A l’instar des Juilliard Quartet, Quartetto Italiano, LaSalle Quartet, Smetana Quartet, Amadeus
Quartet ou de l’Alban Berg Quartet pour n’en citer que quelques-uns, le Pražák Quartet aura
marqué l’histoire du quatuor à cordes des soixante dernières années.
Praga publie un coffret de cinquante CD présentés dans l’ordre alphabétique des compositeurs, de Beethoven à Zemlinsky, pour un total de vingt-cinq compositeurs, certains étant associés à des confrères pour cause de production insuffisante pour nécessiter une galette entière…
Fondé en 1974 sous le nom Pražákovo kvarteto (Quatuor Pražák en tchèque), par les violonistes Václav Remeš et Vlastimil Holek, l’altiste Josef Klusoň et le violoncelliste Josef Pražák alors étudiants au Conservatoire de Prague, le Quatuor Pražák a remporté le Concours international de quatuors à cordes d’Evian en 1978, ainsi que celui du Festival du Printemps de Prague 1979, avant de se perfectionner auprès de Walter Levin, leader du LaSalle Quartet, à l’Université de Cincinnati. Dès 1986, celui qui avait donné son nom à la formation, Josef Pražák, est remplacé par Michal Kaňka. L’effectif ne change pas pendant quatorze ans, lorsqu’en 2010 Pavel Hůla succède à Václav Remeš, tandis que Hůla sera remplacé à son tour pour raison de santé par Jana Vonášková-Nováková, membre du Smetana Trio. Le Pražák perpétue la grande tradition tchèque du quatuor à cordes établie par les Quatuors Bohémien, Morave, de Prague, Smetana, Janáček, Vlach, Ondriček, Talich dont on retrouve les traces authentiques dans les interprétations et le jeu du Pražák.
Après des premiers enregistrements en 1981 pour Orfeo,
puis New Era et Supraphon, Le Pražák a été accueilli en exclusivité en 1992 par
mon regretté ami Pierre-Emile Barbier, critique musical fondateur des disques Praga,
label qui le publie encore aujourd’hui. Le Pražák sera le premier quatuor
tchèque a programmer les compositeurs de la Seconde Ecole de Vienne, Schönberg,
Webern, Berg, ainsi que Zemlinsky, à l’exemple de leur maître Walter Levin du
Quatuor LaSalle, une création dans laquelle il sauront instaurer une
clarté, une luminosité, un chant que le quatuor étatsunien n’avait pas, mais
que seul le Quartetto Italiano a su instaurer de manière plus sensuelle encore
dans son intégrale des quatuors de Webern. Après la chute du mur de Berlin, le
Quatuor Pražák s’attachera à un certain nombre de musiciens victimes de la
Shoa, comme Ervin Schulhoff (1894-1942), le seul à faire partie du présent
coffret avec ses Cinq
Pièces pour quatuor à cordes de 1925, Pavel
Haas, Hans Krasa, Viktor Ulmann, Gideon Klein…
La seule grande intégrale que les Pražák ont
enregistrée est celle des seize quatuors à cordes de Ludwig van Beethoven (1770-1827)
réalisée entre 1999 et 2003. Leur interprétation est plus tendue, plus nerveuse
que celle des Italiano, qui exposent un chant d’une sublime luminosité, mais
les tensions des Pražák instillent une dramatisation des derniers quatuors
d’une étourdissante diversité sonore. La parfaite homogénéité des quatre
musiciens, le raffinement des timbres, la prise de risques considérable, les
phrasés limpides, la justesse de ton dans les œuvres de chaque période
créatrice de Beethoven font de cet ensemble une somme inépuisable de
chefs-d’œuvre proprement délectable. Autre intégrale splendide d’une
expressivité à fleur de peau, celle de quatre quatuors à cordes d’Arnold Schönberg
(1874-1951), les Pražák ajoutant des pages pour quatuor à cordes hors catalogue ainsi
que le Quatuor en ré majeur, mais aussi le Trio à cordes op. 45, le sextuor La Nuit transfigurée op. 4, la Symphonie de chambre op.
9 dans la
transcription pour piano et quatuor à cordes d’Anton Webern, et la Fantaisie pour violon
avec accompagnement de piano Op. 47 (Vlastimil Holek, Sachiko Kayahara), et y associant le Quatuor avec piano de Gustav Mahler (1860-1911) ;
celle consacrée à Alban Berg (1885-1935), avec les deux versions du Largo desolato final de la Suite lyrique, avec (Christine Whittlesey) et
sans la voix de soprano exposant le poème de Richard Dehmel « De Profundis
clamavi », tandis que le Quatuor
à cordes op. 28 constitue
la seule incursion des Pražák dans l’univers d’Anton Webern (1883-1945) là où
les Italiano lui avaient consacré un disque entier de plus de quarante-cinq
minutes. Maître et beau-frère de Schönberg, Alexander von Zemlinsky (1871-1942)
est représenté par des interprétations foisonnantes de ses Quatuors à cordes extrêmes, les n° 1 et n° 4, ce dernier ayant la même
structure que la Suite
lyrique de Berg. Autres
incursions dans le XXe siècle, les deux CD consacrés à Dimitri
Chostakovitch (1906-1975) avec les Quatuors à cordes n° 7, 8, 14 et 15, ainsi que les Deux Pièces pour quatuor
à cordes op. 36 et le Quintette avec piano op.
57 (Evgeni
Koroliov), et Serge Prokofiev (1891-1953) avec son Quatuor à cordes n° 2 de 1941.
Côté russe encore, un CD entier est réservé à Alexandre Borodine (1833-1887), mais avec le seul Quatuor n° 2 en ré majeur, accompagné du Quintette avec piano, du Sextuor à cordes et de la Sérénade alla Spagnola pour quatuor à cordes. Autres Russes, Mikhaïl Glinka (1804-1857) avec son Grand Sextet en mi bémol majeur et son Divertimento brillante, auxquels est associé le Quatuor à cordes n° 1 Op. 11 de Piotr Ilyich Tchaïkovski (1840-1895).
De Johannes Brahms (1833-1897), compositeur brillamment servi par les Pražák, les trois Quatuors à cordes, les deux Sextuors à cordes avec l’altiste Petr Holman et le violoncelliste Vladimir Fortin, le Quintette avec clarinette avec l’excellent Pascal Moraguès, le Quintette avec piano avec Ivan Klánský, et le Quintette à cordes n° 2 Op. 51/2 avec l’altiste Vladimir Bukač. Felix Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847) avec le Quatuor à cordes n° 1 et l’Octuor pour cordes Op. 20 (les Pražák s’étant associés ici le Quatuor Kocian), un autre enfin à Robert Schumann (1810-1856), avec le Quatuor à cordes n° 1 Op. 42 et le Quintette avec piano Op. 44 (Evgeni Koroliov). A cet ensemble de compositeurs allemands, les Pražák ont ajouté Carl Maria von Weber (1786-1826) et son magnifique Quintette avec clarinette Op. 34 enregistré avec Pascal Moraguès en l’église de Passy à Paris en janvier 2002.
Deux intégrales à connaître et à posséder absolument, celles de deux compatriotes des Pražák, Bedrich Smetana et Leoš Janáček (s’y ajoute de ce dernier la Sonate pour violon et piano par Vaclav Remeš et Sachiko Kayahara) dans l’œuvre desquels la formation chante dans son jardin, et quel jardin ! Somptueux, bouleversant, magnétique. Autres compositeurs tchèques, Antonín Dvořák (1841-1904) dont les Pražák ne proposent que les cinq derniers quatuors à cordes (n° 10 à 14) tout en y ajoutant une version sélective pour quatuor à cordes des Cyprès intitulée Echo of Songs, les deux Quintettes avec piano (Ivan Klánský), le Terzetto en ut majeur pour deux violons et alto et les Bagatelles pour deux violons, violoncelle et harmonium (Iaroslav Tůma), Jindřich Feld (1925-2007) avec ses Quatuors à cordes n° 4 et n° 6 et Quintette avec clarinette (Ian Mach), Bohuslav Martinů (1890-1959) représenté par les Quatuors à cordes n° 3, 6 et 7.
Une somme pour l’Histoire du Quatuor à Cordes réunie en
un unique coffret à offrir pour Noël 2022, pour les Etrennes 2023, mais aussi
et surtout pour l’Eternité !
Bruno Serrou
50 CD Praga Digitals PRD 250425 (distribution Little Tribeca). Enregistrements : 1992-2018. Durée : plus de 55 heures. Texte de présentation très intéressant de Georges Zeisel, fondateur de l’association Pro Quartet
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