Pour ses 30 ans d’existence, le festival Présences de Radio France fondé en 1991 par Claude Samuel célèbre du 2 au 7 février le compositeur français le plus prolifique et le plus joué de la génération des années 1950, Pascal Dusapin
« La musique de Pascal
Dusapin allie comme peu d’autres esprit et sensualité » écrit du
compositeur français son confrère et ami belge Bernard Foccroule, lui-même
compositeur, organiste et directeur d’institution qui fut le premier à lui
commander un opéra, Medeamaterial,
alors qu’il était directeur du Théâtre de la Monnaie de Bruxelles, maison
d’Opéra dont Dusapin est aujourd’hui encore l’un des compositeurs privilégiés,
au même titre que son aîné Philippe Boesmans. En fait, pour Dusapin sa propre musique
est l’expression du corps et de ses mouvements, et d’une spiritualité qui tient
d’une incarnation voire une révélation métaphysique en rapport avec le monde,
l’émotion. « Il est impossible de vivre dit-il sans espérer quelque chose
de supranaturel à l’homme, mais même le divin est l’expression du monde des
hommes invariable à toute civilisation. Dans l’Iliade par exemple, ce sont les hommes qui créent leurs propres
dieux et les corrompent au point que ces derniers se disputent entre eux comme
le font les hommes. »
Né à Nancy en 1955, reconnu comme
l’un des compositeurs français majeurs de sa génération, Pascal Dusapin est
aussi l’un des plus prolifiques et les plus joués. « Un artiste se nourrit
de tout ce qui lui arrive dans la vie, et les études en tant que telles ne
servent à rien. La certitude du travail
que l’on a à accomplir s’acquiert sur un très court laps de temps », dit
ce créateur qui n’a suivi aucun cursus d’études traditionnel, suivant la classe
d’Olivier Messiaen au Conservatoire de Paris en auditeur libre, l’enseignement
d’Iannis Xenakis à l’université de Vincennes et un séminaire de Franco Donatoni
en Italie avant d’être pensionnaire à la Villa Médicis à Rome. « Les
jeunes compositeurs ont aujourd’hui plus de mal à sortir du rang. Pas seulement
parce qu’ils sont beaucoup plus nombreux. Le nouvel académisme, comme les
bruitistes ou les saturationnistes, les techniques se rationnalisent, notamment
avec une série de catalogages d’effets, ce qui va à l’encontre de ce que je
fais, chacune de mes œuvres étant le fruit d’un travail et d’une réflexion
spécifiques. »
Pascal Dusapin n’est pas un compositeur désespéré malgré la morosité du temps présent. « Un artiste qui a quelque chose à dire trouvera toujours le moyen de s’exprimer. Reste néanmoins à voir dans quelles conditions, considérant l’évolution actuelle du politique. Ainsi, la plus grande bibliothèque musicale d’Europe, qui se trouve à Amsterdam, qui voit son budget largement amputé parla seule volonté d’un politicien de 39 ans biberonné au rock, qui ne veut rien entendre du monde de la musique symphonique qui à ses yeux ne représente rien. Ces questions sociétales comme la cancel culture dépendent d’universitaires et de fonctionnaires salariés, jamais de personnalités indépendantes qui se battent pourtant pour que la Culture ait une valeur certaine. »
Atteint de la covid-19 en mars, Pascal
Dusapin a retrouvé son atelier après deux mois difficiles, ne retrouvant que peu
à peu ses capacités de travail. « Je voyage beaucoup moins, par la force
des choses, Trois nouvelles productions de mes opéras ont été non pas annulées
mais reportées, et je travaille sur des commandes qui m’ont été passées pour
les années 2022 à 2024, notamment sur un nouvel opéra. » Le compositeur n’en
reste pas moins inquiet face à l’avenir. « Les artistes, les théâtres sont
très mal traités. La Culture n’est plus un bien essentiel. Chaque fois que la
ministre ou un artiste s’exprime sur les difficultés du secteur, elle ou il a
droit à une bordée d’injures. Les gens qui apportent une part de rêve sont
toujours méprisés, dénigrés. On donne des milliards au secteur de la Culture,
mais ce ne sont pas les artistes qui en profitent, ce sont les salariés, les
administrations, les techniciens. Quatre vingt dix pour cent des budgets sont
engloutis par le fonctionnement. Je ne parle néanmoins pas le langage de
l’amertume, n’ayant aucun problème matériel. Les artistes sont des
boucs-émissaires, or les grandes économies ont souvent une grande politique
artistique. »
Contrairement à celle de l’an
dernier, l’édition 2021 de Présences se déroule sans public, pour cause de
couvre-feu. Mais émanation de Radio France, tous les concerts sont retransmis
sur France Musique en direct et en streaming. « C’est pour moi une
frustration totale, se désole Pascal Dusapin. En effet la musique est partage,
or cette fois je ne sais pas qui je touche pendant le festival. Mais en même
temps c’est très émouvant que Radio France fasse tout pour que ce festival de
création musicale contemporaine ait lieu, en dépit du contexte et de l’épée de
Damoclès qui plane dessus jusqu’à la fin de cette édition. »