Paris. Opéra
national de Paris. Opéra Garnier. Jeudi 16 mars 2017
Luca Francesconi (né en 1956), Trompe-la-Mort. Laurent Naouri (Trompe-la-Mort). Photo : (c) Kurt Van den Elst / Opéra de Paris
Fasciné par Balzac depuis son
enfance, le compositeur italien Luca Francesconi a porté son dévolu sur La
Comédie humaine pour son huitième opéra, Trompe-la-Mort.
Sa création jeudi l’Opéra Garnier a connu un accueil triomphal.
Luca Francesconi (né en 1956), Trompe-la-Mort. Photo : (c) Kurt Van den Elst / Opéra de Paris
Premier avatar d’une série de
commandes de l’Opéra de Paris d’œuvres lyriques tirées de la littérature
française, Trompe-la-Mort (1)
est la figure centrale de la Comédie humaine d’Honoré
de Balzac. Il s’agit en effet de Vautrin, alias Jacques Collin, alias l’abbé Carlos
Herrera. Le livret est un concentré du roman réalisé par le compositeur, qui
rêvait de composer depuis longtemps un opéra inspiré de Balzac qui l’accompagne
depuis l’adolescence. « Quand Stéphane Lissner, directeur de l’Opéra de
Paris déjà commanditaire de Quartett (2)
d’après Heiner Müller mon précédent opéra, à La Scala de Milan rappelle Luca Francesconi,
m’a proposé d’écrire un nouvel opéra cette fois sur un texte français, je lui
ai immédiatement suggéré le personnage de Vautrin. Mais il m’a fallu
effectuer un travail monstrueux pour synthétiser les rapports de Jacques Collin
et son âme visible Lucien de Rubempré, tout en respectant le moindre mot de
Balzac. »
Luca Francesconi (né en 1956), Trompe-la-Mort. Photo : (c) Kurt Van den Elst / Opéra de Paris
Né en 1956, formé à l’aune de Stockhausen
et de Berio, Luca Francesconi est un remarquable musicien mais aussi un fin
connaisseur de l’électronique en temps réel. Cette technologie est avec lui non
pas un outil mais un instrument de musique à part entière dont il a largement
participé à l’élaboration de l’organologie depuis 1975, année où il a fondé son
propre studio de recherche électroacoustique, puis, en 1990 à Milan, l’institut
AGON, centre de recherche et de composition assistée par ordinateur qu’il a
dirigé jusqu’en 2006. Mais ici, à la différence de Ballata (1996-1999) et de Quartett (2010-2012)
(2), ses deux précédents opéras, dans Trompe-la-Mort,
son huitième ouvrage lyrique, point d’électronique.
Luca Francesconi (né en 1956), Trompe-la-Mort. Photo : (c) Kurt Van den Elst / Opéra de Paris
Cet ouvrage conte les
aventures de Lucien de Rubempré, de ses tendances suicidaires contrecarrées par
l’abbé Herrera alias Trompe-la-Mort jusqu’à ce qu’il se pende dans sa cellule
de prison après un parcours de deux heures. « Je conte cette histoire en
la mettant quatre fois en abîme sur autant de niveaux, précise Francesconi :
le monde de l’apparence que sont la vie sociale et les salons ; la vie
cachée des rapports intimes, des machinations inavouables ; le voyage en
calèche initial d’Herrera et de Lucien, fil conducteur de l’opéra ;
les dessous du théâtre, matière incandescente respirant la vie et la haine. »
Luca Francesconi (né en 1956), Trompe-la-Mort. Photo : (c) Kurt Van den Elst / Opéra de Paris
A chaque strate du texte, une
musique idoine fusionne les quatre niveaux du texte. Une musique qui coule à jet
continu somptueusement avivée par le geste précis, passionné, maîtrisé de
Susanna Mälkki, ex-directrice musicale de l’Ensemble Intercontemporain que les
grande scènes et formations internationales se disputent désormais, à la tête d’un
étincelant Orchestre de l’Opéra de Paris particulièrement fourni (bois et
cuivres par trois ou quatre, six percussionnistes, cordes en proportion). La
mise en scène de Guy Cassiers est au diapason de la pensée de Francesconi, avec
son décor unique et mouvant, passant naturellement d’un monde à l’autre
magnifié par les lumières de Caty Olive.
Luca Francesconi (né en 1956), Trompe-la-Mort. Photo : (c) Kurt Van den Elst / Opéra de Paris
La distribution est à la hauteur de l’événement.
Laurent Naouri est un Trompe-la-Mort exceptionnel de coloration vocale, de
puissance qui réalise une impressionnante performance d’acteur. Julie Fuchs surmonte
les difficultés du rôle d’Esther de ses aigus rayonnants mais ses graves sont
couverts par l’orchestre, à l’instar de ceux de Cyrille Dubois qui incarne néanmoins
un Rubempré à la voix somptueuse, et du Rastignac de Philippe Talbot, à la voix
pourtant généreuse. L’ensemble de la distribution (douze rôles) ainsi que le chœur
sont d’une grande homogénéité et s’expriment en un français clair, à l’exception
d’Ildikó Komlósi
dans le rôle d’Asie.
Luca Francesconi (né en 1956), Trompe-la-Mort. Laurent Naouri (Trompe-la-Mort). Photo : (c) Kurt Van den Elst / Opéra de Paris
Après Ballata créé en 2002 à Bruxelles, Théâtre
de la Monnaie, et Quartett
en 2012 à Vienne, dans le cadre des Wiener Festwochen, Luca Francesconi s’impose
définitivement avec Trompe-la-Mort comme
l’un des grands compositeurs d’opéra de notre temps, aux côtés de Péter Eötvös.
Bruno
Serrou
1) Opéra Garnier, jusqu’au 5 avril. Rés. :
08.92.89.90.90. www.operadeparis.fr. 2) Quartett est donné à l’Opéra de Rouen les
25 et 27 avril. Let me Bleed
pour triple chœur a capella par Les Cris de Paris vient de paraître en CD chez
NoMad Music