dimanche 6 mars 2016

Nikolaus Harnoncourt, immense musicien qui révolutionna l’interprétation des musiques baroque, classique et romantique, est mort à Vienne samedi 5 mars 2016. Il avait 86 ans

Nikolaus Harnoncourt (1929-2016). Photo : DR

[Paru sur le site Internet du quotidien La Croix le 6 mars 2016 ]

Chef d’orchestre, violoncelliste, écrivain, chercheur, musicologue, philosophe, pédagogue, Nikolaus Harnoncourt est un artiste hors pair, un homme d’une infinie noblesse, un être raffiné de culture universelle. Il avait fait ses adieux au public dans une lettre publiée en décembre dernier.

Nikolaus Harnoncourt, Festival de Salzbourg, juillet 2012. Photo : (c) AFP/Ernst Wukits

« Il est de nombreux indices qui montrent que nous allons vers une débâcle culturelle générale, dont la musique ne serait bien entendu pas exclue, puisqu’elle n’est qu’une partie de notre vie spirituelle, et ne peut donc exprimer en tant que telle que ce qui se trouve dans la totalité, avertissait Nikolaus Harnoncourt dès 1982. Si la situation est vraiment aussi grave que je la vois, alors il n’est pas bon que nous restions de simples spectateurs inactifs, à attendre que tout soit fini. »

Photo : DR

Musicien hors pair, initiateur parmi les plus raffinés et réfléchis du retour aux sources historiques, de l’ère baroque jusqu’au romantisme, qui a émergé à la fin des années 1970, Nikolaus Harnoncourt a été l’un des artistes les plus captivants de notre temps. Authentique penseur doublé d’un musicien d’une acuité intellectuelle sans équivalent, le chef d’orchestre violoncelliste pédagogue autrichien, fondateur du Concentus Musicus de Vienne en 1953 après avoir envisagé un temps de devenir marionnettiste, est légitimement considéré comme la référence non seulement dans le domaine de la musique ancienne mais aussi jusqu’au début du XXe siècle. « Un artiste qui se met au service du goût de son temps ne mérite pas le nom d’artiste. » Ces mots exprimés par Nikolaus Harnoncourt en 1997 sont en fait son véritable credo, sur lequel nombre de musiciens devraient méditer…

Photo : (c) Sony Classical

L’on connaît, grâce à son demi-millier d’enregistrements et à ses deux passionnants recueils de textes publiés chez Gallimard en 1982 et 1985, Le discours musical et Le dialogue musical, Monteverdi, Bach et Mozart, le cheminement de la réflexion, de l’analyse, de la conception et de l’interprétation de la musique du passé d’Harnoncourt, qui n’a eu de cesse de bouleverser inlassablement les idées reçues de façon extraordinairement stimulante, parvenant même à convaincre les plus réfractaires au mouvement qu’il a largement contribué à lancer. « On surestime un peu les interprètes - chefs, musiciens, constatait humblement Harnoncourt en 2004. Ils ont besoin des compositeurs, des œuvres. Il est important que les chefs soient en mesure de comprendre les œuvres et de transmettre cela aux musiciens. Mais à aucun interprète je n’accorderais, du point de vue de l’art, de véritable grandeur. »

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Son grand œuvre a été entrepris en 1971 et achevé en 1990 aux côtés de Gustav Leonhardt, disparu en janvier 2012, avec l’intégrale des cantates sacrées de Jean-Sébastien Bach avec le Concentus Musicus de Vienne qu’il avait fondé en 1953 avec sa femme, la violoniste Alice Hoffelner. « Ses points forts à l’époque et jusqu’à la fin de sa vie, se souvient Philippe Herreweghe qui travailla avec Harnoncourt et Leonhardt sur cette intégrale en tant que directeur-fondateur du Collegium Vocale de Gand, étaient sa grande connaissance des choses et son authenticité au service des compositeurs. Son côté théâtral était beaucoup plus mis en avant que chez Leonhardt, plus introverti qu’Harnoncourt, qui était extraverti. »

Photo : DR

Poussé par son insatiable curiosité, son envie de parcourir l’univers musical et son histoire, Harnoncourt réfutait toute classification en matière musicale, démontrant au contraire que baroque, classique, romantique, moderne n’ont aucun sens et que tout est lié, étroitement intriqué, qu’il n’y a qu’une seule vision de la musique, et qu’il convient avant tout de retourner aux sources.

Photo : DR

« Enervé par les imperfections » des instruments anciens et contrairement à la majorité de ses confrères d’obédience baroque, Harnoncourt, lorsqu’il aborda les répertoires classique puis romantique, a essentiellement collaboré avec les grandes phalanges symphoniques traditionnelles, commençant avec l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam à partir de 1977 pour les symphonies de Mozart, dont il respectait jusqu’à la moindre reprise, puis l’Orchestre Philharmonique de Vienne et celui de Berlin, l’Orchestre de Chambre d’Europe avec lequel il se produisait souvent. Néanmoins, une idée dominait sa pensée, qui, comme le rappelle le claveciniste Olivier Beaumont, se plaisait à relever le fait que « la musique avant 1800 chante tandis que celle d’après parle ». « Pendant un millier d’années, dans la musique occidentale, précisait Harnoncourt, la musique et la vie furent indissociables - la musique du moment présent. A partir du moment où cette unité avait disparu, il fallut trouver une nouvelle manière de comprendre la musique. Dès lors que l’on songe à la musique d’aujourd’hui, on remarque un clivage : nous faisons une distinction entre "musique populaire", "musique légère", "musique sérieuse" (concept qui pour moi n’existe pas). Au sein de ces groupes isolés, il existe encore des parcelles d’unité - mais l’unité de la musique de la vie, ainsi que de la musique dans son ensemble, est perdue. »

Photo : (c) Berliner Philharmoniker

Ce magnifique humaniste né à Berlin le 6 décembre 1929 dans une noble famille huguenote d’origine lorraine réfugiée en Prusse - il  portait le titre de Comte de La Fontaine et d’Harnoncourt-Unverzagt, tandis que sa mère était une descendante de l’empereur François Ier du Saint-Empire romain-germanique -, a fait ses études en Autriche, tout d’abord à Graz, où s’étaient installés ses parents, puis à Vienne, où il fonde la Concentus Musicus en 1953, tout en continuant un temps à occuper le poste de violoncelle solo au sein de  l’Orchestre Symphonique de Vienne. Harnoncourt aimait les musiciens et savait les écouter. « J’essaie autant que possible de donner aux musiciens l’occasion d’exprimer leurs souhaits, disait-il en 1999. Cela ne supprime pas le problème que posera toujours la relation chef-orchestre : car à la fin, le fait qu’un homme détermine ce que cent autres doivent faire est toujours quelque peu inhumain. » Ce que confirme la cantatrice Patricia Petibon, qui déclarait en 2008 : « L’extraordinaire, avec lui, est qu’il attend des suggestions, des idées de ses interprètes. En lui, cohabitent le grand musicologue qui connaît parfaitement la musique ancienne, et le musicien, qui, lorsque vous lui chantez un air avec conviction, agrée vos choix. »

Photo : (c) Urs Flueeler / Keystone

Loin de tout dogmatisme, Nikolaus Harnoncourt estimait que l’exactitude n’est pas la panacée universelle dans l’interprétation de la musique du passé. « Harnoncourt a écrit que l’authenticité est un leurre créatif, rappelle le compositeur François-Bernard Mâche, ce qui explique sans doute son évolution de partisan de la musique baroque qui, après avoir invoqué la dimension historique de ladite authenticité, a changé son mousquet d’épaule pour revendiquer la créativité. »

Bruno Serrou


A lire :
Nikolaus Harnoncourt, Le discours musical, pour une nouvelle conception de la musique, Tel-Gallimard, 1982. Le dialogue musical, Monteverdi, Bach et Mozart, Gallimard, 1985. La Parole musicale. Propos sur la musique romantique, Actes Sud, 2014.

Le tout dernier disque de Nikolaus Harnoncourt

A écouter :

Au sein d’une discographie particulièrement riche et variée (plus de cinq cents enregistrements !), il faut écouter les trois opéras et les Vêpres mariales de Claudio Monteverdi, Concertos brandebourgeois, Cantates, Concertos pour violon (avec sa femme en soliste), Messe en si mineur et Passions de Jean-Sébastien Bach, Belshazaar, Ode à sainte Cécile, Saül, Theodora et Jephta de Georg Friedrich Haendel, la Finta giadiniera, Idomeneo, l’Enlèvement au sérail, la Flûte enchantée, la Clémence de Titus, Thamos et Symphonies de Wolfgang Amadeus Mozart, ses Concertos, Symphonies, Missa Solemnis et Fidelio de Ludwig van Beethoven, Symphonies et Genoveva de Robert Schumann, Symphonies d'Anton Bruckner, le Baron tzigane, la Chauve-Souris et 7 CD de valses de Johann Strauss Jr, Un Requiem allemand et les quatre Concertos de Johannes Brahms. Le tout chez Warner Classics. Le recueil de Chefs-d’œuvre de la musique sacrée : Bach, Haendel, Haydn, Mozart (9 CD Deutsche Harmonia Mundi/Sony), les Symphonies Parisiennes de Joseph Haydn (Deutsche Harmonia Mundi/Sony). Chez Sony Classical, les Trois dernières Symphonies et les Concertos pour piano n° 23 et n° 25 de Mozart avec Rudolf Buchbinder et le Concentus Musicus, son ultime disque, qu'il a consacré aux Symphonies n° 4 et n° 5 de Beethoven avec le Concentus Musicus Wien. En DVD, la Flûte enchantée de Mozart captée au Festival de Salzbourg 2012 mis en scène par Jens-Daniel Herzog (Sony Classical). 

1 commentaire:

  1. Um bel hommage, merci.

    Harnoncourt était un vrai génie de la musique; il nous a donné des interprétations qui étaient plutôt des récriations, pleines de nouveauté, de son énergie et de son âme. Peut-être le plus grand musicien des derniers 30 ans - son héritage est immense, sa discographie insurpassable.

    Mon blog:
    http://olivrodaareia.blogspot.com/2016/03/nikolaus-harnoncourt-sempre.html

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