Prades (Pyrénées-Orientales), Festival Pablo Casals, Eglise
Saint-Pierre de Prades et Abbaye Saint-Michel-de-Cuxa, dimanche 26 et lundi 27
juillet 2015
L'Abbaye de Saint-Michel-de-Cuxa. Photo : (c) Bruno Serrou
Créé voilà soixante-cinq ans par
le grand violoncelliste dont elle porte le nom arrivé à Prades en 1939 après le
coup d’Etat franquiste et la chute de la République espagnole à Barcelone, le
Festival Pablo Casals irrigue depuis sa fondation toute une région de la Catalogne
française, le Conflent, de Rodès à Mont-Louis, avec Prades, la capitale, pour épicentre.
Le retable baroque de l'Eglise Saint-Pierre de Prades. Photo : (c) Bruno Serrou
C’est à Prades qu’a été organisé à
l’instigation de Casals le tout premier concert, le 2 juin 1950, au pied du célèbre
retable de l’église Saint-Pierre qui évoque la vie de l’apôtre à qui le Christ
a confié les clefs du paradis. Au programme, Jean-Sébastien Bach, bicentenaire
de la mort du Cantor de Leipzig oblige et seul compositeur à pouvoir sortir
Casals de son mutisme. Ce concert a réuni autour de lui rien moins que son
confrère Paul Tortelier, les violonistes Isaac Stern, Alexander Schneider,
Joseph Szigeti, l’altiste William Primrose, le pianiste Rudolf Serkin… En un
mot comme en cent, les plus grands musiciens de la planète. Ils y ont découvert
des édifices d’une âpre beauté, telle l’abbaye de Saint-Michel de Cuxa rénovée
grâce à Casals et dont les pierres racontent l’histoire du festival dont elle
est le centre névralgique. « Nous allons aussi sur les traces des peintres,
remarque Michel Lethiec, directeur artistique du festival. Par exemple à Céret,
où Picasso, ami des musiciens, a offert une collection d’assiettes au musée. La
conservatrice nous y accueille et nous mettons en regard musique et peinture.
Nous improvisons sur les œuvres exposées qu’elle présente. Nous faisons la même
démarche au musée de Sérignan. Au Palais des Rois de Majorque de Perpignan, où
jouait Casals, nous offrons chaque année un concert grand public gratuit. Nous
allons jusque dans l’Hérault, à Saint-Guilhem-le-Désert, où le maire nous prête
l’abbaye de Gellone. » Autres cadres uniques pour un festival, la Grotte
des Grandes Canalettes, le Prieuré de Serrabonne, les églises de Cattlar, Corneilla-de-Conflent,
Villefranche-de-Conflent et Vinça, Vernet-les-Bains, le Grand Hôtel de Molitg-les-Bains
où Casals descendait pour des cures et où son piano est toujours exposé tandis
que son carillon le Chant des oiseaux
sonne les heures, l’abbaye Saint-Martin-du-Canigou… « Nous choisissons nos
programmes en fonction des lieux, confie Lethiec. Par exemple les ’’mélodies en
sous-sol’’ dans la grotte, avec une œuvre en sol mineur et une autre dédiée aux
victimes du tremblement de terre de Tōhoku. » Ainsi, à Prades, dans la
continuité humaniste de Casals, musique et patrimoine sont étroitement mêlés, agrégeant
pédagogie, humour, sensibilité artistique et tourisme.
Pierre Amoyal, Jurek Dybal et le Sinfonietta Cracovia. Photo : (c) Hugues Argence
Le programme du premier concert de l’histoire du Festival Pablo
Casals de Prades reconstitué
Cette année, j’ai personnellement
été un peu décontenancé par le calme qui a régné sur Prades durant les deux
jours que j’y ai passés. En effet, contrairement à mes habituels séjours, trois
ans après mon dernier passage dans ce festival que je fréquente depuis plus de
vingt ans, les cent quarante six stagiaires de vingt-deux nationalités de l’Académie
internationale de musique qui animent généralement la paisible cité du pied du
Mont Canigou n’étaient pas encore arrivés, et, n’assistaient donc pas aux
concerts de leurs professeurs. Il n’empêche, organisé dans la nef de l’Eglise
Saint-Pierre, le concert d’ouverture était archi-comble. Il faut dire que le
soliste à l’affiche ce soir-là est aussi célèbre que rare, puisqu’il s’agissait
du violoniste Pierre Amoyal, célébrité qui va bien au-delà du vol en 1987 en
Italie de son Stradivarius qu’il avait laissé le temps d’une emplette dans sa
Porsche non fermée à clef, et qu’il retrouvera quatre ans plus tard. Contrairement
aux musiciens invités à Prades appelés à se produire plusieurs fois et à
séjourner durant les deux semaines de l’Académie, Amoyal n’aura fait que passer
le temps de cette soirée. Il s’agissait pour Michel Lethiec de présenter le
même programme pour l’ouverture de l’édition 2015 que celui du tout premier
rendez-vous de l’histoire du festival, en juin 1950, avec une tête d’affiche
aussi réputée que toutes celles réunies voilà soixante-cinq ans. Mais, si Pierre
Amoyal est apparu digne de sa réputation et de ses aînés, ce n’aura pas été le
cas de l’ensemble polonais qui lui a donné la réplique, le Sinfonietta Cracovia
dirigé par Jurek Dybal, infiniment moins aguerri que celui de 1950. Le Concerto brandebourgeois n° 6 en si bémol
majeur BWV 1051 pour deux violes « da braccio », deux violes de
gambe, un violoncelle et basse continue a beau avoir été joué sur instruments
modernes (à l’exception du clavecin), les parties d’altos ont rapidement révélé
la virtuosité limitée des cordes de cette formation en effectifs réduits.
Pierre Amoyal. Photo : (c) Hugues Argence
Même
impression dans le Concerto pour deux
violons en ré mineur BWV 1043, les sonorités solaires et le jeu maîtrisé d’Amoyal
ne trouvant pas son pendant dans son partenaire d’un soir, Maciej Lulek, violon
solo du Sinfonietta Cracovia, à l’archet pesant et dur et à la justesse
approximative. Soutenu par un ensemble plutôt discret, Amoyal a imposé son jeu
assumé et sa plénitude sonore dans le Concerto
pour violon en mi majeur BWV 1042, tandis que, pour finir, les cordes de la
formation polonaise étaient favorablement rejointes par des bois (deux hautbois
et un basson) solides et onctueux. Contrebassiste au sein du Philharmonique de
Vienne et directeur du Sinfonietta Cracovia, Jurek Dybal n’économise guère son
énergie, s’investissant à l’excès en regard des nécessités des œuvres programmées
et des résultats qui émanent de sa gestique pour le moins envahissante - que sera-ce
lorsqu’il dirigera la Symphonie « des
Mille » de Mahler ?...
Le choeur de l'Abbaye Saint-Michel-de-Cuxa. Photo : (c) Bruno Serrou
Le Fine Arts Quartet et Michel Lethiec
Dans la salle emblématique du
Festival de Prades qu’est l’Abbaye Saint-Michel-de-Cuxa, devant un parterre
moins fourni que la veille, le public ayant sans doute été refroidi par la
présence au programme d’une « œuvre contemporaine », le Fine Arts
Quartet de Chicago a imposé sa technique et son entente infaillibles. Une
curiosité, le premier des deux Quatuor à
cordes de Serge Rachmaninov, celui composé à l’âge de 16 ans et qu’il
laissa inachevé au terme du second mouvement, Scherzo - le second quatuor, quoique de sept ans postérieur et
révisé en 1910 et 1913, subira le même sort. L’originalité de cet essai est la Romance initiale exécutée d’un bout à l’autre
avec sourdines et l’évocation au violoncelle de la balalaïka.
Michel Lethiec, directeur du Festival Pablo Casals de Prades, présente le concert du 28 juillet 2015 en l'Abbaye Saint-Michel-de-Cuxa. Photo : (c) Bruno Serrou
La pièce centrale du programme
était la première audition en France d’un très long quintette du compositeur
états-unien David Del Tredici (né en 1937), Magyar Madness pour clarinette et quatuor à cordes,
donné en présence de son auteur par le Fine Arts Quartet rejoint par Michel
Lethiec. « Les
compositeurs américains sont les meilleurs, s’est aventuré Del Tredici dans une
interview de juillet 2002. Actuellement, nous sommes le cœur de l’énergie
créatrice. Nous sommes les plus hétéroclites, les plus iconoclastes, les plus
francs-tireurs, les plus habiles. Autant que je puisse le mesurer, l’Europe est
encore claquemurée dans une sorte d’étau atonal. Ses compositeurs ont de très
pauvres parents - si vous pensez à Stockhausen, Boulez, Nono, l’ensemble de ces
gens sont des morts-vivants accrochés à des cintres -, alors qu’en Amérique
nous sommes épanouis. Nous sommes toutes sortes de choses, minimalistes,
tonals, atonals, pop’ music intégrée à la musique contemporaine… L’Amérique est
un immense chaudron singulièrement vivant. Cela me rappelle le début du XXe
siècle où tout se passait en Europe, qui était alors variée et multiple. »
Avec de telles convictions, il était permis d’espérer quelque audace de la part
de ce « créateur ».
Le Fine Arts Quartet et Michel Lethiec. Photo : (c) Hugues Argence
Or, la seule impression qui est résultée de cette
partition de plus de quarante minutes, en dehors de son introduction plutôt
confuse au point de titiller brièvement l’oreille, est la somnolence, le vide
sidéral, le néo-tout-ce-que-l’on-veut mais tragiquement en-deçà des originaux,
y compris de Cole Porter dont un court standard revient constamment et finit
par vite lasser. Seule la clarinette, totalement absente dans le mouvement lent
central, séquence interminable néo-larmoyante réservée au seul quatuor, se voit
offrir le privilège d’un traitement non pas plus audacieux mais plus varié,
indépendant et virtuose, ce dont a su profiter Michel Lethiec pour se mettre
opportunément en valeur, tandis que le Fine Arts Quartet assumait a minima sa
partie.
Le Fine Arts Quartet. De gauche à droite : Robert Cohen (violoncelle), Ralph Evans (premier violon), Juan-Miguel Hernandez (alto) et Efim Boico (second violon). Photo : (c) Bruno Serrou
Ce qui n’a pas été le cas dans le Quatuor à cordes n° 1 en la mineur op. 41/1 de Robert Schumann. Les quatre
archets de Chicago ont offert une interprétation saisissante, avec le premier
violon tenu par Ralph Evans dont on eut cependant aimé un peu plus de
luminosité, le violoncelle chaleureux de Robert Cohen et, surtout, l’alto de
Juan-Miguel Hernandez exaltant des sonorités épanouies et charnelles, ont érigé
un dialogue voluptueux, tandis que le second violon d’Efim Boico y a apporté sa
touche aussi délectable qu’efficace de couleurs et de flamme.
Bruno Serrou
Le Festival Pablo Casals de Prades
continue jusqu’au 13 août 2015. www.prades-festival-casals.com