A l’instar des grandes phalanges symphoniques britanniques, états-uniennes ou hollandaises, entre autres, l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo possède depuis l’automne 2010 son propre label discographique, OPMC Classics. Cette initiative a été soutenue avec force par son directeur musical et artistique d’alors, Yakov Kreizberg, mort subitement voilà un an, le 15 mars 2011 à l’âge de 51 ans. Le chef pétersbourgeois avait en moins des dix-huit mois passés à sa tête littéralement transfiguré l’orchestre monégasque, l'incitant à se surpasser pour acquérir un niveau jamais atteint jusque là pour entrer dans le cercle fermé des grandes phalanges européennes.
Pour son quatrième disque, le
Philharmonique de Monte-Carlo a choisi l’enregistrement
réalisé en janvier 2010 de la Symphonie
n° 11 en sol mineur op. 103 « L’Année 1905 » de Dimitri Chostakovitch,
œuvre dans laquelle Yakov Kreizberg se produisit pour la première fois avec la
phalange monégasque le 18 février 2007, sur la scène de l’Auditorium Rainier
III de Monaco, cinq semaines après l’avoir également dirigée Salle Pleyel avec
l’Orchestre de Paris. En outre, il s’agit ici de l’ultime enregistrement du
chef russe avec sa formation. Cette symphonie constitue donc pour les deux
protagonistes du présent enregistrement l’alpha et l’oméga de leur
collaboration.
Ecrite pour le quarantième
anniversaire de la Révolution d’Octobre mais commémorant la première révolution
ouvrière russe, avortée, de 1905, créée à Moscou le 30 octobre 1957, la Onzième Symphonie de Chostakovitch est
en fait un poème symphonique d’une heure en quatre mouvements (les deux
derniers s’enchaînant brutalement), chacun étant doté d’un sous-titre
glorifiant la révolution en faveur d’un régime qui aura brisé toute résistance.
Pour mieux en souligner l’objet, le compositeur utilise quantité de chants
populaires et révolutionnaires auxquels il associe deux citations de ses
propres œuvres et un passage d’une opérette de son élève Georgy Sviridov, les Petites Flammes. La symphonie est d’un
seul matériau, âpre, d’une raideur si singulière qu’elle en devient un implacable
monolithe d’une sècheresse heureusement inégalée dans la création du
compositeur soviétique, ce qui en fait la partition la moins convaincante de
son auteur tant ses contours tiennent de la propagande la plus débridée. Pour
évoquer les massacres de 1905 à Saint-Pétersbourg de manifestants pacifiques
par les troupes tsaristes, particulièrement dans l’Allegro (« le 9 janvier »),
événement précurseur de la Révolution de 1917 déjà chanté par le Tchèque Leoš Janáček dans sa Sonate pour piano, le compositeur russe fait
appel à un orchestre conséquent qui chante la puissance d’un peuple en marche
et la violence de la répression. Ce qui a valu à Chostakovitch son retour en
grâce auprès des autorités soviétiques, qui lui ont attribué le Prix Lénine
1958.
Emportant l’œuvre avec une
vivacité extrême, tout en sollicitant des couleurs chaudes et épanouies, Yakov Kreizberg
amenuise ainsi judicieusement son côté musique de propagande, s’attardant pour magnifier
les moments où le compositeur se laisse aller à son souffle naturel, donnant ainsi
une densité inattendue au climat d’anxiété excessif, dégoulinant d’un pathos
qui submerge la partition entière. Ample, vigoureuse, gommant les aspects pompeux
et bruts de fonderie de l’écriture et du matériau de Chostakovitch, la vision
de Kreizberg n’est pas sans évoquer celle, puissante et noble, d’André Cluytens
en 1958 avec l’Orchestre National de France (EMI). L’Orchestre Philarmonique de
Monte-Carlo répond avec ferveur aux sollicitations de son directeur musical, s’avérant
précis et onctueux, ce qui tend à donner à cette messe de gloire à la
révolution soviétique un tour quasi brucknérien, ce qui n’est pas sans être à l’avantage
de cette partition qui est loin d’être un chef-d’œuvre et qui atteint ici une
valeur insoupçonnée.
Bruno Serrou
1 CD OPMC Classics 005
(www.opmc.mc)
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