dimanche 4 mars 2012

Orphée et Euridice de Gluck version Berlioz plein de jeunesse et d’allant à l’Opéra de Nantes


Nantes, Théâtre Graslin, vendredi 2 mars 2012

C’est en italien que le chevalier Christoph Wilibald Gluck donna à Vienne en 1762 la création de l’un des ouvrages les plus célèbres du répertoire lyrique, Orphée et Eurydice. Après cette première version en trois courts actes sur un livret de Raniero de’ Calzabigi dans laquelle le rôle principal était confié à un contralto castrat, Gluck retravailla son opéra pour Paris en vue de représentations à l’Académie royale de musique en 1774, faisant traduire pour la circonstance le livret par Pierre-Louis Moline, et transposant le rôle principal pour un ténor aigu, enrichissant sa partition de nouveaux morceaux et lui apportant d’importantes modifications. En 1859, le Théâtre-Lyrique du boulevard du Temple charge Berlioz de veiller à la reprise de l’opéra de Gluck, avec, dans le rôle d’Orphée la mezzo-soprano Pauline Viardot, sœur aussi célèbre de la grande Malibran, tandis que le jeune Massenet, âgé de 17 ans, allait être dans la fosse comme timbalier. Berlioz s’efforce de restituer l’état original de la partition de Gluck, tout en gommant ses passages les plus baroques pour en faire une tragédie de son temps adaptée à la voix de la Viardot. La première représentation de cette réalisation a lieu le 18 novembre 1859 et l’accueil est si chaleureux qu’il est source de satisfaction personnelle pour Berlioz, en dépit des réserves que ce dernier formule lui-même dans son livre A Travers Chants

C’est cette dernière version qu’a choisie Angers Nantes Opéra pour sa nouvelle production qui a été confiée à Emmanuelle Bastet. La metteur en scène française a voulu faire de l’histoire du poète musicien de Thrace descendu aux Enfers avec la volonté de sauver sa femme Eurydice morte prématurément des suites d’une morsure de serpent  une métaphore du « deuil impossible ». Bastet connaît bien le Théâtre Graslin de Nantes, puisqu’il y a déjà réalisé avec succès l’Etoile de Chabrier en 2005 et Lucio Silla en 2010. Dans cette salle conçue par Mathurin Crucy (1749-1826), l’une des plus anciennes de France encore en activité après le Grand-Théâtre de Bordeaux construit huit ans plu tôt, inaugurée 14 ans après la création parisienne d’Orphée et Eurydice, incendiée en 1796 et reconstruite en 1813, est précisément adaptée à l’ouvrage. Les idées de mise en scène foisonnent, à l’instar du dédoublement au troisième acte, celui des Champs-Elysées, des héros du drame par des enfants qui suscitent l’émotion de leurs jeux innocents, tandis que les chaudes alvéoles du décor de Tim Northam dont les lumières de François Thouret soulignent l’onirisme forment un saisissant contraste avec la noirceur des actes qui précèdent et de celui qui suit, le tout faisant songer à des images de Yannis Kokkos et de Robert Carsen avec qui Bastet a longtemps travaillé. Outre les chaises, envahissantes, c'est d’ailleurs davantage au second qu’elle semble redevable tant sa direction d’acteur est travaillée. Les chanteurs sont si habités de leurs personnages que tout semble vrai, l’ensemble étant magnifié par leur jeunesse vigoureuse. Tout de blanc vêtu, les trois jeunes femmes rivalisent d’allant et de fraîcheur. La mezzo-soprano nantaise Julie Robard-Gendre campe de sa voix charnue aux couleurs vif-argent un Orphée incandescent, et l’on oublie vite ses légères défaillances, notamment dans l’attendu « J’ai perdu mon Eurydice », tant ce rôle est lourd car omniprésent. La soprano québécoise Hélène Guilmette confirme son beau talent en incarnant une Eurydice toute de charme et de grâce, tandis que la jeune lauréate de la prestigieuse London Händel Competition Sophie  Junker est un Amour avenant au timbre de braise. A noter que toutes trois chantent un français parfaitement compréhensible et articulé avec infiniment de naturel. Tenu par les choristes de l’Opéra nantais, le chœur des ombres leur répond avec ferveur. Seul hiatus, l’Orchestre national des Pays de la Loire qui sonne de façon rêche et acide, surtout les cordes, nasillardes, décolorées et hétérogènes, qui semblent sortir d’une formation baroque du début des années 1980, tant les problèmes d’intonation et de justesse (les bois font en revanche un sans faute) sont constants, ce qui nuit à la vision d’ensemble parfaitement maîtrisée et convaincue du chef allemand Andreas Spering, lui-même forgé à l’aune du répertoire baroque, qui tire davantage Orphée et Eurydice vers le XVIIIe siècle de Gluck que vers le XIXe de Berlioz.
Bruno Serrou
1) Nantes, Théâtre Graslin, jusqu’au 11 mars. Angers, Grand théâtre, du 18 au 22 mars.
Photos : Angers Nantes Opéra, Jef Rabillo

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