mardi 13 mars 2012

Jonas Kaufmann, Andris Nelsons et le City of Birmingham Symphony Orchestra ont enflammé le Théâtre des Champs-Elysées avec trois géants du postromantisme


Théâtre des Champs-Elysées, lundi 12 mars 2012
Jonas Kaufmann - Photo : DR
Ambiance électrique de soirée d’importance, hier soir, au Théâtre des Champs-Elysées, une foule de snobs, certes, mais aussi de lyricomanes et de mélomanes, attirée en grande partie par la présence en haut de l’affiche du tenorissime allemand actuel, Jonas Kaufmann, dans un programme de lieder avec orchestre généralement dévolus à d’autres tessitures que la sienne. Il est vrai que, à 42 ans, Kaufmann possède une voix d’une patine, d’une plénitude, d’une ampleur peu commune douée d’un timbre de bronze aux textures généreuses qui lui donnent un caractère barytonant et un nuancier sans pareils. Dialoguant avec le City of Birmingham Symphony Orchestra et son jeune directeur musical Andris Nelsons, c’est sur le bouleversant cycle des Kindertotenlieder que Gustav Mahler composa en 1901-1904 sur des poèmes de Friedrich Rückert que Kaufmann a ouvert le programme de la soirée, offrant d’entrée à ces pages introspectives une force dramatique exceptionnellement intériorisée, avec des fulgurances dans l’aigu qui rendent certaines d’entre elles étonnamment immatérielles, certains registre fusionnant avec les instruments de l'orchestre, particulièrement le cor, voire parfois distanciées, au point d’apparaître génialement décalées en regard de la douleur paternelle ou maternelle exaltées par les barytons, les mezzo-soprano profondes et les altos qui instille à ce cycle éperdu de douleur une humanité partagée que les aigus de la voix de ténor ne peuvent tout-à-fait restituer,mais qui apporte au contraire une luminosité solaire surnaturelle.

Après l’entracte, Kaufmann est revenu sur le plateau du TCE pour quatre lieder du grand contemporain bavarois, Richard Strauss, de l’Autrichien Gustav Mahler. D’un caractère opposé à ce dernier, Strauss l’épicurien suscite une émotion profonde avec des moyens distincts, d’une sensualité et d’une nostalgie bienheureuse qui fait d’autant plus d'effet qu’elle exalte le bonheur de vivre et le bien-être dans un cocon automnal. Aussi étonnant que cela puisse paraître dans des lieder de Strauss, qui abhorrait les ténors (mais il acceptait que certains d’entre eux les chantent), Kaufmann (qui chantera son premier Bacchus dans la nouvelle production d'Ariadna auf Naxos du prochain Festival de Salzbourg), sur les traces de Peter Anders et de Fritz Wunderlich, à exalté hier les quatre lieder qu’il a sélectionnés, principalement trois des quatre mélodies de l’opus 27 composé en 1894, après avoir échauffé sa voix avec un lied venu d’un autre recueil, Ich trage meine Minne op. 32 n° 1 de 1896 orchestré en 1929 par Robert Heger (1886-1978) sur un poème de Karl Friedrich Henckell (1864-1929) aux élans généreux, avant de brosser un sublime Ruhe meine Seele op. 27 n° 1 sur un autre poème de Henckell au climat crépusculaire, et, surtout, un fantastique ... Morgen... op. 27 n° 4 sur des vers de John Henry Mackay (1864-1933) sans commencement ni fin, venu de l’éther pour retourner à l’éther, et de conclure sur l’aimant Cäcilie op. 27/2 sur un poème de Heinrich Hart (1855-1906) dans lequel Strauss a confié une partie soliste à chacun des pupitres des cordes, un lied ardent, sensuel, plein d’élan amoureux soutenu par un Andris Nelsons fabuleux de douceur et de générosité, ménageant de bouleversants et intenses moments tout en retenue et en nuances, parfois à la limite du silence. Restant dans les tendres effluves straussiennes, Kaufmann, Nelsons et le CBSO ont donné un très court mais foisonnant bis, Zueignung op. 10 n° 1 sur un poème de Hermann Gilm (1812-1864)…
... S’en sont alors ensuivi quarante-cinq minutes d’intense félicité, Andris Nelsons et le CBSO transportant en quelques mesures la salle parisienne entière au cœur de la Finlande, grâce à une exceptionnelle Symphonie n° 2 en ré majeur op. 43 de Jean Sibelius, l’une des partitions d’orchestre les plus développées du compositeur finlandais qui l’a composée en 1901, vive, tendue, chantante tout à la fois, respirant vigoureusement les grands espaces, les forêts profondes, les lacs infinis de Finlande Abstraction faite de légers problèmes de mise en place au début côté bois très vite redressés, les excellents musiciens du CBSO confirment combien les orchestres britanniques ont d’affinité avec Sibelius, les insulaires y chantant nettement dans leur jardin, l’orchestre de la deuxième ville du Royaume Uni implantée dans les Midlands confortant ses accointances sibéliennes acquises depuis longtemps, comme en témoignent les mémorables enregistrements dirigés par Simon Rattle, qui fut son directeur musical pendant vingt-cinq ans et avec lequel le chef britannique acquit sa renommée internationale, tandis que le jeune chef letton Andris Nelsons, disciple de Mariss Jansons et successeur de Rattle à Birmingham, a indubitablement cette musique à fleur de peau.
Bruno Serrou


1 commentaire:

  1. J'ai toujours entendu dire que Sibelius était un compositeur apprécié seulement des Anglo-saxons.
    Personnellement, bien que provençal, j'adore ce musicien Finlandais que j'ai découvert un soir d'hivers sur France Musique grâce au programme musical Hector. Je l'aime pour les raisons que vous évoquiez: "...les grands espaces, les forêts profondes, les lacs infinis...". Je me console, de ne pas pouvoir assister à de tels événements, en me disant que j’aurai préféré entendre l'austère Quatrième, la lyrique cinquième, voir même les deux dernières, à cette seconde symphonie encore bien imprégnée de romantisme.

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