mercredi 15 juillet 2015

Le Festival Messiaen au Pays de La Meije et ses arborescences

Festival Messiaen au Pays de La Meije. La Grave, église. Le Chazalet, église. Lundi 13 et mardi 14 juillet 2015

La Meije. 14 juillet 2015. Photo (c) : Bruno Serrou

Etre cet été du Festival Messiaen au Pays de La Meije tient du pèlerinage médiéval. En effet, la principale voie d’accès à La Grave, village situé aux confins des Hautes-Alpes et de l’Isère, qui relie Grenoble et Briançon, est en effet fermée depuis le 10 avril pour une durée indéterminée. En cause, l’effondrement attendu d’un pan de montagne à l’aplomb du lac du Chambon. Venant du nord, il est de ce fait nécessaire de passer par les cols du Galibier et du Lautaret ou par Oulx pour qui opte pour le train. Mais pour mélomanes, randonneurs, alpinistes et vacanciers qui réussissent à rejoindre ce village de 500 habitants, c’est pain béni car cette route habituellement très fréquentée n’a jamais été aussi paisible qu’en ce moment. Au point que les fous de vélo sont actuellement les rois du bitume alors-même que l’étape du Tour de France initialement prévue a dû être annulée. Il n’empêche, le public est bel et bien présent et toujours singulièrement empressé.

Olivier Messiaen (1908-1992). Photo : source The Guardian

Le Festival Messiaen est désormais le rendez-vous obligé des compositeurs contemporains, de leurs interprètes et des amateurs de création musicale, car il est le seul du genre en période estivale. Une sorte de Festival Musica de Strasbourg transposé au cœur du massif escarpé de l’Oisans. Chaque année, mises en regard avec celles du Maître Olivier Messiaen (1908-1992), plusieurs œuvres sont données en première mondiale en présence de leurs concepteurs, tandis que des jeunes talents sont mis à l’honneur, compositeurs comme interprètes. Mais Messiaen est toujours au centre de la programmation, et le point fort de cette dix-huitième édition sera dans  l’exécution le 18 juillet de Et expecto resurrectionem mortuorum que Messiaen a composé en 1964 à la demande d’André Malraux pour le vingtième anniversaire de la Libération. Cette partition sera donnée à flanc de montagne à 2400 mètres d’altitude par l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, devant un lac naturel de La Meije. Un hélicoptère est requis pour monter à flanc de montagne percussion et contrebasses pour les deux autres œuvres programmées, rien moins que le Lontano de György Ligeti et Tod und Verklärung de Richard Strauss, tandis que musiciens et public seront obligés d’emprunter le téléphérique.

Vanessa Wagner (piano) et Catherine Hunold (soprano), église de La Grave. Photo : (c) Colin SAMUELS

Outre cet événement auquel je n’aurai pas la chance d’assister, étant alors en Suisse pour le Festival de Verbier, le festival 2015 propose l’intégrale des mélodies de Messiaen, qu’elles soient pour voix et piano ou pour ensemble vocal. Ces cycles représentent une sorte de journal intime du compositeur pianiste et organiste, le chant étant l’expression fondamentale de la musique. Ainsi, la voix est chez Messiaen une constante, des premiers essais que sont les Trois Mélodies de 1924 jusqu’aux huit années passées sur la genèse monumentale de son unique opéra, Saint François d’Assise (1975-1983), qui contient tout Messiaen. La voix humaine, qu’elle soit soliste ou chorale, a suscité de prégnants chefs-d’œuvre de la part du musicien des oiseaux et de la nature qu’il aimait à fréquenter dans les hauts alpages du Dauphiné. La poésie a toujours fait partie de l’univers de ce fils de la poétesse Cécile Sauvage (1883-1927). Si bien qu’il a choisi d’écrire lui-même la plupart des textes qui ont inspiré sa musique. Ecrits sur ses poèmes qui chantent le mariage, « symbole de l’union du Christ [l’homme] et son Eglise [la femme] », dédiés à sa première épouse, la violoniste Claire Delbos morte prématurément dans de terribles souffrances, les Poèmes pour Mi ont été donnés dans leur version avec piano par un grand soprano dramatique, 

Vanessa Wagner (piano) et Catherine Hunold (soprano), église de La Grave. Photo : (c) Colin SAMUELS

Catherine Hunold, qui remplaçait au pied levé Karen Vourc’h, souffrante. De sa voix puissante et pleine, son interprétation s’est avérée d’autant plus impressionnante qu’elle découvrait la partition qu’elle n’a eu le temps de travailler que quelques jours avant cet unique concert. Assurée de la puissance vocale de sa partenaire, Vanessa Wagner a pu donner à son piano la plénitude de l’orchestre dans lesquels ces poèmes sont le plus souvent exécutés. En raison de ce changement de partenaire inattendu, la pianiste a dû assurer seule la première partie de la soirée. Pour ce faire, tout en retenant des pages des deux compositeurs initialement prévus, elle a choisi de Pascal Dusapin (né en 1955) deux des Etudes pour piano que le compositeur lui a dédiées, les première et troisième (1999), ainsi que les trois Estampes pour piano (1903) de Claude Debussy (1862-1918) auxquelles Vanessa Wagner a donné au sein de la chaude acoustique de la petite église de La Grave leurs sensuelles couleurs.  

Marie Vermeulin (piano) et Elodie Hache (soprano). Eglise de La Grave. Photo : (c) Colin SAMUELS

Accompagnée avec grâce et ferveur par Marie Vermeulin, qui fréquente assidûment autant le Festival Messiaen que les mélodies du compositeur, qu’elle a enregistrées avec Nathalie Manfrino (1), la jeune soprano Elodie Hache, que l’on connaît surtout comme interprète du répertoire baroque, a donné des douze mélodies du troisième grand cycle vocal de Messiaen, Harawi, Chants d’Amour et de Mort de 1945 (premier volet de la trilogie dite « de Tristan », avec les Cinq Rechants et la Turangalîla Symphonie) une interprétation engagée, lumineuse et pleine de verve. Une heure de bonheur pur, avec le piano aux sonorités pleines et enluminées galvanisé par le toucher surnaturel de Vermeulin.

L'Ensemble Musicatreize, église du Chazalet. Photo : (c) Bruno Serrou

Sous les voûtes de l’église du Chazalet, plus petite encore que celle de La Grave mais acoustiquement moins flatteuse, ce sont les Cinq Rechants pour douze voix mixtes de Messiaen qui ont résonné. Ce recueil composé en 1948 sur des poèmes en une langue plus ou moins inventée par le compositeur, qui emprunte aux grands mythes amoureux, des troubadours Jaufré Rudel et Folquet de Marseille à Pelléas et Mélisande de Debussy en passant par Tristan et Isolde de Wagner, constitue depuis près de soixante-dix ans un véritable référent, ne serait-ce que du point de vue de l’effectif. Ce dernier volet de la trilogie dite « de Tristan », alterne comme son titre le suggère couplets (chants) et refrains (rechants), et emprunte une partie de ses rythmes aux Decî-Tâlas indiens. Cette œuvre particulièrement inventive a été chantée avec dextérité et élégance par Musicatreize. La fin de l’exécution de ce remarquable recueil a été précisément marquée par la cloche de l’église qui sonnait 10h du soir. L’ensemble vocal marseillais a mis en regard trois œuvres d’autant de compositeurs, toutes trois enrichies de percussion. Pour Ardor (2015), que Musicatreize a créé à Marseille le 30 avril dernier, Philippe Schœller (né en 1957) a confié à chacun des douze chanteurs un instrument à percussion particulier, peau, bois, métaux, allant de la grosse caisse à la cloche de vache et au gros tam-tam, mais à l’exclusion des claviers. Cette pièce d’une vingtaine de minutes se fonde sur le poème éponyme de Frederika Amalia Finkelstein (née en 1991) qui évoque l’amour, « ses adresses, ses énigmes, ses territoires de feu ». L’œuvre se présente tel un rituel qui puise dans différents types de cultures, dont l’arborescence est assurée par une percussion spécifique à chaque chanteur. Créé le 29 mars 1994 par le Chœur de Radio France, dédié à Maurice Ohana, Chu-Ky VI de Tôn Thât Tiêt (né en 1933) pour douze voix mixtes appartient au cycle de sept œuvres intitulé Chu-Ky pour diverses formations commencé en 1976, toutes centrées sur le principe de retour éternel ou de succession cyclique puisé dans la spiritualité hindoue. Ce sixième Chu-Ky adopte lui-même la forme cyclique commençant et s’achevant sur une formule identique exprimée sur l’invocation « Om », symbole de l’absolu pour les hindous, tandis que le tout semble à l’écoute former un cercle magique. La voix est souvent traitée en récitatif ponctué par la percussion cristalline jouée par les chanteurs.

Philippe Schoeller (à gauche) et François-Bernard Mâche (à droite). Photo : (c) Bruno Serrou

Compositeur en résidence cette année du Festival Messiaen, qui célèbre ainsi ses quatre-vingts ans et qui fut l’élève d’Olivier Messiaen, François-Bernard Mâche a présenté au public son œuvre qui concluait le programme. Danaé, pour douze voix mixtes et un percussionniste, a été conçu en 1970. Une œuvre créée à Persépolis dans les ruines du palais de Darius par l’Ensemble Marcel Couraud à laquelle Mâche donné ce titre après coup, parce que les sonorités utilisées lui semblaient évoquer la pluie d’or sur des murs de bronze qui figurent dans la légende de la mère de Persée. De l’aveu du compositeur, Danaé doit beaucoup à Nuit de son ami Iannis Xenakis. Autre source, un enregistrement réalisé au Cachemire, chez les Hunzas, considérés comme des païens par les musulmans et comme des étrangers par les hindous. « La légende veut qu’ils soient les descendants des soldats d’Alexandre le Grand, me racontait François-Bernard Mâche en 2004 (2). J’ai trouvé cette musique superbe, et il s’en trouve quelques échos dans Danaé, où j’utilise des instruments de percussion joués en même temps que de longues tenues vocales, trouvant cette association particulièrement intéressante. Mais j’ai utilisé des instruments que j’ai fait construire à l’imitation des tambours à boules fouettantes du Tibet. » Dans l’acoustique de l’église du Chazalet, Danaé est apparue un peu à l’étroit, tout en gardant sa force invocatrice chantée avec ferveur par l’Ensemble Musicatreize dialoguant avec l’excellent percussionniste Christian Hamouy.

Bruno Serrou

1) CD Universal Classics
2) François-Bernard Mâche, « De la musique, des langues et des oiseaux », entretien avec Bruno Serrou. Editions INA/Michel de Maule (316 p, + DVD Rom), © 2007. 25€


1 commentaire:

  1. Cher Monsieur Serrou,
    merci de votre article.
    il eut été délicat de préciser que Karen Vourc'h était malheureusement souffrante, et c est la raison pour laquelle elle a du annuler qques jours avant ce récital auquel elle tenait beaucoup.
    en vous remerciant,

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