Paris. Théâtre des Champs-Elysées. Lundi 6 mars 2017
Claudio Monteverdi (1567-1643), Il ritorno di Ulisse in patria. Rolando Villazon (Ulysse), Magdalena Kozena (Penelope). Photo : (c) Théâtre des Champs-Elysées
Deuxième opéra complet de Claudio
Monteverdi (1567-1643), Il ritorno di
Ulisse in patria (Le retour d’Ulysse
dans sa patrie) est le premier opéra que le maître de Crémone a écrit pour
Venise, où il a été créé avec succès en février 1640 au Theatro Santi Giovanni
e Paolo. Le livret de Giacomo Badorao puise dans la dernière partie de l’Odyssée d’Homère. Après Bologne et une
reprise à Venise, l’ouvrage fut donné à la cour de Vienne à la fin du xviie
siècle, puis disparut jusqu’à sa redécouverte à la fin du xxe siècle
après la redécouverte d’un manuscrit incomplet de la partition originale.
Vincent d’Indy en dirigea une première exécution à Paris en 1925, avant d’être
suivi par d’autres compositeurs qui en proposèrent leurs propres versions, à
l’instar de Luigi Dallapiccola et Hans Werner Henze. Puis l’ouvrage finit par
entrer au répertoire, dans les années 1970, avec des représentations à Vienne
et à Glyndebourne, et une édition établie par Nikolaus Harnoncourt.
Claudio Monteverdi (1567-1643), Il ritorno di Ulisse in patria. Photo : (c) Théâtre des Champs-Elysées
Incomplète, l’orchestration de
l’œuvre laisse une grande latitude au chef d’orchestre quant au choix des
instruments qu’il entend utiliser. Au lieu d’un instrumentarium contrasté et
flamboyant qui eut donné plus de couleurs, d’expressivité et d’intensité
dramatique, Emmanuelle Haïm s’est contentée d’un ensemble de quatorze musiciens
(deux violons, deux altos, trois flûtes à bec, un dulciane, trois cornets à
bouquin, deux saqueboutes, un percussionniste) et d’une basse continue de neuf
instruments (un par pupitre) de son ensemble Le Concert d’Astrée aux sonorités
acides et planes, ce qui engendre d’interminables longueurs amplifiées par la direction
sèche et sans reliefs qui suscite torpeur et monotonie, ajoutant au sentiment
de prostration et d’abattement de la reine d’Ithaque attendant sans espoir son
héros de mari.
Claudio Monteverdi (1567-1643), Il ritorno di Ulisse in patria. Isabelle Druet (Mélantho), Magdalena Kozena (Penelope). Photo : (c) Théâtre des Champs-Elysées
Beaucoup plus rare à la scène que
l’Orfeo et l’Incorronazione di Poppea, Il
ritorno di Ulisse in Patria, sans avoir la diversité théâtrale du second
ouvrage, n’en est pas moins un parangon de théâtre lyrique dramatique. Dans un
palais défraîchi et avec des costumes de toutes époques de Julia Hansen, la
metteur en scène Mariame Clément s’attache à faire de la princesse d’Ithaque
une femme à la fois héroïque et mélancolique, perdue face à ses prétendants
envahissants et harceleurs obstinés vêtus de smokings. Les serviteurs Mélantho (Isabelle
Druet) et Eurymaque Emiliano Gonzalez Toro) sont comme sortis d’un vaudeville, tandis
qu’Euryclée (Elodie Méchin), couverte d’une coiffe et d’une lourde robe, semble
venir d’un tableau de maître.
Claudio Monteverdi (1567-1643), Il ritorno di Ulisse in patria. Kresimir Spicer (Eumée), Rolando Villazon (Ulysse). Photo : (c) Théâtre des Champs-Elysées
Le personnage le plus comique est le prétendant
Irus, rôle truculent dans lequel Jörg Schneider excelle, ne cessant de se
goinfrer en bermuda et tee-shirt d’énormes hamburgers et de sodas tirés d’un
distributeur de fastfoods. Télémaque a tout de l’étudiant benêt et insouciant, enfin
Ulysse déguisé en père Fouras de Fort Boyard…
Claudio Monteverdi (1567-1643), Il ritorno di Ulisse in patria. Magdalena Kozena (Penelope) et les prétendants. Photo : (c) Théâtre des Champs-Elysées
Peut-être est-ce en raison de la
création de l’œuvre à Venise en pleine saison de Carnaval que Mariam Clément
tire Il ritorno di Ulisse in Patria
vers l’opéra bouffe façon Offenbach en multipliant les allusion d’un comique
pesant, comme le pub de l’Olympe où les dieux jouent aux fléchettes et asticotent
les mortels, des seaux de ketchup jetés sur les cadavres qui transforme la
scène du massacre en un burlesque jeu de quilles. Seuls éléments vraiment
réussi, la photo marine du rideau de scène et l’ultime scène de l’ouvrage où
Pénélope reconnaît enfin Ulysse, son mari absent depuis dix ans, et retrouve sa
spontanéité juvénile et éperdument amoureuse.
Claudio Monteverdi (1567-1643), Il ritorno di Ulisse in patria. Rolando Villazon (Ulysse) et les prétendants. Photo : (c) Théâtre des Champs-Elysées
Magdalena Kožená est une noble et
inflexible reine d’Ithaque particulièrement émouvante dans sa fermeté, sa droiture et sa lucidité. Point faible de la
distribution, Rolando Villazón est un Ulysse atone, autant à cause de sa voix fatiguée
souvent étouffée par l’orchestre et éteinte par celle de ses partenaires, mais expressif
et sa présence scénique sont indéniables et le ténor mexicain enfin dans le somptueux duo final avec
Pénélope.
Claudio Monteverdi (1567-1643), Il ritorno di Ulisse in patria. Rolando Villazon (Ulysse), Magdalena Kozena (Penelope). Photo : (c) Théâtre des Champs-Elysées
Voix ample et colorée, Kresimir Spicer incarne un Eumée enthousiasmant,
qui surpasse en élégance et en puissance l’Ulysse de Villazón, tandis que
le court rôle de Junon est excellemment tenu par la merveilleuse Katherine
Watson. Anne-Catherine Gillet est une Minerve espiègle, Mathias Vidal un Télémaque
juvénile, Callum Thorpe, inquiétant prétendant Antinoüs et Temps menaçant…
Bruno Serrou
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