Strasbourg. Opéra national du Rhin. Vendredi 10 mars 2017
Richard Strauss (1864-1949), Salomé. Helena Juntunen (Salomé). Photo : (c) Klara Beck / Opéra du Rhin
Salomé, que l’on croyait taillée sur mesure pour l’imaginaire du
metteur en scène, est un échec majeur d’Olivier Py.
Richard Strauss (1864-1949), Salomé. Helena Juntunen (Salomé). Photo : (c) Klara Beck / Opéra du Rhin
La jeune princesse de Judée fille
d’Hérodias, qui selon l’Evangile selon saint Matthieu fut à l’origine de la
décapitation de Jean Baptiste sous la pression de sa mère après avoir dansé pour
son beau-père Hérode Antipas, n’a pas réussi à canaliser l’imaginaire d’Olivier
Py, pourtant érudit en matière religieuse. Le dramaturge a trop à démontrer
dans cette œuvre concentrée et tendue de Richard Strauss. Salomé est l’opéra de l’obsession, Narraboth ne songe qu’à Salomé, Salomé à
Jean, Jean à sa haine pour Hérode, les juifs par leur dogme, Hérode par Salomé,
Hérodias par son désir de vengeance, Salomé par la tête tranchée de Jean… Cette
noire pathologie des personnages est explorée par les cent-cinq instrumentistes
de l’orchestre, qui, telle une lame de savoir, révèle ce qui est tapi dans le
cœur et l’esprit des protagonistes avant même qu’ils en aient pris conscience.
Richard Strauss (1864-1949), Salomé. Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Hérode), Helena Juntunen (Salomé). Photo : (c) Klara Beck / Opéra du Rhin
Retournant à sa Carmen lyonnaise
particulièrement réussie qu’il avait transformée à Lyon en meneuse de cabaret, Olivier
Py transforme Salomé en femme fatale obsédée par la figure du dernier des
prophètes pourtant totalement hermétique aux charmes de la jeune pubère. Ce que
confirmait le compositeur à Stephan Zweig en 1934 : « En écrivant Salomé, je voulais faire du brave
Jean-Baptiste plus ou moins un bouffon : pour moi un homme qui prêche
ainsi dans le désert et qui par surcroît se nourrit de sauterelles a quelque
chose d’indescriptiblement comique. Et c’est seulement parce que j’avais déjà
persiflé les cinq juifs et copieusement caricaturé le père Hérode que j’ai dû
me limiter pour Ie Baptiste, selon les lois du contraste, au ton philistin et
maître d’école de quatre cors. » Mais les obsessions de Py prennent
le pas sur le sujet-même de l’œuvre, avec ce décors de coulisses de théâtre, le
sempiternel lit blanc, l’éphèbe nu que trois jeunes femmes se plaisent à
peindre en rouge avec gourmandise avant de déposer sur ses épaules des ailes
d’ange de la mort, les panneaux qui s’écroulent des cintres à chaque changement
de scène… Et que viennent donc faire dans cette arrière-scène de théâtre un
autel, un grand christ décroché de sa croix que Salomé traîne avant de le
suspendre la tête en bas, les cinq juifs devenant rabbin, cardinal, pope, imam
et pasteur anglican, la danse des sept voiles qui devient la danse des sept
hommes qui se déroule dans une église où s’évaporent des fumées d’encens avant
que Salomé devienne Tosca se jetant dans le vide du haut d’un escalier
monumental tandis qu’apparaissent en lettres de néon les mots Gott ist tot (Dieu est mort)…
Richard Strauss (1864-1949), Salomé. Helena Juntunen (Salomé). Photo : (c) Klara Beck / Opéra du Rhin
En revanche, sur le plan musical, la
soirée est plus réjouissante. Saluée dans la
Ville morte (Die tote Stadt) de
Korngold à Nancy et dans le Son lointain
(Der ferne Klang) de Schreker à
Strasbourg, Helena Juntunen est une Salomé s’exception, féline - même si l’on
soupçonne quelque subterfuge avec une danseuse dans la danse des Sept voiles -,
fébrile, opiniâtre, inconsciente, tandis que sur le plan vocal l’on relève
quelque acidité dans l’aigu. Robert Bork est un Jean Baptiste inflexible,
Wolfgang Ablinger-Sperrhacke est un brillant ténor de caractère qui campe un hallucinant
Hérode, Susan McLean une Hérodiade majestueuse et vindicative, Julien Behr un
Narraboth solide et séduisant. Dans la fosse, Constantin Trinks anime avec
nuance et intensité dramatique un orchestre qui se plaît à relever les défis de
la partition de Strauss, ne craignant pas de prendre quelque risque,
particulièrement côté cuivres.
Bruno Serrou
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