Opéra de Paris Bastille, vendredi 23 mars 2012
La reprise de la production Michael
Haneke, le réalisateur de La pianiste et de Le ruban blanc (1),
du Don Giovanni de Mozart à l’Opéra
Bastille est une véritable aubaine en ces temps de où le kitsch est devenu roi sur
la première scène lyrique de France. Quoique fidèle au livret et respectueuse
des intentions des auteurs, la mise en scène de Haneke initiée par Gérard
Mortier et créé en janvier 2006 au Palais Garnier avant d’être reprise à
Bastille en 2007 avait été accueillie sous les huées. C’est pourquoi il est
possible de s’étonner que Nicolas Joël, dont l’esthétique se situe à l’opposée de
celle du cinéaste autrichien, ait choisi de reprendre cette production dont les
pourfendeurs de Mortier espéraient s’être débarrassés une fois pour toute. En
effet, le chef-d’œuvre de Mozart a quitté son XVIIIe siècle et sa
dimension mythique pour se retrouver dans le quotidien du quartier de la
Défense, au sein d’un immense décor ovale unique de bureaux, avec ascenseur,
coursive à l’étage et cafétéria conçu par Christoph Kanter. L’énorme baie
vitrée qui ouvre sur une forêt de tours confirme combien une ville peut être
belle la nuit, tandis que l’espace est envahi par des blouses de techniciens de
surface, des costumes-cravates de patrons et des tailleurs deux pièces de cadres
supérieures dessinés par Annette Beaufays. Seul hiatus, l’action continuellement
plongée dans la pénombre, à l’exception d’un flash soudain dû sans doute à une défaillance
technique et de la moralité finale, après que Don Giovanni eut été jeté dans le
vide.
La direction d’acteur de Haneke est d’une force pénétrante, offrant une dimension
ahurissante à la violence des exactions de Don Giovanni, jeune directeur général qui tue son PDG, bouscule
les corps de ses égales, viole les innocences de son petit personnel, y compris
celle de Leporello, son « jeune directeur,
assistant personnel ». Le tout prend le tour d’affaire DSK, que
Haneke semble ainsi avoir pressenti avec cinq ans d’avance…
Photo : Opéra national de Paris - DR
Depuis la fosse, Philippe Jordan conforte
l’enthousiasme suscité par ses dernières prestations depuis le concert de la
Salle Pleyel qui a précédé son remarquable Pelléas
et Mélisande, propose une superbe lecture, en totale adéquation avec la vision
du metteur en scène qu’elle complète et commente admirablement, tandis que l’Orchestre
rayonne de tous ses feux (superbes murmures des cordes, onctuosité des bois,
luminosité des cuivres, pianoforte élégant). Sur le plateau, la distribution est
dominée par Peter Mattei. Vigoureux, élancé, sombre manipulateur, habité par la
vision du metteur en scène depuis qu’il a participé à la création de cette
production en 2006, le baryton suédois est un Don Giovanni de rêve, d’une terrible
et froide séduction. Le Leporello de David Bizic (Masetto en 2006) se comporte
comme un fourbe double de son maître auquel il essaie en vain de se substituer.
Pour sa première apparition à l'Opéra de Paris, Véronique Gens campe une magnifique Elvira, cadre
supérieure aimante et passionnée quoique fort malmenée. Bernard Richter est un excellent
prince héritier Ottavio, noble et empressé prêt à tout pour la fille du PDG Donna
Anna froide et distante de Patricia Petibon, au jeu crispé et à la voix indifférente
malgré un beau métal. En revanche, Gaëlle Arquez est une Zerline avenante et
attachante, son Masetto, Nahuel di Pierro, est tout d’une pièce, tandis que
Paata Burchaladze, cadavre trimbalé en chaise roulante sous un masque en carton,
est un Commandeur à la voix abyssale.
Bruno Serrou
Après Le ruban blanc en 2009, Michael Haneke a remporté une deuxième Palme d'or au Festival de Cannes 2012 avec Amour
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire