mardi 14 mars 2017

Salomé de Strauss foutraque d’Olivier Py à Strasbourg

Strasbourg. Opéra national du Rhin. Vendredi 10 mars 2017

Richard Strauss (1864-1949), Salomé. Helena Juntunen (Salomé). Photo : (c) Klara Beck / Opéra du Rhin

Salomé, que l’on croyait taillée sur mesure pour l’imaginaire du metteur en scène, est un échec majeur d’Olivier Py.

Richard Strauss (1864-1949), Salomé. Helena Juntunen (Salomé). Photo : (c) Klara Beck / Opéra du Rhin

La jeune princesse de Judée fille d’Hérodias, qui selon l’Evangile selon saint Matthieu fut à l’origine de la décapitation de Jean Baptiste sous la pression de sa mère après avoir dansé pour son beau-père Hérode Antipas, n’a pas réussi à canaliser l’imaginaire d’Olivier Py, pourtant érudit en matière religieuse. Le dramaturge a trop à démontrer dans cette œuvre concentrée et tendue de Richard Strauss. Salomé est l’opéra de l’obsession, Narraboth ne songe qu’à Salomé, Salomé à Jean, Jean à sa haine pour Hérode, les juifs par leur dogme, Hérode par Salomé, Hérodias par son désir de vengeance, Salomé par la tête tranchée de Jean… Cette noire pathologie des personnages est explorée par les cent-cinq instrumentistes de l’orchestre, qui, telle une lame de savoir, révèle ce qui est tapi dans le cœur et l’esprit des protagonistes avant même qu’ils en aient pris conscience.

Richard Strauss (1864-1949), SaloméWolfgang Ablinger-Sperrhacke (Hérode), Helena Juntunen (Salomé). Photo : (c) Klara Beck / Opéra du Rhin

Retournant à sa Carmen lyonnaise particulièrement réussie qu’il avait transformée à Lyon en meneuse de cabaret, Olivier Py transforme Salomé en femme fatale obsédée par la figure du dernier des prophètes pourtant totalement hermétique aux charmes de la jeune pubère. Ce que confirmait le compositeur à Stephan Zweig en 1934 : « En écrivant Salomé, je voulais faire du brave Jean-Baptiste plus ou moins un bouffon : pour moi un homme qui prêche ainsi dans le désert et qui par surcroît se nourrit de sauterelles a quelque chose d’indescriptiblement comique. Et c’est seulement parce que j’avais déjà persiflé les cinq juifs et copieusement caricaturé le père Hérode que j’ai dû me limiter pour Ie Baptiste, selon les lois du contraste, au ton philistin et maître d’école de quatre cors. » Mais les obsessions de Py prennent le pas sur le sujet-même de l’œuvre, avec ce décors de coulisses de théâtre, le sempiternel lit blanc, l’éphèbe nu que trois jeunes femmes se plaisent à peindre en rouge avec gourmandise avant de déposer sur ses épaules des ailes d’ange de la mort, les panneaux qui s’écroulent des cintres à chaque changement de scène… Et que viennent donc faire dans cette arrière-scène de théâtre un autel, un grand christ décroché de sa croix que Salomé traîne avant de le suspendre la tête en bas, les cinq juifs devenant rabbin, cardinal, pope, imam et pasteur anglican, la danse des sept voiles qui devient la danse des sept hommes qui se déroule dans une église où s’évaporent des fumées d’encens avant que Salomé devienne Tosca se jetant dans le vide du haut d’un escalier monumental tandis qu’apparaissent en lettres de néon les mots Gott ist tot (Dieu est mort)…

Richard Strauss (1864-1949), Salomé. Helena Juntunen (Salomé). Photo : (c) Klara Beck / Opéra du Rhin

En revanche, sur le plan musical, la soirée est plus réjouissante. Saluée dans la Ville morte (Die tote Stadt) de Korngold à Nancy et dans le Son lointain (Der ferne Klang) de Schreker à Strasbourg, Helena Juntunen est une Salomé s’exception, féline - même si l’on soupçonne quelque subterfuge avec une danseuse dans la danse des Sept voiles -, fébrile, opiniâtre, inconsciente, tandis que sur le plan vocal l’on relève quelque acidité dans l’aigu. Robert Bork est un Jean Baptiste inflexible, Wolfgang Ablinger-Sperrhacke est un brillant ténor de caractère qui campe un hallucinant Hérode, Susan McLean une Hérodiade majestueuse et vindicative, Julien Behr un Narraboth solide et séduisant. Dans la fosse, Constantin Trinks anime avec nuance et intensité dramatique un orchestre qui se plaît à relever les défis de la partition de Strauss, ne craignant pas de prendre quelque risque, particulièrement côté cuivres.


Bruno Serrou

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