Paris, Théâtre des Bouffes du Nord, mercredi 19 et lundi 24 novembre
2014
Frédéric Verrières (né en 1968), Mimi. Photo : (c) Victor Tonelli - Artcomart
Le Théâtre des Bouffes du Nord
est en passe de devenir la salle la plus ouverte à la création musicale
contemporaine de la place de Paris. La promiscuité du public et des musiciens
est exceptionnelle, si bien que l’écoute pousse à l’intimisme, avec les interprètes
et avec les œuvres jouées. L’acoustique est chaude, à condition que le fond du
plateau soit occupé par des instrumentistes ou caché par un rideau, sinon le
son tend à se disperser et à se perdre dans les hauteurs… En moins d’une
semaine, ce lieu rendu célèbre par Peter Brook a offert l’opportunité d’entendre
deux œuvres paradoxales péchant par excès d’encrage de l’air du temps, la
première puisant sans vergogne dans la musique populaire, voire la muzak, la
seconde dans la tradition savante française…
Frédéric Verrières (né en 1968), Mimi. Photo : (c) Victor Tonelli - Artcomart
Mimi de Frédéric
Verrières
Comme il l’a fait en avril 2011 pour
le premier, The Second Woman, le
Théâtre des Bouffes du Nord a commandé et produit le deuxième opéra de Frédéric
Verrières (né en 1968), Mimi sous-titré
à l’instar de la pièce d’Henry Murger (1822-1861) dont le livret s’inspire Scènes de la vie de bohème. A l’instar
de The Second Woman, libre adaptation
du film Opening Night (1977) de John Cassavetes, Mimi est une transposition libre du célébrissime chef-d’œuvre de
Giacomo Puccini (1858-1924), La bohème
(1892-1895). C’est la même équipe qui signe la réalisation de cette Mimi, du compositeur à l’ensemble
instrumental, Court-Circuit, en passant par le librettiste, Bastien Gallet, le
chef d’orchestre, Jean Deroyer, le metteur en scène, Guillaume Vincent, et les scénographes,
James Brandily pour le décor, Fanny Brouste pour les costumes et Sébastien
Michaud pour les lumières.
Frédéric Verrières (né en 1968), Mimi. Camélia Jordana (Mimi 1). Photo : (c) Victor Tonelli - Artcomart
N’ayant pas, lorsqu’il puisa son inspiration dans le cinéma, de musique
particulière comme modèle possible, la bande de Bo Harwood étant sans saveur
particulière, Verrières avait ouvertement puisé pour The Second Woman dans le répertoire, de Haendel à Berg, en passant
par Verdi et Puccini... Un Puccini évidemment omniprésent dans Mimi, tour à tour traité avec révérence,
métamorphosé par des pots-pourris, écartelé, déformé jusqu’à être plus ou moins
reconnaissable, passant des chanteurs à l’orchestre puis aux haut-parleurs diffuseurs
d’enregistrements historiques, exploitant notamment la voix de Luciano
Pavarotti sans le moindre traitement mais sèchement fractionnée. Le découpage
de Mimi est fidèle à celui de La bohème, mais les trois actes
s’enchaînant sans interruption, séparés seulement par des scènes de genre aux
attributs bouffes et au tour de cabaret.
Frédéric Verrières (né en 1968), Mimi. Camélia Jordana (Mimi 1). Photo : (c) Victor Tonelli - Artcomart
Comme le titre l’indique, c’est sur le
personnage de Mimi qu’est centrée l’action, au point d’être dédoublé, tandis
que celui de Musette se voit développé, alors qu’apparaît curieusement un
personnage venu d’Alban Berg, l’homosexuelle comtesse Geschwitz venue de Lulu (1929-1935), synthèse d’un diptyque
de Frank Wedekind écrit entre 1895 et 1902, c’est-à-dire au moment où l’opéra
de Puccini était en train de naitre. Les hommes, représentés par les seuls
Rodolphe et Marcel, sont réduits à la portion congrue. Moins raffiné et spirituel
que celui de The Second Woman,
pourtant signé par le même Bastien Gallet, le livret de Mimi est plus contraint, moins spontané et imaginatif, à l’instar
de la partition, trop systématiquement emplie du modèle et, lorsqu’elle parvient
à s’en libérer, trop encline à aller dans le sens du vent, avec un usage
excessif et laborieuse du rock et de la pop’, voire de la variété la plus
commerciale, dance music, techno-punk, remix et autres qualificatifs dont la
liste n’est pas limitative.
Frédéric Verrières (né en 1968). Photo : DR
Bref, considérant la réussite de The
Second Woman, j’avoue ma déception, qui est grande, face à cette Mimi fatras et foutras qui se déploie
dans un décor du même acabit dont l’assise est constituée de matelas de tout
gabarit sur lesquels se meuvent les protagonistes avec plus ou moins d’aisance,
entourés d’un monceau d’accessoires en tout genre, d’une Vierge venue de
Lourdes à un train avant d’Austin Morris et à des écrans de télévision
diffusant diverses captations scéniques de La
bohème de Puccini, tandis que la mise en scène de Guillaume Vincent est
plus proche de la farce potache que de l’humour véritable, de la dérision et de
la réflexion sur l’amour. Seule Caroline Rose, voix rauque façon Nina Hagen star
de l’émission populaire de TF1 The Voice
en walkyrie dézinguée meneuse de revue au fort accent allemand, est
irrésistible. Il convient également de relever la prestation de la chanteuse
pop’ Camélia Jordana, « révélation » d’une autre émission grand
public, Nouvelle Star de M6, qui
surprend elle aussi par son naturel et le plaisir évident qui émane de sa
personne en brune Mimi 1 à la voix caverneuse.
A leurs côtés, des chanteurs lyriques, Pauline Courtin en Musette à la voix bien en place, Judith Fa, Mimi 2 plus gracile et touchante, Christophe Gay, Marcel portant perruque et vêtu d’un short et d’un… marcel gravé des portraits de Manuel Valls et de Fleur Pellerin et portant perruque, et Christian Helmer Rodolphe à la voix caverneuse, tous fluctuant entre voix lyrique et de variétés. En fond de plateau, sur une estrade, l’ensemble Court-Circuit s’illustre dans la partie qui lui est dévolue, sans doute la moins de cet ouvrage, tant elle manque de spontanéité et de personnalité, s’avérant trop « cross over » et se forçant à l’air du temps, mais que Jean Deroyer essaie néanmoins de tirer vers le haut.
Frédéric Verrières (né en 1968), Mimi. Photo : (c) Victor Tonelli - Artcomart
A leurs côtés, des chanteurs lyriques, Pauline Courtin en Musette à la voix bien en place, Judith Fa, Mimi 2 plus gracile et touchante, Christophe Gay, Marcel portant perruque et vêtu d’un short et d’un… marcel gravé des portraits de Manuel Valls et de Fleur Pellerin et portant perruque, et Christian Helmer Rodolphe à la voix caverneuse, tous fluctuant entre voix lyrique et de variétés. En fond de plateau, sur une estrade, l’ensemble Court-Circuit s’illustre dans la partie qui lui est dévolue, sans doute la moins de cet ouvrage, tant elle manque de spontanéité et de personnalité, s’avérant trop « cross over » et se forçant à l’air du temps, mais que Jean Deroyer essaie néanmoins de tirer vers le haut.
Quatuor à
cordes n° 3 de François Meïmoun
Le Quatuor Ardeo à l'issue de la création du Quatuor à cordes n° 3 de François Meïmoun. Photo : (c) Editions Durand-Salabert-Umusic classical
Cinq jours
après Mimi, les Bouffes du Nord étaient
le cadre de la création du Quatuor à
cordes n° 3 de François Meïmoun (né en 1979). A 35 ans, cet élève angevin de
Michaël Levinas est un homme particulièrement actif. Editeur, écrivain, compositeur
en résidence au Festival de Chaillol, chercheur
à l’Ecole des Hautes Etudes, auteur d’un nombre déjà conséquent de partitions
pour tout type d’effectifs, Meïmoun en est déjà à trois quatuors à cordes,
genre pourtant réputé particulièrement difficile et exigeant à concevoir, tant
il ouvre aux champs de tous les possibles. Pour ce troisième essai, qu’il a
conçu pour les seize cordes du Quatuor Ardeo, avec qui il a été en contact
suivi pendant toute la genèse de l’œuvre, et dont les quatre archets se font ici
aussi singuliers que fondus en une seule entité, Meïmoun a choisi de prendre pour
socle le Quatuor à cordes de Maurice
Ravel, dont on distingue clairement la griffe dans le court thème énoncé dès
les premières mesures, fluide de matériau et particulièrement chantant, qui se
propage tout au long des quinze minutes que dure l’œuvre à la trajectoire d’un
seul tenant et joué sans interruption, totalement empreinte de classicisme mais
ne négligeant pas les tendances actuelles, du spectral au bruitisme, mais sans saturation. Cette œuvre, dont les timbres et
les couleurs sont en mutation continue, reflète un savoir-faire incontestable
mais il y manque encore une prégnante originalité et un tempérament absolu que
ce jeune compositeur ne tardera assurément pas à acquérir.
François Meïmoun (né en 1979). Photo : (c) François Meïmoun
Le Quatuor
Ardeo a donné de cette ce nouvel opus de François Meïmoun une interprétation que
l’on peut estimer idéale, les musiciennes s’impliquant sans restriction dans
cette partition qu’elles ont jouée après le Quatuor
à cordes en la mineur op. 13 que Félix Mendelssohn-Bartholdy a achevé deux
mois avant la mort de Beethoven, en 1827. Il s’agit donc ici aussi d’une œuvre
de jeunesse, le compositeur hambourgeois étant alors âgé de 17 ans. Les
Ardeo, qui alternent les postes de premier et de second violons dont l’une
vient de prendre ses fonctions au sein du quatuor, n’ont pas démontré ici une totale cohésion, les timbres des instruments contrastant parfois violemment et
manquant de chair, se montrant de temps à autre acides et peu puissants.
Ce manque de présence, notable aux violons, a sans doute été dû aux matelas de Mimi rassemblés en un énorme tas derrière l’alto et le violoncelle et qui ont laminé la propagation du son à travers l’espace, alors que celui des deux violons rebondissait sur le cadre de scène et le rideau limitant le plateau. En seconde partie de leur concert, le Quatuor Ardeo a donné une transcription pour seize cordes que François Meïmoun a réalisée des Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach. Mais les quarante-cinq minutes d’exécution prévues et l'heure tardive à laquelle commencent concerts et spectacles aux Bouffes du Nord m’ont empêché d’écouter cette réalisation, me devant de filer à l'anglaise à l'entracte pour attraper le dernier train qui me ramène chez moi depuis la gare de Lyon...
Le Quatuor Ardeo. Photo : (c) Quatuor Ardeo
Ce manque de présence, notable aux violons, a sans doute été dû aux matelas de Mimi rassemblés en un énorme tas derrière l’alto et le violoncelle et qui ont laminé la propagation du son à travers l’espace, alors que celui des deux violons rebondissait sur le cadre de scène et le rideau limitant le plateau. En seconde partie de leur concert, le Quatuor Ardeo a donné une transcription pour seize cordes que François Meïmoun a réalisée des Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach. Mais les quarante-cinq minutes d’exécution prévues et l'heure tardive à laquelle commencent concerts et spectacles aux Bouffes du Nord m’ont empêché d’écouter cette réalisation, me devant de filer à l'anglaise à l'entracte pour attraper le dernier train qui me ramène chez moi depuis la gare de Lyon...
Bruno Serrou
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