samedi 10 mars 2012

L’Opéra de Lyon présente un "Parsifal" de chair et de sang de François Girard et Kazushi Ono

Opéra de Lyon, vendredi 9 mars 2012

Nikolai Schukoff (Parsifal) et Georg Zeppenfeld (Gurnemanz)
Accomplissement de toute une vie passée à la quête de l’œuvre d’art totale (Gesamtkunstwerk en allemand), Parsifal est le seul ouvrage que Richard Wagner ait conçu riche de l’expérience de la fosse « mystique » du Festspielhaus de Bayreuth qu’il a voulu et inauguré six ans plus tôt avec le Ring et qui sera non seulement le cadre de la création de cet ultime chef-d’œuvre le 26 juillet 1882 mais aussi le lieu pour lequel son concepteur entendait le réserver, ce qui n’a été possible que jusqu’en 1914. Aussi, donner Parsifal en concert est indubitablement une trahison, impression confortée par l’écoute à trois jours de distance de l’opéra sous les deux formes, concertante puis scénique.

Parsifal est un ouvrage étrange, énigmatique, manichéen duquel l’auditeur qui se laisse séduire par la magie de l’Ensorceleur qui en est l’auteur n’entend pas s’échapper. Arrivé au terme du spectacle, il est en effet impossible de revenir à la réalité avant longtemps. Sitôt la première note échappée de la fosse, l’on est envoûté au point de se dire « c’est déjà bientôt la fin », si bien que, à l’instar de la sublime phrase prononcée par Gurnemanz « Ici le temps devient espace », l’œuvre passe sans que l’on s’en aperçoive…  Le rapprochement dans le temps et dans… l’espace de deux productions de l’ouvrage, l’une à Paris en version concert l’autre à Lyon (1) en version scénique, est d’autant plus étrange que la lyonnaise sera reprise en 2013 au Metropolitan Opera de New York, qui en est coproducteur, sous la direction de celui qui dirigeait la parisienne, avec Jonas Kaufmann dans le rôle-titre, alors que le directeur musical de l’Opéra de Lyon n’a nullement démérité, bien au contraire…

Confiée à François Girard, la production lyonnaise qui sera donc reprise à New York souligne le manichéisme du livret de Wagner, qui y célèbre l’ascèse à travers la pureté du corps et du sang du Christ et la souillure de ceux de « l’ange déchu » Klingsor et de son illusoire jardin paradisiaque qui cache l’enfer, les deux univers étant habités par la sublime figure de Kundry, à la fois Hérodiade et Marie-Madeleine, femme pécheresse et pure, condamnée à l’errance jusqu’à sa rédemption pour avoir ri devant le Sauveur tandis qu’il portait sa croix. Entrant dans la salle glaciale et inconfortable de l’Opéra rénové par Jean Nouvel en 1993, le public est mis face à lui-même dans un grand rideau noir réfléchissant qui annonce non pas un spectacle dans le spectacle mais une mise en abyme invitant à une introspection en chacun signifiée par le metteur en scène canadien, dont les couleurs du spectacle sont toujours à dominante sombre et crue, à l’instar de ses remarquables Vol de Lindbergh / les Sept péchés capitaux de Weill et Brecht et Emilie de Kaija Saariaho vus dans ce même Opéra de Lyon en 2006 et 2010.
Alejandro Marco-Buhrmester (Klingsor) et les Filles-Fleurs

C’est de nouveau une histoire de péché et de rédemption que conte ici Girard, concepts qui gouvernent la création entière de Wagner, depuis les Fées jusqu’à Parisifal. Le sang est omniprésent dans le spectacle entier. Dès le lever de rideau, le sol est non pas noir mais sombre comme le sang séché et scindé en deux parties par une nervure évoquant à la fois la plaie du Christ, qui a racheté le péché du monde, et celle d’Amfortas, le pécheur-roi, qui souffrent la même passion. Sur ce sol craquelé s’écoule du plasma qui débouche sur un lac de larmes et de souffrances. Tandis que, en fond de scène, passent des images qui ne sont pas sans rappeler celles du film Melancholia de Lars von Trier, un ciel gris-noir et la carnation de corps-planètes, tandis que, devant, le monde noir occupe un tiers du plateau côté jardin, et, côté cour, sur les deux autres tiers, la lumière desséchée de Montsalvat et la confrérie qui pleure sur elle-même privée de la vision du Saint-Graal dans lequel Joseph d’Arimathie recueillit le sang du Christ s’écoulant de la plaie laissée dans le flanc du supplicié par la lance du légionnaire romain. Personne n’osera franchir cette plaie-rivière, seule Kundry s’y aventurera lorsqu’elle s’élargira à la fin du premier acte tel un fleuve immense où la femme se glissera, happée par le maléfice de Klingsor. Dans l’acte II, d’une stupéfiante beauté plastique avec ces silhouettes de filles-fleurs fondues à autant de lances plantées dans les gorges du muscle cardiaque les pieds dans un lac de sang qui envahira bientôt la couche de Kundry tandis que Parsifal s’arrachera à ses bras, le chaste fol prenant soudain conscience de sa mission salvatrice, se remémorant le sort d’Amfortas et renonçant alors que la magie de Klingsor s’évapore, Kundry jette un sort à Parsifal qui aura toutes les peines du monde à retrouver le chemin de Montsalvat.
Elena Zhidkova (Kundry) et Nikolai Schukoff (Parsifal)

Kazushi Ono, pour  son premier Parsifal, dirige sobrement et avec allant, sollicitant avec fermeté un orchestre clair et fluide qui fait un quasi sans faute dans la fosse, la dynamique d’avérant exacte, tandis que, à l’instar du mémorable Tristan und Isolde de la saison dernière admirablement dirigé par Kirill Pétrenko, les effectifs réduits des cordes (12-10-8-6-5) instillent une transparence de bon aloi – ce qui n’empêche pas de souhaiter à l’Opéra de Lyon une fosse plus grande dès que possible –, bien que l’on eut rêvé plus étoffé pour que le chef japonais puisse obtenir davantage d’onctuosité. Les tempi sont plutôt vifs, avec un premier acte enlevé en 1h37, et c’est curieusement dans l’acte central, pourtant le plus théâtral, que le temps semble s’étirer, alors que la durée est dans la norme (1h03). Ono s’avère ainsi dans ce Parsifal plus à l’aise dans l’introspection que dans le drame et la séduction. Mais sa vision tient continuellement l’oreille en éveil, tant il a l’art d’éclaircir l’infinie diversité des voix de l’orchestre, où les chants et contrechants sont d’un foisonnement inouï, à l’instar des œuvres de Jean-Sébastien Bach à qui Wagner rend dans cette partition un prégnant hommage.
La confrérie des chevaliers du Graal

La distribution est singulièrement homogène et d’une vibrante jeunesse. Timbre lumineux, ligne de chant impeccable, Georg Zeppenfeld est un Gurnemanz saisissant de générosité et de grandeur, Gerd Grochowski un Amfortas déchirant, Alejandro Marco-Buhrmester un Klingsor tortueux et vindicatif mais aussi séduisant de timbre et de chant, Kurt Gysen un Titurel d’outre-tombe. Nikolai Schukoff est un remarquable Parsifal au timbre radieux et d’une présence extrême, habitant littéralement son personnage qui évolue avec un naturel confondant de la pure innocence à la noble maturité. En revanche, brossant une avenante silhouette, Elena Zhidkova est certes une belle Kundry mais la voix n’est pas tout-à-fait celle qui sied au plus émouvant des personnages nés de l’imaginaire de Wagner, particulièrement dans le déchirant récit du deuxième acte d’où nulle émotion ne point. Les Chœurs et la Maîtrise (cette dernière dans le lointain, au point qu’elle semble immatérielle) de l’Opéra de Lyon font un sans faute, surtout les hommes, remarquables de bout en bout. Un Parsifal à voir impérativement. Ceux qui n’auront pas la chance de trouver des places à Lyon, pourront le voir dans des salles de cinéma disséminées en France en 2013 en direct du Metropolitan Opera de New York.

Bruno Serrou
1) Opéra de Lyon jusqu'au 25 mars 2012

Photos : (c) Jean-Louis Fernandez - Opéra national de Lyon
 

L’Opéra de Lyon a présenté hier sa saison 2012-2013. Au programme, Macbeth de Verdi (Ono/Van Hove) en octobre, le Messie de Haendel (Cummings/Warner) (décembre), une reprise de La petite renarde rusée de Janáček (Hanus/Engel) (janvier/février), l’Empereur d’Atlantis d’Ullmann (Lavoie/Brunel) (février/mars), la création mondiale de Claude, premier opéra d’Escaich (Rohrer/Py) (mars/avril), Fidelio de Beethoven (Ono/Hill) (mars/avril), Le Prisonnier de Dallapiccola / Erwartung de Schönberg (Ono/Ollé, La Fura dels Baus) (mars/avril), Capriccio de Richard Strauss (Kontarsky/Marton) (mai) et la Flûte enchantée de Mozart (Montanari/Sorin) (juin/juillet)





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