Opéra Bastille, vendredi 16 mars 2012
Photo : Opéra de Paris - DR
Troisième production de Pelléas et Mélisande depuis que le
chef-d’œuvre de Claude Debussy a fait son entrée au répertoire de l’Opéra de
Paris, en 1977, soit soixante-quinze ans après sa création à l’Opéra Comique, présentée
une première fois au palais Garnier en février 1997, la production de Robert
Wilson coproduite par le Festival de Salzbourg, est apparue après quinze ans d’existence
et pour sa cinquième reprise plus passionnante que jamais. En effet, ce
spectacle gagne avec le temps en maturité et en plastique, entrant toujours
davantage en adéquation avec le climat de l’œuvre de Debussy. Du moins, la
distribution réunie pour cette reprise dont la dernière représentation a été
donnée hier, est-elle en totale osmose avec la mise en scène de Robert Wilson
dont la gestique est apparue moins saccadée qu’antan, tandis que les poses qui suscitent
une singulière distanciation sont moins figées et se coulent dans le jeu de
chanteurs qui semblent du coup plus libres et moins engoncés que ceux qui les
ont précédés dans cette production, tandis que l’on a pu saisir combien en fait
les deux personnages les plus proches dans ce drame sont Mélisande et Arkel, le
grand-père étant le seul qui puisse comprendre sa petite-fille par alliance et de
ce fait également le seul des protagonistes à pouvoir la tenir dans ses bras
pour la réconforter. La gestique, les ombres, le bleu profond de la mer et de l’onde,
les noirs et les blancs parfois tâchés, en fond de scène, de jaune et de rouge,
suggèrent un monde à la fois chimérique et manichéen, l’incommunicabilité entre
les êtres, la froideur des rapports humaines. Pelléas devient irréel, Mélisande
plus égarée et insaisissable, Golaud plus incompris ; seul, perdu, Arkel est
le personnage le plus humain et attentionné. Sans égaler l’extraordinaire performance
de Simon Keenlyside en 2004 et malgré des graves trop profonds et un aigu trop tendu,
Stéphane Degout est un Pelléas suprêmement chantant, doué d’un timbre lumineux
et clair, aux élans spontanés et au caractère introverti qui correspondent à ce
rôle délicat à peindre. Elena Tsallagova campe une Mélisande à la voix de solaire,
brossant un être innocent, simple, surnaturel. Décevant dans un premier temps, surtout
à cause d’une voix qui bouge de façon prononcée qui donne le sentiment que le
chanteur se trompe de répertoire, Vincent Le Texier prend au fil du spectacle la
mesure de son rôle pour incarner finalement un Golaud déchirant qui se débat dans
sa jalousie qui le ronge, ce qui procure à la scène avec Yniold (Julie Mathevet, excellente) une force
dramatique digne de l’Otello de
Verdi. Voix profonde au timbre cuivré, Franz Josef Selig est un Arkel d’une bienfaisante
humanité, éperdu d’amour et de tendresse pour son entourage entier, tandis qu’Anne
Sofie von Otter, qui fut une belle Mélisande avec Bernard Haitink au Théâtre
des Champs-Elysées en mars 2000, compose une Geneviève un rien effacée. C’est
une fois encore l’orchestre de l’Opéra qui se sera imposé comme le deus ex machina de la soirée, par la sombre
fluidité de ses textures, ses timbres onctueux,
la rondeur de ses sonorités, même si l’alignement en fond de fosse sous le plateau des contrebasses
qu’avait adopté Sylvain Cambreling en 2004 avait donné plus de pâte aux
résonances graves pour lesquelles Debussy est particulièrement redevable à
Richard Wagner, plus spécifiquement à Parsifal,
ouvrage que pourtant Philippe Jordan a de toute évidence en tête dans sa propre
conception de Pelléas et Mélisande,
se rapprochant aussi au détour d’une phrase de préludes et de la totalité du
quatrième acte de Tristan und Isolde,
pénultième acte qui atteint une intensité poétique et dramatique exceptionnelle.
L’approche de cette sublime partition par le chef suisse a été si enthousiasmante
que les musiciens de l’orchestre de l’Opéra ont acclamé leur directeur musical
à la fin de la représentation alors qu’il quittait la fosse pour les saluts sur le plateau.
Bruno Serrou
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