Liberté d’action. Ce monodrame pour comédien, deux pianistes amplifiés et électronique live de soixante-quinze minutes se termine sur le beau texte de Michaux tiré du Plaisir d’être une ligne dédié au peintre suisse Paul Klee (1879-1940) :


« Une ligne rencontre une ligne. Une ligne évite une ligne. Aventures de lignes. 

Une ligne pour le plaisir d’être ligne, d’aller, ligne. Points. Poudre de points. 

Une ligne rêve. On n’avait jusque-là jamais laissé rêver une ligne. 

Une ligne attend. Une ligne espère. Une ligne repense un visage. […] 

Temps, Temps…

Une ligne de conscience s’est reformée. »


Donnant l’apparence de l’improvisation essentiellement tonale conduite par d’amples accords majeurs émis par deux pianistes, Hermann Kretzschmar et Ueli Wiget, qui usent aussi de clusters qu’ils propagent avec des barres de bois, cordes grattées dans le coffre des pianos placés sur des chariots à roulettes afin de faciliter leur ballet à travers le vaste plateau du Théâtre du Châtelet poussés tour à tour par l’un des trois protagonistes, Liberté d’action met principalement en jeu un comédien, le suisse David Bennent, qui, jouant de la percussion sur une table amplifiée couverte d’accessoires tout en formulant son texte en allemand et en français, réalise une véritable performance. Le problème est que l’essentiel du texte est traduit en allemand sans surtitres, si bien que le spectateur non germanophone ne capte que les rares passages exposés en français, pourtant la langue dans laquelle s’exprimait Michaux. Le spectacle souffre aussi de l’immensité de la scène du Châtelet, seulement investie par trois personnages, deux pianos, une table et quelques haut-parleurs, dans une scénographie de lumière sombre de Heiner Goebbels et Marc Thein.

Bruno Serrou

mardi 27 septembre 2022

La grande fresque « Le Banni » (The Outcast) d’Olga Neuwirth a ouvert à la Philharmonie la part musicale du Festival d'Automne 2022

Paris. Festival d’Automne 2022. Philharmonie de Paris. Salle Pierre Boulez. Lundi 26 septembre 2022

Olga Neuwirth (1968), The Outcast. Photo : (c) Philharmonie de Paris

Née à Graz le 4 août 1968, Olga Neuwirth est aux côtés de Karlheinz Stockhausen, Luigi Nono, Wolfgang Rihm, George Benjamin, Hugues Dufourt, Gérard Pesson entre autres, l’un des compositeurs les plus souvent joués au Festival d’Automne à Paris. La programmation musicale 2022 de cette manifestation de prestige s’est ouverte le 26 septembre sur le « théâtre installation musicale » (A musicstallation-theater) The Outcast (Le Banni) de la compositrice autrichienne sur un livret qu’elle a elle-même conçu en collaboration avec Barry Gifford et Anna Mitgutsh.

Olga Neuwirth, The Outcast. Photo : (c) Bruno Serrou

Il s’agit ici d’un hommage en trois parties avec épilogue à l’écrivain new-yorkais Herman Melville (1819-1891) qui se fonde pour l’essentiel sur son roman le plus célèbre aux côtés de Billy Budd écrit quarante ans plus tard - que Benjamin Britten a mis en musique en 1951 -, Moby Dick (1851). Pour les quatre vingt dix minutes que dure l’œuvre, l’adaptation d’Olga Neuwirth requiert la participation de cinq chanteurs solistes (soprano léger, soprano enfant, contreténor, ténor lyrique léger, baryton), acteur amplifié, acteur muet, chansonnier, narrateur (amplifié), chœur d’hommes et chœur d’enfants à vingt-quatre voix chacun et grand orchestre (bois et cuivres par deux, tuba, guitare électrique, accordéon, deux percussionnistes, clavier électronique MIDI/synthétiseur, cordes - huit-huit-six-six-quatre), dispositif électronique en temps réel et vidéo.

Olga Neuwirth (1968), The Outcast. Johan Leysen (le vieux Melville). Photo : (c) Philharmonie de Paris

Composé entre 2009 et 2011, créé à l’Opéra de Mannheim le 25 mai 2012, The Outcast (Le Banni) est le premier fruit de la fascination exercée sur Olga Neuwirth par l’œuvre de Herman Melville, la compositrice y trouvant des préoccupations contemporaines comme la discrimination, le racisme ou la catastrophe écologique qui menace l’humanité, elle puise l’idée d’un surprenant opéra transgenre, mêlant installation artistique, théâtre, oratorio et vidéo. La compositrice a parcouru la ville de New York pour recueillir des sensations qu’elle a ressenties dans un album photographique intitulé O Melville!. The Outcast revient sur son étude de l’écrivain new-yorkais et prend la forme d’une contribution puissante et expérimentale au théâtre musical contemporain, superposant des éléments d’oratorio, de performance, de film et d’installation. Cette œuvre univers qui atteint souvent une puissance tellurique est emplie d’ombres, de tragique, de secousses, de terreur et de mort. Un froid pénétrant, une peur panique, des relents de catastrophe transpercent le corps et l’esprit de l’auditeur, parfois à la limite du supportable, avec des soubresauts sismiques au milieu desquels pointent des moments de grâce, avec des citations aux contours grotesques, ironiques d’œuvres du passé ou aux élans populaires qui accentuent davantage encore le caractère lugubre et angoissant de l’œuvre.

Olga Neuwirth (1968) à la console. Photo : (c) Philharmonie de Paris

La production présentée lundi 26 septembre à la Philharmonie dans le cadre du Festival d’Automne (production du festival Wien Modern, du Wiener Konzerthaus et de l’Elbphilharmonie de Hambourg, en coproduction avec l’Ensemble Intercontemporain, le CNSMDP, la Philharmonie de Paris et le Festival d’Automne), repousse le cadre du concert par le biais d’une mise en espace, de costumes de Sukie Kirk et d’une installation vidéo multi-écrans élaborée par la réalisatrice britannique Netia Jones. Pour sa première en France, a été réunie sous la direction de Matthias Pintscher une distribution de tout premier plan, plus particulièrement la soprano Susanne Elmark dans le rôle d’Ishmaela, le baryton Otto Katzameier dans celui d’Ahab, le contreténor Andrew Watts en Queequeg, et l’acteur Johan Leysen, narrateur campant le vieux Melville. Il convient également de saluer la remarquable performance du chœur d’hommes Company of Music et de la maîtrise d’enfants bavaroise du Münchner Knabenchor dont la mission n’est pas des moindres, oratorio oblige. Côté instrumental, les tumultes et les grondements cataclysmiques d’une impressionnante beauté ont été remarquablement interprétés par les vingt-deux membres de l’Ensemble Intercontemporain enrichis de trente élèves du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris.

Olga Neuwirth (1968), The Outcast. Matthias Pintscher, Olga Neuwith, Otto Katzameier (Ahab, à droite). Photo : (c) Bruno Serrou

Reste à attendre le 13 décembre prochain pour se plonger dans une autre partition de grande envergure d’Olga Neuwirth, Le Encantadas, également inspirée de l’œuvre de Melville, de nouveau à la Philharmonie de Paris et dans le cadre du Festival d’Automne 2022.

Bruno Serrou

jeudi 22 septembre 2022

Pour sa 40e édition, Musica de Strasbourg rend hommage à deux de ses compositeurs fétiches, Georges Aperghis et Kaija Saariaho

Strasbourg (Bas-Rhin). 40e Musica. 15-18 septembre 2022. Palais des Fêtes, Théâtre du Maillon, Café Aedaen Speakeasy, TNS-Théâtre National de Strasbourg

Photo : (c) Bruno Serrou

Pour sa 40e édition, Musica de Strasbourg revient à l’esprit novateur qui en a fait l’un des rendez-vous majeurs de la création musicale contemporaine internationale


Georges Aperghis (né en 1945), Migrants. Solistes et Ensemble Resonanz, direction Emilio Pomarico. Photo : (c) Bruno Serrou

Le week-end d’ouverture était placé sous la figure de deux grands compositeurs qui ont choisi la France pour s’exprimer, le Grec Georges Aperghis et la Finlandaise Kaija Saariaho, deux fidèles du festival. Il a débuté sur une poignante soirée Palais des Fêtes en présence des directeurs successifs du festival, Laurent Bayle le fondateur, Laurent Spielmann, Jean-Dominique Marco et Stéphane Roth, avec la création de l’oratorio Migrants d’Aperghis sur des textes du poète polonais d’expression anglaise né en terre ukrainienne Joseph Conrad sur le drame de la migration, exhortation déchirante somptueusement interprétée par la soprano polonaise Agata Zubel, la mezzo-soprano ukrainienne Christina Daletska, l’altiste strasbourgeoise Geneviève Strosser et l’Ensemble Resonanz de Hambourg dirigé avec ardeur par le chef argentin Emilio Pomarico.


Kaija Saariaho (née en 1952), Only the Sound Remains, production de Ernest Martinez Izquierdo et Aleksis Barrière. Photo : (c) Bruno Serrou

Seconde invitée centrale de cette édition, Kaija Saariaho a assisté Théâtre du Maillon devant un public conquis à une nouvelle production du quatrième de ses opéras, Only the Sound Remains créé en 2016 dans une mise en scène de Peter Sellars vue à l’Opéra de Paris-Garnier en janvier 2018. Captivante, celle d’Aleksis Barrière, fils de la compositrice, a un caractère dépouillé propre au théâtre nô qui a inspiré l’œuvre, remarquablement dirigée par Ernest Martinez Izquierdo, déjà présent dans la fosse à Garnier, avec les excellents Michal Sławecki, contre-ténor, et Bryan Murray, baryton, un ensemble formé par le Quatuor Ardeo et trois musiciens, dont Eija Kankaanranta au kantele, instrument traditionnel finlandais à cordes pincées, quatre solistes du Cor de Cambra del Palau de la Musica Catalana, et la danseuse-chorégraphe japonaise Kaiji Moriyama.


Georges Aperghis (né en 1945), La Construction du Monde. Georges Aperghis, Nina Bonardi et Richard Dubelski. Photo : (c) Bruno Serrou

Le plaisir des festivaliers est d’enchaîner les concerts. Ainsi, le 17 septembre, quatre rendez-vous étaient fixés jusque tard dans la nuit. Dans l’arrière-salle d’un bar, le café Aedaen Speakeasy, Georges Aperghis accueillait les spectateurs pour La Construction du Monde, solo pour table percussive pleine de magie par le percussionniste-comédien Richard Dubelski dans une scénographie de Nina Bonardi, grave et tendre histoire de solitude et de désœuvrement pour tous publics où corps, gestes, sonorités apparemment anodines, la moindre syllabe chère au compositeur atteignent une fascinante théâtralité.


TNS-Strasbourg, salle de concert de l'ancien Conservatoire de Strasbourg au moment du Concert pour soi du 17 septrembre 2022. Photo : (c) Bruno Serrou 

Nouveau concept peu ordinaire de Musica, le « Concert pour Soi » : un musicien anonyme joue en solo face à un spectateur unique tout aussi anonyme un programme surprise dans un lieu surprise, à l’exemple de cette altiste de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg que je découvrais dans la salle de concert fantomatique du vieux Conservatoire de Strasbourg aujourd’hui dans le bâtiment du Théâtre National de Strasbourg, dans des pages pour alto de Max Reger et Georges Aperghis…


Concert-hommage à Kaija Saariaho (née en 1952). Photo : (c) Bruno Serrou

Grand concert-hommage à Kaija Saariaho Palais des Fêtes pour les soixante-dix ans de la compositrice par sa famille et ses amis qui, sous le titre-générique Kaija dans le miroir, ont retracé avec émotion son parcours avec pour fil conducteur un documentaire qu’Anne Grange est en train de réaliser ponctué d’œuvres pour petits effectifs interprétées live couvrant la période 1991 (Nuit, adieux) - 2016 (Light still and moving). Parmi les artistes pzrticipant à cet hommage, le violoncelliste Anssi Karttunen, le Quatuor Ardeon, le Chœur du Palais de la Musique de Catalogne, Faustine De Mones, Aliisa Neige Barrière, fille violoniste de la compositrice, la percussionniste Eija Kankaanranta, et, en seconde partie, des improvisations du groupe Tres Coyotes associant le compositeur Magnus Lindberg au piano, Anssi Karttunen au violoncelle et le bassiste du groupe pop’ Led Zeppelin John Paul Jones.

Bruno Serrou

Musica de Strasbourg se poursuit jusqu’au 2 octobre 2022. www.festivalmusica.fr 

vendredi 9 septembre 2022

L’Orchestre de Paris et Klaus Mäkelä ouvrent leur saison 2022-2023 dans un flamboyant programme croisant créations et chefs-d’œuvre du tournant des XIXe et XXe siècles

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Jeudi 9 septembre 2022

Orchestre de Paris et Klaus Mäkelä. Photo : (c) Bruno Serrou

Le premier concert de la saison 2022-2023 de l’Orchestre de Paris et de son directeur musical Klaus Mäkelä dans leur salle de la Philharmonie de Paris, a été donné le 9 septembre avec pour premier violon solo invité le Hongrois-Allemand Zsolt-Tihamér Visontay, qui a pu largement s’illustrer dans chacune des cinq partitions programmées.

Klaus Mäkelä et l'Orchestre de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

Le programme proposé était particulièrement dense et passionnant, avec trois œuvres contemporaines qui encadraient deux chefs-d’œuvre du tournant des XIXe et XXe siècles. Ouvert par le court mais somptueux morceau d’orchestre Asteroid 4179 : Toutatis composé en 2005 par la Franco-Finlandaise Kaija Saariaho (née en 1952) pour les Berliner Philharmoniker et dédié à Sir Simon Rattle, espace infini en constante évolution finement enchaîné pianissimo par les contrebasses à un extraordinaire Ainsi parlait Zarathoustra op. 30 de Richard Strauss (1864-1949) composé en 1896 et dédié à Mili Balakirev supérieurement coloré et contrasté, d’une force expressive saisissante vaillamment sollicitée par des pupitres d’une virtuosité vertigineuse de la totalité des musiciens de l’Orchestre de Paris.

Jimmy López Bellido, Klaus Mäkelä et l'Orchestre de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou 

Ces derniers ont ensuite magnifié le patchwork orchestral Aino (2022), commande de l’Orchestre de Paris dédiée à Klaus Mäkelä donnée en création du Péruvien Jimmy López Bellido (né en 1978) profondément marqué par ses études musicales en Finlande, brillamment orchestré mais qui commence façon Karl Amadeus Hartmann (1905-1963) et se conclut comme une symphonie de Dimitri Chostakovitch (1906-1975)…

Pascal Dusapin, Klaus Mäkelä et l'Orchestre de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

Seconde création de la soirée, A Linea, autre commande de l’Orchestre de Paris composée en 2021-2022 par Pascal Dusapin (né en 1955) dont on identifie immédiatement la patte orchestrale, et ses flux et reflux de vagues marines remarquablement instrumentés qui ont préludé à un hallucinant Poème de l’Extase op. 54 (1905-1908) d’Alexandre Scriabine (1872-1915) d’où le public est sorti en transe et au terme duquel il convient de saluer l’Orchestre de Paris en son entier, mais plus particulièrement la formidable performance de Frédéric Mellardi, infaillible trompette solo de l’orchestre parisien.

Bruno Serrou

Dédié à la mémoire du pianiste chef d'orchestre Lars Vogt, ce concert est repris ce vendredi 9 septembre à 20h00 et sa captation vidéo disponible pendant 90 jours sur le site Philharmonie Live

jeudi 8 septembre 2022

Le Philadelphia Orchestra et Yannick Nézet-Séguin triomphent en ouverture de la saison 2022-2023 de la Philharmonie de Paris

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mardi 6 et mercredi 7 septembre 2022

Yannick Nézet-Séguin, The Philadelphia Orchestra. Photo : (c) Bruno Serrou

Chaque année en ouverture de saison depuis son ouverture, la Philharmonie de Paris offre à son public de grands moments de fêtes symphoniques avec les orchestres qui comptent parmi les plus illustres au monde. Cette année, c’était au tour du légendaire Philadelphia Orchestra, l’un des « Big Five » des Etats-Unis dont le renom a été porté par quelques-uns des plus grands chefs d’orchestre de l’histoire de la musique depuis sa fondation en 1900 par Fritz Scheel : Leopold Stokowski pendant vingt-six ans, Eugene Ormandy pendant quarante-quatre ans, Riccardo Muti pendant douze ans, Wolfgang Sawallisch pendant dix ans, puis Christophe Eschenbach et Charles Dutoit, avant Yannick Nézet-Séguin depuis 2012…

Yannick Nézet-Séguin, The Philadelphia Orchestra. Photo : (c) Bruno Serrou

Les deux premiers concerts de la saison 2022-2023 de la Philharmonie étaient donc confiés au Philadelphia Orchestra dirigé par son directeur musical Yannick Nézet-Séguin. Le chef canadien a programmé en première partie du premier de leurs deux concerts deux œuvres d’autant de compositeurs états-uniens, mais à l’écriture et aux styles si proches que l’auditeur attentif a eu l’impression d’entendre deux fois la même partition : la compositrice « contemporaine » Valerie Coleman ayant « copié » Samuel Barber et son œuvre phare, Knoxville a Summer of 1915… Où est donc le temps où l’Orchestre de Philadelphie dirigé par Léopold Stokowski ou Eugene Ormandy programmaient des partitions des plus complexes en les interprétant comme des classiques, tels Mahler, Schönberg, Webern ou Ives ?… Néanmoins, ce n’est assurément pas des pièces dont on se souviendra, mais bel et bien de l’excellente soprano Angel Blue qui les a chantées, voix colorée, charnelle, ample, généreuse, riche en aigus souples et rayonnants.

Angel Blue, Yannick Nézet-Séguin, The Philadelphia Orchestra. Photo : (c) Bruno Serrou

La Symphonie n° 3 « Eroica » de Beethoven a été pur enchantement. Energiquement menée, voix clairement détachées et conduites en toute limpidité, chants et contrechants bondissant et sonnant avec grâce, le centre de l’œuvre qu’est la Marche funèbre a impressionné par sa détermination, sans pathos, chef et orchestre rendant simplement le tragique général mais de façon objective et mâle. 

Un bis un brin mièvre concluait ce premier concert, Adoration d’une certaine Florence Price… La soirée était dédiée au pianiste chef d’orchestre allemand Lars Vogt, directeur musical de l’Orchestre de Chambre de Paris qui s’est éteint lundi 5 septembre à 51 ans des suites d’un cancer du foie contre lequel il se sera longuement battu.

Yannick Nézet-Séguin, The Philadelphia Orchestra. Photo : (c) Bruno Serrou

Concert exceptionnel le lendemain pour le second rendez-vous fixé par le Philadelphia Orchestra et Yannick Nézet-Séguin au public de la Philharmonie de Paris, avec une fantastique Lisa Batiashvili en soliste. Vêtue aux couleurs de l’Ukraine, la superbe violoniste géorgienne a donné un époustouflant Concerto pour violon et orchestre n° 1 op. 35 du Polonais Karol Szymanowski, brûlant comme de la lave en fusion, faisant de l’orchestre un authetique partenaire, orchestre qui à chaque instant, y compris dans les tutti les plus puissants, a permis à la soliste de s’exprimer pleinement tissant avec elle des alliages sonores d’une beauté et d’une modernité stupéfiantes, tandis que le magnifique Poème pour violon et orchestre op. 25 du Français Ernest Chausson a atteint une intensité expressive et une plastique hallucinante. Deux bis s’en sont ensuivis, l’un en duo avec le chef au piano à l’arrière scène à jardin (Beau soir de Claude Debussy) l’autre en solo à l'avant-scène (Doluri d’Alexej Machavariani).

Lisa Batiashvili, Yannick Nézet-Séguin, The Philadelphia Orchestra. Photo : (c) Bruno Serrou

L’orchestre, déjà extrêmement brillant dans les concertos, a scintillé de tous ses feux dans une phénoménale Symphonie n° 7 en ré mineur op. 70 de Dvorak emplie de sève vivifiante dans laquelle le chef canadien a proposé une impressionnante chorégraphie depuis son pupitre. Deux bis de nouveau ont peaufiné la soirée que musiciens et publics se plaisaient à prolonger à satiété, Prière pour l’Ukraine du compositeur ukrainien le plus célèbre, Valentin Silvestrov, et la 21e Danse hongroise de Johannes Brahms. 

A l’issue du concert, Yannick Nézet-Séguin s’est vu remettre par Laurent Bayle, fondateur et ex-directeur de la Philharmonie de Paris, la médaille d’Officier de l’ordre des Arts et Lettres.

Bruno Serrou