Connu principalement comme titulaire
de la tribune de la cathédrale Notre-Dame de Paris et pour son œuvre pour
orgue, Louis Vierne (1870-1937) a composé pour tous les types de formations, à
l’exception de l’opéra.
Couple dans la vie, partenaires
en musique de chambre sur le plan artistique, Camille Seghers et Alexis Thibaut
de Maisières ont réuni les deux œuvres pour violoncelle et piano que Louis
Vierne a composées aux deux extrémités de sa vie créatrice consacrée à la
musique de chambre, Deux Pièces pour alto
ou violoncelle Op. 5 de 1895 et la suite de cinq pièces intitulée Soirs étrangers Op. 56 de 1928, le
programme s’ouvrant sur la déchirante Sonate
en si mineur Op. 27 de 1910.
Souffrant d’une cataracte
inopérable depuis sa naissance à Poitiers qui le conduira lentement à une totale
cécité, Louis Vierne est le plus grand organiste français de son temps aux
côtés de son aîné Charles-Marie Widor (1844-1937), titulaire de la tribune de
Saint-Sulpice mort trois mois plus tôt que lui. Vierne est à la tête d’un
catalogue de quelques soixante-deux œuvres, l’alpha et l’oméga étant des pages pour
orgue distantes de quarante ans, un Allegretto
de 1894 et une Messe basse pour les
défunts de 1934. Si donc l’essentiel de la création de Vierne est voué à l’instrument
liturgique par excellence, il n’en a pas moins écrit dix œuvres avec orchestre,
huit pour piano seul, une douzaine de cycles de mélodies, et une dizaine de
recueils de musique de chambre. Parmi ces derniers donc, trois opus pour
violoncelle et piano.
Le premier est une version adaptée par Louis Vierne de l’une de ses propres partitions initialement pensée pour alto et piano, les Deux Pièces op. 5 (Le Soir et Légende), écrites par un compositeur encore étudiant au Conservatoire de Paris, et créées le 5 avril 1895 salle Erard à Paris par leur dédicataire, l’altiste Victor Balbreck, et leur auteur au piano. Deux pages concises d’une expressivité délicate, la première déroulant une ample mélodie lyrique, la seconde animée d’un élan plus tempétueux. Quinze ans plus tard, le violoncelle et le piano inspiraient au compositeur ce qui reste sans doute son œuvre de musique de chambre la plus achevée, la Sonate en si mineur Op. 27 qu’il dédiera au plus grand violoncelliste de l’époque, le Catalan Pau Casals. Néanmoins, cette sonate sera créée le 10 février 1912 Salle Pleyel à Paris dans le cadre d’un concert de la Société nationale de musique par Fernand Pollain et Marguerite Long. Bien qu’elle ait été commencée durant les vacances de l’été 1910 dans la famille de Marcel Dupré - elle sera achevée le 11 décembre suivant à Paris -, cette œuvre particulièrement sombre reflète la période douloureuse que traversait alors son auteur, victime de sordides intrigues qui le conduisirent à la perte de sa suppléance de la classe d’orgue d’Alexandre Guilmant au Conservatoire de Paris. Intensément lyrique, cette œuvre d’une grave et profonde expressivité renouvelle constamment son propos, ce qui fait qu’elle est dénuée de toute longueur, l’alliage des deux instruments se faisant avec un naturel confondant, l’un enrichissant les couleurs et les sonorités de l’autre, chacun parvenant au détour d’une phrase à une fusion totale des timbres, et si l’on relève quelques couleurs franckistes, la sonate est d’une constante originalité. Dernière partition de ce programme, moins notable que la Sonate, la suite de cinq pièces Soirs étrangers Op. 56 (Grenade, Sur le Léman, Venise, Steppe canadien et Poissons chinois, chaque pièce étant dédiée à un violoncelliste distinct), a été composée à Lausanne en un mois, entre août et septembre 1928. Créée à titre posthume le 17 mai 1938 par Paul Bazelaire, l’un des dédicataires, et au piano l’organiste Bernard Gavoty, élève du compositeur, lors d’un concert organisé par La Revue Musicale, cette suite est le fruit des souvenirs d’une tournée entreprise en 1923 en Europe et aux Etats-Unis qui permit à Vierne de découvrir sa véritable valeur, tant son succès fut grand, au point de ramener du Nouveau Monde la qualité de « The great blind French organist ».
Camille Seghers et Alexis Thibaut de Maisières aiment de toute évidence cette part de la création de Louis Vierne. Ils l’interprètent en effet avec un élan, une conviction, une constante délicatesse, exaltant des sonorités particulièrement soignées, une sensualité à fleur de peau, une osmose violoncelle/piano totale, chacun tenant son rôle de soliste librement sans pour autant couvrir à quelque moment que ce soit son partenaire, démontrant ainsi une entente parfaite au service d’une musique singulièrement mobile à laquelle le duo donne toute sa puissance expressive.
Un disque de musique française au
carrefour de l’école franckiste et de Ravel à découvrir, d’autant plus qu’elle
est admirablement interprétée par deux jeunes musiciens, la violoncelliste franco-belge
Camille Seghers et son partenaire dans la vie comme à la scène, le pianiste belge Alexis Thibaut de Maisières.
Bruno Serrou
1 CD Paraty 1522125. Enregistré à Mons en mai 2021. Durée : 54’59