Paris, Salle Pleyel, Vendredi 20 avril 2012
Photo : DR
A trente et un ans, Gustavo
Dudamel fait à chacune de ses apparitions parisiennes toujours davantage penser
à Leonard Bernstein. Le chef vénézuélien n’a de cesse d’enthousiasmer les
foules et de transcender les orchestres qu’il dirige, les siens comme ceux dont
il est l’invité. Ainsi, l’Orchestre Philharmonique de Los Angeles semble
acquérir une vitalité qui lui était inconnue avant son arrivée comme directeur
musical en 2009, tandis que l’Orchestre Philharmonique de Berlin se plaît à l’inviter
fréquemment comme en quête d’adrénaline. Depuis sept ans, l’Orchestre
Philharmonique de Radio France bénéficie régulièrement de son aura et, surtout,
de sa flamme, de sa vigueur, de sa jeunesse, de sa fougue, de son
extraordinaire musicalité. Les musiciens français le lui rendent bien, d’ailleurs,
jouant sous son empreinte avec un plaisir non feint et pour le moins communicatif,
les pupitres rivalisant de virtuosité et de précision tout en sonnant de façon
homogène, comme il ne le fait qu’occasionnellement, y compris avec son chef
titulaire, et félicitant ce chef qu’il aime de toute évidence à la fin de
chaque concert en l’applaudissant avec la une ferveur partagée par le public.
Au point que les musiciens français rêvent de sa nomination à la tête de
cet orchestre dont les qualités intrinsèques tendent hélas à s’affaiblir, à de
trop rares exceptions près.
Pour leur second concert de leur
intégrale des quatre symphonies de Johannes Brahms conçues en moins d’une
décennie (1876-1885), Gustavo Dudamel et le Philharmonique de Radio France ont
donné une impulsion inaccoutumée à cette musique qui sonne comme venue du plus
profond de la terre, des abîmes de l’âme, grondante enracinée dans les graves
de l’orchestre, l’assise du son semblant émaner des timbales, tandis qu’un doux
chant s’exhale de phrases aux contours insondables se renouvelant de façon
continue, respirant large et aux élans d’une générosité infinie. Consacré aux
deux symphonies paires, le concert de vendredi s’est avéré singulier. En effet,
le chef vénézuélien a fait fausse route, à commencer par la Symphonie n° 2 en ré majeur op. 73, née dans la sérénité après la
genèse longue et particulièrement difficile de la Première. Si bien que l’œuvre
est l’une des plus chatoyantes de Brahms, dont le sombre caractère reste
néanmoins indéniablement sous-jacent. Or, Dudamel en a fait une œuvre allant de
l’ombre à la lumière en quatre étapes successives, à la façon de la deuxième des
symphonies de Mahler. Ainsi, la première partie du mouvement initial a été
exposé avec une lenteur excessive, toute en retenue et en introspection, la
sublime phrase des cors instaurant non pas une atmosphère paisible et olympienne
mais plutôt une nostalgie déliée qui irrigue l’ensemble du morceau, dont le
chef met cependant en évidence la diversité d’une orchestration d’une
mobilité extrême. L’Adagio chante avec une profondeur toute méditative,
à l’instar de la mélodie des violoncelles, d’une beauté incandescente, tout
comme les bois et l’ensemble des cordes, qui soulignent avec brio la complexité
de l’écriture et la force émotionnelle qui en émane. Dynamique et vif, l’Allegretto grazioso qui semblait a priori correspondre à l’opulence jaillissante
de la direction de Dudamel, a curieusement manqué d’exubérance, le chef se
montrant au contraire retenu et pondéré, restant sur son quant-à-soi, sans pour
autant éteindre tout-à-fait l’allant caractéristique de ce morceau, même dans les deux ardents
Presto. Le finale, en revanche, a été
un moment de lumière, respirant large et guilleret, bien dans le « sang
mozartien » exalté ici par le critique viennois proche de Brahms, Eduard
Hanslick.
La Symphonie n° 4 en mi mineur op. 98 est à la fois la plus classique
des symphonies de Brahms, se concluant à l’instar des Variations sur un
thème de Haydn op. 56a sur une grandiose chaconne puisée dans le
chœur final de la Cantate BWV.150 de Jean-Sébastien Bach qui
donne lieu à de magistrales variations, et la plus crépusculaire et exacerbée. Proposant
une lecture fluide, énergique et aux reliefs marqués, dirigeant avec élan et
instaurant un climat conquérant et particulièrement dynamique, Dudamel a ici aussi
pris ses distances par rapport à l’esprit de l’œuvre. Cette approche originale
s’est néanmoins révélée passionnante, surtout dans les deux mouvements
extrêmes, le chef exaltant le charme du premier et de conclure avec une énergie vertigineuse sur le majestueux finale. L'Orchestre Philharmonique de Radio France s’est illustré
par une virtuosité au service d’une orchestration inlassablement
renouvelée.
Bruno Serrou
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