Reportage
L’un des théâtres lyriques les plus dynamiques et les plus primés d’Europe, le Théâtre de La Monnaie de Bruxelles, traverse comme la grande majorité de ses semblables, l’une des périodes les plus délicates de son histoire. Ce qui ne l’empêche pas de se projeter dans l’avenir
Sous l’impulsion de son directeur
général Peter de Caluwe, l’un des directeurs d’Opéra les plus créatifs au monde,
le Théâtre royal de La Monnaie de Bruxelles, qui compte parmi les premières
scènes lyriques d’Europe et singulièrement novatrice, fourmille d’idées et
d’envies. Les projets ne manquent pas. Commencée en septembre, la saison
2020-2021, à l’instar des précédentes, s’était ouverte sur une création
mondiale, contrainte d’être donnée sans public pour cause de pandémie mais en
streaming (1) sur le site internet de l’opéra du Belge Jean-Luc Fafchamps, Is this the end ? (2). « Après
de nombreux retransmissions de spectacles des années passées pendant le
confinement, et devant l’impossibilité d’accueillir du public, rappelle Caluwe,
nous avons tenu à donner la création prévue dans une production CovidProof, pour reconnecter nos
spectacles avec la magie du direct. » La deuxième production de la saison
était elle aussi attendue, puisqu’il s’agissait pour Bruxelles de la création
de la Ville Morte d’Erich Wolfgang
Korngold ayant pour cadre la « Venise flamande » qu’est la ville de
Bruges dans une production venue de Varsovie mais légèrement retravaillée pour
l’adapter aux contraintes sanitaires du théâtre plus strictes que celles fixées
par la Région de Bruxelles et par le gouvernement fédéral. « Cette fois,
le public était présent, mais à mi-jauge, tandis que l’orchestre sur le plateau
était limité à cinquante-sept musiciens dans une réalisation de Leonard Eröd.
Mais nous avons dû interrompre les représentations après la deuxième pour cause
de reconfinement. »
Institution fédérale aux côtés de
l’Orchestre National de Belgique et des Bozar de Bruxelles, toutes trois
subventionnés par le ministère des Affaires étrangères parce que participant à
la renommée de la Belgique à travers le monde, le Théâtre de La Monnaie est
fermé jusqu’à une date indéterminée, après
une première échéance fixée au 15 novembre, date qui correspondaient à la fin
des vacances prolongées de Toussaint en Belgique. Si bien que si cette prolongation
du confinement perdurait, toutes les productions engagées seront qui seront reportées
le seront sur les saisons suivantes. « Il n’est pas question de perdre les
investissements déjà engagés, surtout ceux des spectacles en coproductions, s’engage
Peter de Caluwe. Chevalier à la rose,
Dame de pique, Falstaff… » Le dernier opéra de Verdi, qui devait être le spectacle
de fin d’année, est lui aussi repoussé. Ce qui est motivant pour nous, c’est
que le public nous fait confiance non seulement pour la qualité des spectacles
mais aussi sur le plan de la sécurité sanitaire, car il ne craint pas de venir
à La Monnaie. Dès que la saison a été annoncée, quatre vingt douze pour cent de
nos abonnements ont été remplis, et quand les jauges s’élargissent, le public
en profite. Pour La Ville morte, la
liste d’attente était de deux mille cinq cents personnes pour des demi-salles.
Si nous avions pu aller au terme des représentations, nous aurions équilibré
nos coûts. Ce sont ces pertes nous contraignent à reporter Falstaff prévu en décembre, bien avant que la prolongation de la
fermeture des salles de spectacles soit décidée par le gouvernement fédéral. »
Tout en restant réaliste, La
Monnaie souhaite ne pas bousculer ses prochaines saisons. Peter de Caluwe
entend répartir les spectacles annulés sur plusieurs années en les intégrant
aux programmations déjà engagées. « Nous pensons aujourd’hui à l’hiver et
au printemps prochains, dit-il, nos projets étant plus ou moins sous contrôle
d’ici le mois de juin. Si, lors du premier confinement, nous avons pu payer
tous nos collaborateurs, nous sommes cette fois contraints de les mettre au
chômage technique, rien n’étant prévu par notre tutelle, mais nous essayons de
maintenir un maximum d’entre nous en activité. »
Les artistes engagés pour les
productions reportées voient leurs contrats reconduits sur les dates futures,
car ils restent liés à ces productions quelles que soient les dates fixées dans
les saisons à venir. Tous ont refusé les à-valoir qui leur ont été proposés.
« Nous avons dû adapter notre programmation à ce nouveau confinement, constate
Peter de Caluwe, mais nous espérons qu’en janvier il sera possible de relancer
une programmation qui se tient, car nous ne pouvons pas travailler à plein
temps à cent pour cent de nos effectifs dans les ateliers de décors et de
costumes, et nous n’avons pas l’autorisation de faire des tests Covid-19 sur
des personnes qui sont asymptomatiques. Ainsi, la production prévue en
janvier-février du Tour d’écrou de
Britten, tous les acteurs de la production devraient être testés dans leurs
pays d’origine quarante-huit heures avant d’entrer en Belgique, puis il
faudrait les tester à chaque répétition et à chaque représentation… Ce qui
tient de l’impossible…
Le Théâtre de La Monnaie en son
entier ne pense qu’à l’avenir, sûr d’être capable de s’adapter à toutes les
situations, jusqu’à deux cents places si nécessaire en janvier et février
prochains, et s’il envisage bien sûr le pire, il ne cède en rien à la
frustration et à l’angoisse, bien qu’il ne soit pas question d’envisager des
déficits qui ont trop longtemps entravé l’activité du théâtre de la fin de
l’ère Gérard Mortier jusqu’en 2013. « Nous ne touchons pas aux prochaines
saisons, assure Peter de Caluwe, et nous maintenons les commandes que nous
avons passées à Philippe Boesmans, On a
purgé bébé de Feydeau pour Noël 2022, et à Bernard Foccroule en
2023. »
Bruno Serrou
1) www.lamonnaie.be/fr/streaming/1793-is-this-the-end.
2) Quelques heures avant la première répétition, le chef d’orchestre Patrick
Davin était terrassé à 58 ans par un arrêt cardiaque le 9 septembre