Lynn Harrell (1944-2020). Photo : (c) Santa Barbara Symphony
Lynn Harrell, considéré comme l’un
des plus grands violoncellistes de la fin du XXe siècle et du début
du XXIe, est mort lundi 27 avril 2020 à Houston (Texas) où il vivait avec
sa femme, la violoniste Helen Nightingale. Il avait 76 ans. Sa mort survient treize
ans jour pour jour après la disparition de son illustre aîné russe Mstislav
Rostropovitch, le 27 avril 2007.
Né à New York le 30 janvier 1944,
fils de musiciens - son père était le baryton Mack Harrell, sa mère la
violoniste Marjorie Fulton -, Lynn Harrell étudie à la Juilliard School de New
York, puis au Curtis Institute of Music de Philadelphie avec Leonard Rose et
Orlando Cole. Orphelin à 17 ans, il fait ses débuts cette même année 1961 avec
l’Orchestre Philharmonique de New York à Carnegie Hall, avant d’être nommé
premier violoncelle du Cleveland Orchestra en 1964 jusqu’n 1971.
« J’étais à Cleveland me
confiait-il à Verbier le 21 juillet 2018 où je l’interviewais durant le Festival
où il donnait des master classes de violoncelle dans le cadre de l’Académie, quand
Lorin Maazel en était premier chef invité. Il n’a pas accepté le poste de
directeur musical avant mon départ. L’époque où j’ai rejoint le Cleveland
Orchestra, en 1963, je pense que les très grandes années de l’orchestre étaient
passées, car elles remontaient à la décennie 1950, George Szell étant arrivé en
1949. A ce moment-là, il organisait un minimum de cinq répétitions par
programme. Il a ainsi pu développer la culture du son et la culture générale de
l’orchestre. Même s’il a engagé de très bons musiciens, il préférait
parfois choisir des gens qui n’avaient pas forcément d’expérience au sein d’un
orchestre. Ainsi pouvait-il travailler en privé avec eux. Un musicien qui était
au cinquième pupitre des violons, c’était une chance incroyable. Bien sûr, il
appréciait les bons virtuoses, mais aussi les gens qui pouvaient s’intégrer
dans un ensemble et qui étaient des êtres humains relax, ce qui aidait à la dynamique dans l’orchestre. Georg
Szell m’a appris le sens de l’humilité pour être au service de la musique. Et le
sentiment que si vous n’aimez pas ou ne comprenez pas ce qui est le plus
heureux qu’un compositeur comme Beethoven a voulu obtenir, vous ne pourrez jamais
le faire. Si vous n’aimez pas du mieux possible ce que le compositeur a écrit dans
sa musique, vous ne l’aimez pas, vous ne pourrez jamais jouer ce que le
compositeur veut. La fidélité au texte est primordiale. »
En 1971, Harrell fait ses débuts
en récital à New York et entame alors une carrière de soliste et de chambriste,
notamment avec Itzhak Perlman, Pinchas Zukerman, Vladimir Ashkenazy, le Quatuor
LaSalle… Il est également un professeur fort couru, enseignant dans les écoles
de musique les plus prestigieuses, dont la Royal Academy of Music de Londres,
le Cleveland Institute et la Juilliard School, à la Shepherd School of Music de
Rice University, et il dirige de 1988 à 1992 le Los Angeles Philharmonic
Institute. En 2001, l’Orchestre Symphonique de Dallas crée la Lynn Harrell
Concerto Competition. « L’enseignement est fortement ancré en moi. Parce
que mes parents étaient d’éminents professeurs, et ce que j’appréciais le plus
chez George Szell par exemple c’est le fait qu’il adorait aider les jeunes. Et
cela m’est resté. »
Lynn Harrell avait possédé deux
violoncelles. Un Montagnana de 1720 et un Stradivarius de 1673, qui avait appartenu
à Jacqueline Du Pré. « J’ai vendu le Stradivarius, et le Montagnana est à
vendre, me disait-il en juillet 2018. Je joue maintenant un Christopher Dunjy
de 2008. J’ai joué les deux autres pendant cinquante ans, et j’ai jugé qu’il
était temps de les transmettre aux jeunes générations. Et je peux utiliser
l’argent récolté pour d’autres choses, m’acheter par exemple quinze Rolls Royce
[rires]… Plus sérieusement, pour l’éduction de mes jeunes enfants de 9 et 11
ans [en 2018], il me faut jouer énormément de concerts, alors que je commence à
me faire vieux, et donner toujours plus de cours, alors que j’ai envie d’être
davantage avec ma famille. »
Parmi les nombreux
enregistrements de Lynn Harrell, il faut retenir l’intégrale des Trios à cordes
de Beethoven avec Perlman et Zukerman (Warner), les Trios avec piano de Schubert avec Zukerman et Ashkenazy (Decca), les
Trios avec piano de Brahms avec
Perlman et Ashkenazy (Warner), le Concerto
n° 1 de Chostakovitch et Schemolo de Bloch avec l’Orchestre du
Concertgebouw d’Amsterdam et Bernard Haitink (Decca), les Suites pour violoncelle seul
de Bach (Decca), les Sonates pour
violoncelle et piano de Brahms
avec Stephen Kovacevich (Warner)…
Bruno Serrou