Villeurbanne.
Festival pour l’humanité de l’Opéra de Lyon. TNP. Jeudi 17 mars 2016
Viktor Ulmann (1898-1944), Der Kaiser von Atlantis. Photo : (c) Opéra national de Lyon
A l’instar de son auteur, Viktor Ullmann (1898-1944), l’opéra en
un acte et quatre tableaux Der Kaiser von
Atlantis (l’Empereur d’Atlantide),
extraordinaire témoignage de l’esprit et de l’humanité face à la barbarie, a
connu un singulier destin, puisqu’il a été créé en 1975 à Amsterdam, plus de
trente ans après avoir été achevé et répété jusqu’à sa générale dans l’enceinte
du camp de concentration de Theresienstadt, tandis que la version originale n’a
resurgi qu’en 1989, à Berlin. Dans l’intervalle, le compositeur tchèque avait
été oublié, exterminé à Auschwitz avec nombre de ses compagnons de captivité à
Terezin. C’est dans ce camp de concentration dont les nazis avaient fait leur
propagande aux yeux de la Croix Rouge internationale, qu’Ullmann a composé ce
troisième opéra en vue de représentations devant un public constitué de ses
compagnons de misère. De la cinquantaine d’œuvres qu’il a écrites avant sa
déportation et de la trentaine née en deux ans de captivité, seules dix-huit
ont subsisté. Celle de l’Empereur d’Atlantide nous est parvenue grâce à l’un
des amis du compositeur qui survécut à la Shoah.
Viktor Ulmann (1898-1944), Der Kaiser von Atlantis. Photo : (c) Opéra national de Lyon
Compositeur chef d’orchestre, Ullmann est aux côtés d’Alban Berg
et d’Anton Webern l’un des meilleurs élèves d’Arnold Schönberg, avec qui il a
étudié en 1918-1919, avant de devenir l’année suivante l’assistant d’Alexandre
Zemlinsky à l’Opéra allemand de Prague, et d’étudier le micro-intervalle avec
son compatriote Alois Haba. Dispensé à Terezin de travail obligatoire, Ullmann
a pu se vouer entièrement à la musique, organisant les concerts dont il faisait
aussi les compte-rendu dans le journal du camp, animant un studio de création
et composant comme il ne l’avait jamais fait auparavant.
Viktor Ulmann (1898-1944), Der Kaiser von Atlantis. Photo : (c) Opéra national de Lyon
Ullmann écrit L’Empereur d’Atlantide, ouvrage sous-titré
le Refus de la mort, à la fin de
l’année 1943 sur un livret de Peter Kien, qui, à l’âge de vingt-cinq ans, allait
lui aussi disparaître à Auschwitz. L’intrigue de cet opéra en un acte est une
fable saisissante, considérant le contexte de sa genèse : l’Empereur lui
ayant ordonné de conduire ses armées dans une guerre à sa propre gloire, la
Mort, offensée, brise son épée et décide que nul ne pourra plus mourir. Le
chaos s’ensuit, les condamnés à mort politiques restent en vie, tout comme les
soldats et la population qui endurent mille maux. Tandis que la Vie, sous la
figure d’Arlequin, se plaint de ne plus faire rire personne, la Mort, défiée
par le Tambour, porte-parole de l’Empereur, promet de délivrer le peuple de ses
souffrances si ce dernier accepte de mourir le premier, ce à quoi l’Empereur finira
par accéder. La partition est un florilège de styles et d’atmosphères condensé
en cinquante minutes, usant de tous les modes d’expressions vocales, du parler
au chant, la forme variant du mélodrame au bel canto, tandis que l’on trouve
des réminiscences de jazz et de musique légère des années vingt (avec
dominantes de piano, mandoline, guitare, saxophone), mais aussi Mahler,
Schönberg et, surtout, Kurt Weill, entre autres compositeurs interdits, tandis
que l’on entend le Deutschlandlied exposé dans le mode ecclésiastique et
le choral Ein feste Burg ist unser Gott, que les nazis avaient repris à
leur compte.
Viktor Ulmann (1898-1944), Der Kaiser von Atlantis. Photo : (c) Opéra national de Lyon
Der Kaiser
von Atlantis était
présenté pour la première fois en France en 1995, à Paris Centre Pompidou, par
l’Ensemble 2e2m dirigé par Paul Mefano dans une mise en scène de Serge Noyelle.
Dix ans plus tard, l’Opéra de Nancy présentait à son tour une production
remarquable du chef-d’œuvre d’Ullmann mise en scène par Vincent Tordjmann Théâtre
de la Manufacture. En janvier 2014, Louise Moaty proposait pour l’ARCAL en
région Ile-de-France une touchante réalisation. Le spectacle vu à Villeurbanne
par l’Opéra de Lyon dans le cadre de son « Festival de l’Humanité »
en coréalisation avec la Comédie de Valence, est donc la quatrième approche de
ce pur chef-d’œuvre que j’ai la chance de voir et d’écouter. L’Opéra de Lyon reprend
au TNP une production que je n’avais pas vue, trois ans après sa première
mouture présentée Théâtre de la Croix-Rousse, celle de Richard Brunel,
directeur de la Comédie de Valence qui met prochainement en scène Béatrice et Bénédict de Berlioz Théâtre
Royal de la Monnaie de Bruxelles dont la première représentation est jeudi 24
mars.
Viktor Ulmann (1898-1944), Der Kaiser von Atlantis. Mikkel Skorpen (Arlequin). Photo : (c) Opéra national de Lyon
La scénographie de Marc Lainé, d’une grande efficacité sur laquelle l’orchestre
s’élève sur les hauteurs du plateau, commençant sur les planches avec un
arrangement pour quatuor à cordes de Siegfried
Idyll de Richard Wagner, « clin d’œil à la récupération par les nazis
de Richard Wagner » me dira la dramaturge du spectacle Catherine
Ailloud-Nicolas, qui sonne étonnement comme de la musique bourgeoise sitôt les
premières mesures de la musique expressionniste d’Ullmann exposées, pour monter
à l’arrière-plan au fur et à mesure du développement de l’action sur un
praticable toujours plus élevé, tandis que les protagonistes s’expriment pour l’essentiel
à hauteur de plancher. L’action se déroule pour l’essentiel autour d’une grande
table ovale de conseil d’administration sur lequel circule un autorail à l’échelle
HO. Ce hiatus entre Wagner et Ullmann n’est opportunément pas soulignée par la
mise en scène qui, au contraire projette à regard distancié qui évite avec
délicatesse de surligner le caractère volontairement caricatural de l’œuvre.
Viktor Ulmann (1898-1944), Der Kaiser von Atlantis. Photo : (c) Opéra national de Lyon
La
conception de Brunel et sombre et épurée, ne chargeant jamais le trait. Le Haut-parleur
est incarné par une guirlande de téléphones, le Tambour devient policière, Arlequin
un adorable clown, la Mort vêtue d’un long manteau noir est plus obligeante qu’inquiétante.
La distribution réunie pour cette reprise est entièrement constituée de
Solistes du Studio de l’Opéra de Lyon, tous excellents, de l’Empereur Overall
campé par un Samuel Hasselhorn névrosé, à La Mort incarnée avec humanité par
Piotr Micinski, en passant par le Haut-parleur d’Alexander Kiechle, le Tambour
de Judith Beifuss, l’Arlequin/Soldat de Mikked Skorpen et la Fille coiffée à la
garçonne/Soldat d’Andromahi Raptis. Les quinze musiciens membres de l’Orchestre
de l’Opéra de Lyon jouant tous en solistes rivalisent de brio, sous la
direction précise et fluide de Vincent Renaud.
Bruno Serrou
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