Verbier (Valais Suisse). Verbier Festival. Salle des Combins, Eglise. Vendredi
17, samedi 18 et dimanche 19 juillet 2015
Les Monts Combins vus depuis Verbier. Photo : (c) Bruno Serrou
Les deux festivals qui m’ont
conduit dans les Alpes la semaine dernière sont l’émanation de deux univers
opposés. Après le climat familial, passionné et spontané, et le cadre sauvage du
premier, enchaîner à quelques heures de là dans un festival managé à la façon
des plus grandes institutions musicales mondiales qui attire les grandes stars
internationales dans un environnement plus abondant et serein constitue un
véritable électrochoc.
Une rue de Verbier. Photo : (c) Bruno Serrou
Après la chaleur exceptionnelle
qui a frappé le Festival de Messiaen au Pays de La Meije durant les quatre jours
que j’y ai passés, le temps a tourné dès mon arrivée au Festival de Verbier.
Les trois soirées de mon séjour en Suisse ont été abondamment arrosées par les caprices
du ciel qui, à une cinquantaine de kilomètres de là à vol d'oiseau (mais à plus de sept heures de voyage en voiture puis en train enfin de nouveau en voiture), dans les Hautes-Alpes, ont
conduit à l’annulation du rendez-vous majeur de l’édition 2015 du Festival
Messiaen, le concert de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg à flanc de
montagne…
Caliquot du Verbier Festival 2015. Photo : (c) Bruno Serrou
Plantée face aux Monts Combins et
au Mont-Blanc dans le Valais, Verbier est l’une des stations alpines les plus huppées. L’été, elle attire depuis la création
en 1994 du festival qui porte son nom le gotha de la musique, à l’exception des
compositeurs. Tous ceux qui y viennent savent en effet que l’important est la
transmission aux générations futures pour que la musique classique se pérennise,
pour contrecarrer les oiseaux de mauvais augure qui visent sa perte en lui
collant l’étiquette « élitiste ». Sur les hauteurs des Alpes Suisses,
les meilleures conditions sont offertes pour travailler et rêver.
Le Verbier Festival Orchestra. Photo : (c) Aline Paley
Cette année, les heureux
instrumentistes lauréats des sélections faites à New York, Berlin, Paris,
Madrid, Genève et Zurich pour constituer le Verbier Festival Orchestra 2015,
ont eu l’heureuse surprise d’être dirigés pour le concert d’ouverture le 17
juillet par le compositeur chef d’orchestre finlandais Esa-Pekka Salonen, qui a
remplacé au pied levé James Levine, souffrant. Parmi les solistes avec qui ils
vont jouer ou qui joueront ensemble dans le cadre de concerts de musique de
chambre, rien moins que Yuri Bashmet, András Schiff, Mikhaïl Petrenko, les
frères Gautier et Renaud Capuçon, Ton Koopman, Grigory Sokolov, Leonidas Kavakos, Angela
Gheorghiu, Truls Mørk, Katia Buniatishvili,
Joshua Bell, Antoine Tamestit, Matthias Görne, Menahem Pressler… Dix-sept jours
durant, à raison de cinq concerts par jour, ce sont cent six musiciens de haut
rang qui se retrouvent dans des programmes de musique de chambre et se
produisent avec cent cinquante jeunes des deux orchestres du festival.
La Salle des Combins. Photo : (c) Aline Paley
Fondé en 2000, le Verbier
Festival Orchestra, qui a déjà vu passer neuf cent cinquante musiciens, accueille dans cet orhestre de jeunes instrumentistes de 18 à 28 ans de vingt-huit nationalités
sélectionnés parmi onze cent treize candidats auditionnés à Berlin, Genève,
Madrid, Paris, New York et Zurich. Le plus fort contingent des quatre vingt
seize musiciens, dont quarante nouveaux, provient des Etats-Unis, avec trente membres,
suivis des Français, avec quatorze participants, puis sept Coréens et quatre Suisses.
Il leur est possible de participer à trois sessions réparties sur trois ans. Six
chefs dirigeront cet été cet orchestre. Les répétitions ont commencé avec les coaches trois semaines avant l’ouverture du festival. Après Esa-Pekka Salonen, se succèdent Valéry
Gergiev, Manfred Honeck, Zubin Mehta et son directeur musical Charles Dutoit
pour autant de programmes différents. Les treize coaches, dont le chef
assistant, sont membres du Metropolitan Opera Orchestra de New York.
Le Verbier Festival Chamber Orchestra. Photo : (c) Nicolas Brodard
Tandis que
le Verbier Festival Chamber Orchestra, créé en 2006, est composé d’anciens
musiciens du premier orchestre, au nombre de quarante-quatre de dix-neuf
nationalités, pour la plupart professionnels. A leur tête cette quinzaine-ci, son
directeur musical Gábor Takács-Nagy, Ton
Koopman, Thomas Quasthoff, Paul McCreesh et Joshua Bell. A ces deux formations administrées
par le Français Pierre Barrois, il convient d’ajouter le Verbier Festival Music
Camp Orchestra lancé en 2013 et qui s’adresse aux jeunes musiciens âgés de quinze à dix-sept ans dont le directeur musical est le Britannique Daniel Harding,
directeur musical désigné de l’Orchestre de Paris.
La Salle des Combins vue de l'intérieur. Photo : (c) Aline Paley
Verbier c’est aussi la musique de
chambre. Le grand violoncelliste américain Lynn Harrell y enseigne. La
pédagogie est depuis plus d’un demi-siècle la cinquième corde de son
instrument, et il est l’un des piliers du Festival de Verbier. « J’aime
particulièrement la montagne. Mon père, qui était baryton, est membre fondateur
du Festival d’Aspen. Or, Verbier est le seul festival de haut niveau européen à
se dérouler dans un lieu comparable. J’aime à y retrouver mes collègues du
monde entier avec qui je peux librement échanger ici idées et conseils. Je suis
un éternel étudiant, et j’apprends tous les jours de mes collègues et de mes
élèves. L’ambiance est autant au travail qu’à l’amitié. »
Joyce DiDonato (mezzo-soprano), Esa-Pekka Salonen et le Verbier Festival Orchestra. Photo : (c) Bruno Serrou
Arrivé l’avant-veille du concert,
le temps de trois répétitions, Esa-Pekka Salonen a offert à la tête du Verbier
une prestation digne de ce qu'il fait avec les plus grands orchestres internationaux, malgré
l’exigence du programme, avec deux œuvres de virtuosité, Till l’espiègle de Richard Strauss, les Nuits d’été d’Hector Berlioz avec rien de moins que la grande
cantatrice Joyce DiDonato, et une page touffue si l’on n’y prend garde, la Symphonie « Rhénane » de Robert
Schumann. Contacté une semaine à peine avant le concert inaugural qu’il devait
diriger en remplacement de James Levine, rappelait Pierre Barrois, Salonen est
arrivé le mercredi matin, a dirigé sa première répétition de trois heures le
soir-même, deux autres ont suivi jeudi, avant la générale et le concert de
vendredi. Ce dernier a échappé à la pluie, qui a eu la bonne idée de s’abattre
sur l’immense chapiteau de la Salle des Combins.
Esa-Pekka Salonen. Photo : DR
Salonen s’est acquitté avec
talent de la lourde tâche de remplacer son confrère étatsunien James Levine pour
qui le public était initialement venu en nombre. Si beaucoup se disaient déçus avant
le début de concert, l’immense majorité du public s’est félicitée dès l’entracte
de ce remplacement inattendu. Dès le poème symphonique de Richard Strauss Till Eulenspiegels lustige Streiche op. 28
il est apparu évident que la collusion chef/orchestre était parfaite. Cela malgré de
légers flottements dans les attaques, les couleurs straussiennes, les tensions dramatiques
des saynètes, les grincements du feu follet moqueur et l’orchestration
foisonnante de ce court mais vivifiant poème symphonique se sont avérés étincelants,
avivé par les gestes flexibles et énergiques de Salonen.
Joyce DiDonato, Esa-Pekka Salonen et le Verbier Festival Orchestra. Photo : (c) Nicolas Brodard
Le chef finlandais a
réussi à obtenir de son jeune orchestre d’un soir des textures cristallines et
fluides, une transparence et un nuancier d’une subtilité incroyable dans les Nuits d’été op. 7 d’Hector Berlioz. Il s’est également fait particulièrement
attentif à l’égard de sa soliste, la brillante mezzo-soprano étatsunienne Joyce
DiDonato, voix délectable au timbre lumineux capable des pianissimi les plus indicibles qui, en dépit d’une diction
aléatoire et d’un vibrato un peu trop large dans la Villanelle, a donné de ce cycle de six mélodies sur des poèmes
de Théophile Gautier une ardente interprétation, atteignant des sommets d’émotion
pure dans le Spectre de la rose et,
surtout, Au cimetière, Clair de lune.
Orchestrée gras et en énormes blocs sombres et opaques, la Symphonie « Rhénane » de Robert Schumann est beaucoup
moins flatteuse pour les orchestres. Seule la section des cors est favorisée,
ce à quoi les cinq jeunes titulaires du VFO ont su tirer profit pour s’illustrer.
La caractéristique majeure de Salonen qui est de veiller à la clarté et au
moelleux des textures a permis de donner au mouvement lent central un tour plutôt
limpide, quasi chambriste.
Lynn Harrell. Photo : (c) Christian Steiner
Le lendemain matin, en l’église
de Verbier, Lynn Harrell et Anna Malikova, qui remplaçait au pied levé Zhang
Zuo, ce qui a valu du même coup des modifications du programme qui s’est avéré
moins original, la Sonate pour arpeggione
et piano D. 821 de Schubert et deux pages de Mendelssohn remplaçant les Petites pièces op. 11 de Webern, la Sonate de Debussy et l’Introduction et polonaise brillante op. 3
de Chopin. En fait, seules les Sept
Variations sur « Bei Männen, welche Liebe fühlen » de la Flûte enchantée de Mozart WoO46 de Beethoven sont
restées de ce qui était initialement prévu, car même la Sonate n° 3 pour
violoncelle et piano de Beethoven a été remplacée par la Sonate n° 5 pour violoncelle et piano en ré majeur op. 102/2. Tant
et si bien que le jeu du violoncelliste américain est apparu moins ample et
plus contraint que de coutume, tandis que la pianiste ouzbèque s’est avérée
attentive à ne pas couvrir son partenaire dans les Variations beethovénienne et à le soutenir plutôt qu’à
dialoguer avec lui.
András Schiff et le Verbier Festival Chamber Orchestra. Photo : (c) Bruno Serrou
Le soir venu, la pluie est venue perturber sérieusement le
concert sous chapiteau. Ajoutée aux grondements du tonnerre, celle-ci s’est
ingéniée à couvrir le Verbier Festival Chamber Orchestra avec lequel elle a
jouée non sans une certaine espièglerie. Il faut dire que le directeur musical de
la phalange instrumentale, Gábor Takács-Nagy qui le
dirigeait, a fait preuve d’humour, de bonne humeur et d’excellente constitution
en interrompant avec le sourire l’exécution de la judicieusement choisie en
cette soirée d’intempérie Symphonie n° 94
en sol majeur « la Surprise » de Joseph Haydn. Après en avoir
dirigé les deux premiers mouvements, le chef hongrois en a interrompu l’exécution,
levant les bras au ciel tout en se retournant vers le public, d’un air désolé
mais avec le sourire, attendant stoïquement que l’orage se calme, avant de
reprendre la totalité de l’œuvre, expriment à l’auditoire l’impossibilité de
reprendre une œuvre en son milieu après une pause de plus d’un quart d’heure.
Gábor Takács-Nagy. Photo : (c) Nicolas Brodard
En
dépit de ces contraintes, à la tête d’une formation aguerrie, Takács-Nagy a donné de la symphonie de Haydn une interprétation au
cordeau, aux arêtes vives, mais singulièrement chantante et nuancée. Lorsque son
compatriote András Schiff s’assoit devant le clavier du Steinway de concert
griffé Verbier Festival pour attaquer le Concerto n° 3 pour piano et orchestre
de Bartók, l’orage reprend et redouble de puissance, allant à l’encontre du
moins téméraire et percussif des concertos du compositeur hongrois. Aucune
interruption cependant n’a été décidée, et c’est à grand peine que l’on a pu
entendre l’exécution du concerto, Schiff jouant d’un nuancier particulièrement
raffiné et exaltant une musicalité extrême, que la légèreté des textures du
VFCO a magnifiée en dépit des intempéries résonnant bruyamment sur le toit du
chapiteau. Ces conditions exécrables n’ont pas eu raison de l’enthousiasme du
public auquel Schiff a répondu en offrant en bis la tempétueuse Bagatelle op. 126/4 de Beethoven. Après
une interruption de plus d’une demi-heure, le concert a repris profitant d’une accalmie,
pour une autre œuvre de Beethoven, la Symphonie
n° 6 en fa majeur op. 68 « Pastorale ». Cette fois, l’auditoire a
pu goûter la délicatesse des textures, la souplesse des attaques, la chaleur des
cordes. Quant à l’orage de Beethoven, il a pris le dessus sur celui de la
nature qui s’est définitivement effacé pour ne plus perturber le concert jusqu’à
la fin.
L'intérieur de l'église de Verbier. Photo : (c) Aline Paley
Dimanche matin, l’église de
Verbier a servi d’écrin à une remarquable prestation du Pavel Haas Quartet,
ensemble tchèque qui s’est placé sous le patronyme du compositeur tchèque Pavel
Haas (1899-1944) mort à Auschwitz durant l’holocauste. Deux œuvres de Dvorak
ont encadré une page plus anecdotique de Luigi Boccherini, le Quintette pour guitare et cordes n° 4 en ré
majeur G. 448 « Fandango », programmé pour mettre en valeur le
jeune guitariste monténégrin Milos Karadaglic, mais c’est le violoncelliste du
groupe, Peter Jarůšek, qui a imposé son
instrument en le faisant sonner comme une énorme guitare aux sonorités
infinies, du do grave aux harmoniques les plus aiguës. Dans Dvorak, les Haas
ont joué dans leur jardin. Que ce soit à trois, dans les Quatre Miniatures pour
deux violons et alto op. 75a sur lequel s’est ouvert le concert, comme dans le
célébrissime Quatuor à cordes n° 12 en fa
majeur op. 96 « Américain », joué avec ferveur et humanité serti
des luxuriantes sonorités de son premier violon, Veronika Jarůšková.
Edgar Moreau, Ana Chumachenko, Gautier Capuçon, Blythe Teh Engstroem et Roberto Gonzales-Monjas. Photo : (c) Bruno Serrou
Le dernier concert du Festival de
Verbier auquel j’ai assisté cette année était plutôt dense. Dix interprètes se
sont croisés et/ou côtoyés sur le plateau de l’église dans un vaste programme
ouvert sur sept mélodies de quatre compositeurs russes pour baryton, avec piano…
et violoncelle, Anton Stepanovitch Arenski, Alexandre Borodine, Mikhaïl Glinka
et Piotr Ilitch Tchaïkovski. Enchainées les unes aux autres comme s’il s’agissait
d’un même recueil, suscitant ainsi une lassitude palpable tant les pages sont
apparues semblables. Le talent du baryton russe Mikhaïl Petrentko n’a rien pu y
faire, écrasé par la lourdeur de l’archet et la justesse approximative du
violoncelle de Mischa Maisky, et par le piano excessivement sonre d’Alexander
Melnikov. Melnikov qui a ensuite tiré la couverture à lui dans la rare et
pourtant passionnante Suite pour deux
violons, violoncelle et piano pour la main gauche op. 23 qu’Erich Wolfgang
Korngold a composée en 1930 pour Paul Wittgenstein, qui est à l’origine de
quantité d’œuvres pour la main gauche, dont le Concerto en ré majeur de Ravel. Le pianiste russe s’est cru dans
une partition de Chostakovitch, oubliant qu’il s’agissait en fait d’une œuvre d’un
Viennois écrite pour un Viennois. Au poste de premier violon, Renaud Capuçon s’est
fait trop discret et son archet s’est avéré trop lourd, laissant curieusement la
primauté au second violon tenu par Alexandra Conunova, tandis que le
violoncelliste Edgar Moreau a été le seul à faire chanter son instrument. La
seconde partie du concert était entièrement occupée par le merveilleux Quintette à cordes avec deux violoncelles en
ut majeur D. 956 de Schubert. Les cinq solistes réunis pour l’occasion sont parvenus à
fusionner la diversité de leurs personnalités pour viser au même but, faire
chanter cette œuvre admirable avec une profonde humanité, sous la conduite de
la remarquable violoniste russe Ana Chumachenco, qui a exalté des sonorités vif-argent,
soutenue avec élan par le violoniste espagnol Roberto Gonzales-Monjas, tandis
que l’altiste américaine Blyth Teh Engstroem, épouse du directeur du Verbier
Festival, a imposé la présence chaleureuse de son instrument. Côté
violoncelles, le premier était tenu par Edgar Moreau, qui a su se fondre avec
infiniment de tact au quatuor, tandis que le second était joué par Gautier
Capuçon, qui s’avère excellent chambriste, se montrant plus concentré et
humble qu’en situation de soliste.
Bruno Serrou
Jusqu’au 2 août 2015. La majorité
des concerts du Verbier Festival est diffusée sur www.medici.tv.
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