Nantes, Théâtre Graslin, vendredi 2 mars 2012
C’est en italien que le chevalier
Christoph Wilibald Gluck donna à Vienne en 1762 la création de l’un des
ouvrages les plus célèbres du répertoire lyrique, Orphée et Eurydice. Après cette première version en trois courts
actes sur un livret de Raniero de’ Calzabigi dans laquelle le rôle principal était
confié à un contralto castrat, Gluck retravailla son opéra pour Paris en vue de
représentations à l’Académie royale de musique en 1774, faisant traduire pour
la circonstance le livret par Pierre-Louis Moline, et transposant le rôle
principal pour un ténor aigu, enrichissant sa partition de nouveaux morceaux et
lui apportant d’importantes modifications. En 1859, le Théâtre-Lyrique du boulevard
du Temple charge Berlioz de veiller à la reprise de l’opéra de Gluck, avec,
dans le rôle d’Orphée la mezzo-soprano Pauline Viardot, sœur aussi célèbre de
la grande Malibran, tandis que le jeune Massenet, âgé de 17 ans, allait être
dans la fosse comme timbalier. Berlioz s’efforce de restituer l’état original
de la partition de Gluck, tout en gommant ses passages les plus baroques pour
en faire une tragédie de son temps adaptée à la voix de la Viardot. La première
représentation de cette réalisation a lieu le 18 novembre 1859 et l’accueil est
si chaleureux qu’il est source de satisfaction personnelle pour Berlioz, en
dépit des réserves que ce dernier formule lui-même dans son livre A Travers Chants.
C’est cette dernière version qu’a
choisie Angers Nantes Opéra pour sa nouvelle production qui a été confiée à Emmanuelle
Bastet. La metteur en scène française a voulu faire de l’histoire du poète
musicien de Thrace descendu aux Enfers avec la volonté de sauver sa femme Eurydice
morte prématurément des suites d’une morsure de serpent une métaphore du « deuil impossible ».
Bastet connaît bien le Théâtre Graslin de Nantes, puisqu’il y a déjà réalisé
avec succès l’Etoile de Chabrier en 2005
et Lucio Silla en 2010. Dans cette
salle conçue par Mathurin Crucy (1749-1826), l’une des plus anciennes de France
encore en activité après le Grand-Théâtre de Bordeaux construit huit ans plu
tôt, inaugurée 14 ans après la création parisienne d’Orphée et Eurydice,
incendiée en 1796 et reconstruite en 1813, est précisément adaptée à l’ouvrage.
Les idées de mise en scène foisonnent, à l’instar du dédoublement au troisième
acte, celui des Champs-Elysées, des héros du drame par des enfants qui suscitent
l’émotion de leurs jeux innocents, tandis que les chaudes alvéoles du décor de
Tim Northam dont les lumières de François Thouret soulignent l’onirisme forment
un saisissant contraste avec la noirceur des actes qui précèdent et de celui qui
suit, le tout faisant songer à des images de Yannis Kokkos et de Robert Carsen
avec qui Bastet a longtemps travaillé. Outre les chaises, envahissantes, c'est d’ailleurs davantage au second qu’elle
semble redevable tant sa direction d’acteur est travaillée. Les chanteurs sont si
habités de leurs personnages que tout semble vrai, l’ensemble étant magnifié
par leur jeunesse vigoureuse. Tout de blanc vêtu, les trois jeunes femmes
rivalisent d’allant et de fraîcheur. La mezzo-soprano nantaise Julie
Robard-Gendre campe de sa voix charnue aux couleurs vif-argent un Orphée incandescent,
et l’on oublie vite ses légères défaillances, notamment dans l’attendu « J’ai perdu mon Eurydice », tant
ce rôle est lourd car omniprésent. La soprano québécoise Hélène Guilmette confirme
son beau talent en incarnant une Eurydice toute de charme et de grâce, tandis
que la jeune lauréate de la prestigieuse London Händel Competition Sophie Junker est un Amour avenant au timbre de
braise. A noter que toutes trois chantent un français parfaitement
compréhensible et articulé avec infiniment de naturel. Tenu par les choristes
de l’Opéra nantais, le chœur des ombres leur répond avec ferveur. Seul hiatus, l’Orchestre
national des Pays de la Loire qui sonne de façon rêche et acide, surtout les
cordes, nasillardes, décolorées et hétérogènes, qui semblent sortir d’une
formation baroque du début des années 1980, tant les problèmes d’intonation et
de justesse (les bois font en revanche un sans faute) sont constants, ce qui
nuit à la vision d’ensemble parfaitement maîtrisée et convaincue du chef allemand
Andreas Spering, lui-même forgé à l’aune du répertoire baroque, qui tire davantage
Orphée et Eurydice vers le XVIIIe
siècle de Gluck que vers le XIXe de Berlioz.
Bruno Serrou
1) Nantes, Théâtre Graslin, jusqu’au
11 mars. Angers, Grand théâtre, du 18 au 22 mars.
Photos : Angers Nantes Opéra, Jef Rabillo
Photos : Angers Nantes Opéra, Jef Rabillo
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire