Festival Juventus, Cambrai, Théâtre municipal, jeudi 2 juillet 2015
Félix Dervaux (né en 1990), lauréat Juventus 2015. Photo : (c) Festival Juventus
Cent-six lauréats Juventus en un quart de siècle d’existence. Tel est le nombre de jeunes musiciens qui forment désormais ce qui
est plus qu’une amicale, une élite européenne d’interprètes qui accomplissent
la plus belle des carrières de solistes et de chambristes.
La première promotion Juventus a compté en ses rangs Xavier
Phillips et Alexandre Tharaud, puis, en 1992, Marc Coppey et Andreas Scholl. L’année
suivante, François Leleux et Emmanuel Pahud les rejoignaient... Chaque année, des
jeunes interprètes sont invités à rejoindre Juventus sous la proposition de
leurs pairs, qui les accueillent, les parrainent et participent à leur premier
concert à Cambrai. Les musiciens s’y retrouvent une semaine avant le début du
festival pour y préparer des programmes variés et contrastés, avec plusieurs
effectifs possibles dans le cadre d’un même concert, dont les programmes
couvrent quatre siècles d’histoire de la musique.
Fondé en 1991 à Arc-et-Senan dans le Doubs par le Hongrois
Georges Gara, par ailleurs chargé de la programmation musicale du Théâtre de la
Ville à Paris, Juventus est implanté depuis dix-huit ans dans l’enceinte du
théâtre et du conservatoire qui le jouxte, dans cette cité de Cambrai déjà
marquée par la présence hongroise depuis huit cents ans, puisque sainte
Elisabeth avait pris la place cambrésine sous sa protection en 1207. « Je
rappelle n’être pour rien dans le choix des nouveaux membres du club Juventus,
relève Gara. Ce sont les musiciens qui attirent mon attention sur leurs jeunes
camarades et les choisissent de façon collégiale. Je ne fais qu’entériner leurs
choix. » La famille s’élargit chaque année d’un petit nombre d’unités, pour
atteindre cette année le chiffre respectable de cent-dix. A chacune des
investitures, les impétrants sont officiellement intronisés dans un concert
public en partie assuré par eux-mêmes et pour le reste en sonate ou en
formation de chambre avec leurs parrains.
Georges Gara remettant le trophée Juventus 2015 à Félix Dervaux. Photo : (c) Bruno Serrou
Cette année pourtant, un seul lauréat, le cent-sixième. Et
pas n’importe qui ; un virtuose de très grande classe, qui pourtant ne
mesure pas son talent tant il est naturel. Il s’agit d’un jeune corniste français,
Félix Dervaux, que les plus grands orchestres internationaux s’arrachent déjà,
perpétuant ainsi la réputation des « souffleurs » français dans le
monde. « La musique est pour moi une véritable philosophie, convient-il, et
je ne peux pas m’en passer, même quand je ne joue pas. Quand je travaillais mes
maths à la maison de l'école primaire jusqu'au baccalauréat, j’écoutais des disques ou France Musique, et quand je lis
aussi. » Ses prédispositions de musicien sont si considérables qu’il est à
25 ans l’un des cornistes les plus demandés dans le monde. Il s’avère être également
excellent pianiste, comme en a témoigné le bis qu’il a donné à l’issue de son
concert d’investiture Juventus, le 2 juillet. Cet enfant du pays - il est né en
1990 à Cambrai, et a commencé le piano et la percussion à l’Ecole de musique de
Caudry, avant d’entrer au conservatoire de Cambrai dans la classe de piano de
Philippe Keller et d’y découvrir le cor par hasard grâce à Yves Polvent qui
poussa un jour la porte de la salle de classe de piano (« S’il n’était pas
passé… »).
C’est grâce à Juventus que Félix Dervaux a découvert la
musique, le soir de l’ouverture de la première édition à Cambrai en juillet
1997 de ce festival hors normes né sept ans plus tôt dans le Doubs. Il avait
lui aussi 7 ans. D’abord attiré par le piano, pour suivre l’exemple d’Alexandre
Tharaud, qui l’avait ébloui ce soir-là, Felix Dervaux cherchait un autre instrument
pour rejoindre l’harmonie municipale de Caudry, et le hasard a fait que c’est
le professeur de cor qui passa la tête par la porte de la classe de piano à ce
moment décisif. « Le cor m’est apparu facile, se souvient-il, et mon
professeur était enthousiaste. Pourtant, le jeu n’est pas évident avant 14-15
ans. J’ai poursuivi mes études de piano jusqu’à 17 ans, pour finalement me
consacrer entièrement au cor. Je viens néanmoins de m’acheter un Yamaha
demi-queue, car le clavier me manquait terriblement. » Tout en entrant au
lycée, il envisage de devenir musicien, et décide de suivre le cursus complet
du Conservatoire de Cambrai en piano et cor, pour lequel il opte finalement, « le
piano étant trop solitaire pour [lui] qui a besoin de jouer avec d’autres
musiciens ». Préparé par Jean-Michel Vinit, il réussit le concours d’entrée
au Conservatoire National Supérieur de Musique de Lyon, où il intègre la
classe de David Guerrier. « Il m’a apporté sa rigueur incroyable, tant son
exigence est ahurissante. Je n’avais jamais imaginé qu’il y ait un tel niveau
de quête de perfection. Au point que je me croyais mauvais. » Pendant ses
études au Conservatoire de Lyon, ses qualités de musicien d’exception
commencent à se répandre. Grâce à ERASMUS, programme européen pour l’éducation,
la formation, la jeunesse et le sport, il se rend à Berlin pour se former
auprès de ses aînés au sein de l’Orchestre Philharmonique de Berlin, où il ses
dons ses capacités sont particulièrement appréciées. A la fin de son cursus du
CNSMDL, il est reçu au concours de cor solo de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon
en 2013. « L’opéra a une exigence différente de celle de musicien d’orchestre.
Il faut être très souple, attentif, car cela bouge beaucoup, à l’opéra, ce qui
aide à la dextérité, mais l’on est aussi caché du public, puisque l’on est dans
une fosse. »
La même année 2013, Félix Dervaux remporte le Concours
international de la ville de Porcia en Italie. Tout en travaillant à l’Opéra de
Lyon, il se présente en 2014, sur les conseils de Fergus McWilliam, l’un de ses
tuteurs durant son cursus à l’Académie du Philharmonique de Berlin au concours
pour le poste de cor solo de l’Orchestre Royal du Concertgebouw d’Amsterdam.
Ainsi, à 24 ans, il devient soliste de l’un des plus grands orchestres symphoniques
du monde, où il se fait d’ores et déjà brillamment remarquer, comme je l’écrivais
ici même le 21 février dernier (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2015/02/le-royal-concertgebouw-orchestra.html).
« J’aime l’orchestre, il y a de si belles choses pour le cor solo. Je
découvre ces parties avec infiniment de bonheur. Je veux tout faire dans ce
répertoire, et le faire vraiment bien. Il n’est donc pas question pour moi d’envisager
une carrière de soliste ni de chambriste à part entière. » Cet amour de l'orchestre pourrait très vite l'amener à l'Orchestre de Cleveland, où il a été appelé à postuler au poste actuellement vacant de cor solo...
Juventus 2015. Ernö Kallai (violon), Félix Dervaux (cor) et Katia Skanavi (piano). Photo : (c) Bruno Serrou
Pour son concert d’intronisation au sein de Juventus, donné
devant une salle pleine à craquer, où les Cambraisiens se sont bousculés pour
découvrir et entendre le premier enfant du pays à intégrer cette élite de
musiciens, entourant sa famille, ses amis et ses premiers professeurs, à l’exception
de ceux de piano à qui pourtant il avait tenu à réserver une surprise, Félix
Dervaux aura ouvert et fermé le programme, précédé par une jeune fille de onze
ans Alexandra Stychkina, avec qui Georges Gara, directeur du Festival, a voulu
symboliser la pérennité de Juventus au-delà de cette vingt-cinquième édition. C’est
sur une œuvre d’un compositeur allemand rarement joué en France, Josef
Rheinberger (1839-1901), la Sonate pour
cor et piano en mi bémol majeur op. 178, dont il n’a retenu que le Con Moto, que le jeune corniste
cambrésien né en 1990 a lancé le programme, dialoguant avec allant et chaleur
avec la pianiste russe Katia Skanavi, lauréate Juventus 1992. Conformément aux
structures des concerts Juventus, celui de jeudi a présenté des œuvres aux
formats variés, puisqu’entre deux prestations de Félix Dervaux ont été
intercalés trois lieder d’Hugo Wolf (1860-1903), sur des poèmes de Goethe et d’Eduard
Mörike et le cycle de mélodies de Francis Poulenc (1899-1963), Fiançailles pour rire sur six poèmes de
Louise de Vilmorin. La voix de la soprano belge lauréate Juventus 1999 dont la
voix lumineuse et le charme naturel ont magnifié les pages de Poulenc, tandis
que son élan et sa simplicité ont servi à la perfection celles de Wolf,
accompagnée avec conviction par la pianiste Barbara Moser, lauréate Juventus 1992,
dont la présence s’est néanmoins avérée trop affirmée. Le morceau de roi était
le sublime Trio pour piano, violon et cor
en mi bémol majeur op. 40 de Johannes Brahms (1833-1897) auquel Félix Dervaux
a restitué toute la poésie évocatrice qui le caractérise, particulièrement dans
l’Adagio, instillant tendresse et
chaleur à la mélancolie que d’autres cornistes peuvent rendre grise et prostrée,
une énergie joyeuse dans l’air de chasse du finale d’où émergent des accents tendrement
mélancoliques. Avec ses deux partenaires, le violoniste hongrois Ernö Kallai, lauréat
2011, et la pianiste Katia Skavani, il a donné à cette grande partition
chambriste un tour judicieusement symphonique, alternant tutti richement contrastés et charnus, dialogues chaleureux et fusionnels,
solos virtuoses et déliés, mettant également en relief les sublimes
respirations des admirables mélodies brahmsiennes. Seule ombre légère à cette
ardente interprétation, la chanterelle un peu rêche du violon.
Après avoir reçu son trophée Juventus des mains de la
pianiste autrichienne Barbara Moser, c’est avec Brahms que Félix Dervaux a mis
un terme au concert d’ouverture de Juventus 2015. Non pas au cor, comme la
salle s’y attendait, mais au piano, avec une impressionnante interprétation de
la Rhapsodie n° 2 en sol mineur op. 79/2
à laquelle le corniste a donné toute l’ampleur et l’inexorable élan.
Bruno Serrou
Festival Juventus Cambrai 2015, jusqu’au 14 juillet 2015. www.music-juventus.fr
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