mercredi 12 juin 2013

Optina, chœur d’hommes du monastère Optina Poustyne a empli de ses voix cosmiques l’église Notre-Dame d’Auvers-sur-Oise

Festival d’Auvers-sur-Oise, église Notre-Dame, dimanche 9 juin 2013

Optina, choeur d'hommes du monastère Optina Poustyne en l'église Notre-Dame d'Auvers-sur-Oise. Photo : (c) Bruno Serrou

En 1980, Pascal Escande fondait le Festival d’Auvers-sur-Oise, agglomération du Vexin français sur la rive droite de l’Oise qui doit sa renommée internationale aux peintres paysagistes de l’école de Barbizon et, surtout, aux impressionnistes, Charles-François Daubigny, Paul Cézanne, Jean-Baptiste Corot, Camille Pissarro et Vincent Van Gogh, qui y ont puisé leur inspiration. Ils en ont immortalisé la plupart des sites, heureusement sauvegardés, qui font aujourd’hui le bonheur des amateurs et des touristes. Van Gogh y a peint soixante-dix de ses toiles au cours des derniers mois de sa vie. « Ici, écrivait-il à son frère Théo en mai 1890, on est loin assez de Paris pour que ce soit la vraie campagne, mais combien néanmoins changé depuis Daubigny. Mais non pas changé d’une façon déplaisante, il y a beaucoup de villas et habitations diverses, modernes et bourgeoises, très souriantes, ensoleillées, et fleuries. Cela dans une campagne presque grasse, juste à ce moment-ci du développement d’une société nouvelle dans la vieille, n’a rien de désagréable ; il y a beaucoup de bien-être dans l’air. Un calme à la Puvis de Chavannes j'y vois ou y crois voir, pas d’usines, mais de la belle verdure en abondance et en bon ordre. »

Eglise Notre-Dame d'Auvers-sur-Oise. Photo : (c) Bruno Serrou

Edifiée au XIIe siècle, rendue célèbre dans le monde entier pour avoir été l’un des grands sujets de Van Gogh, qui l’a peinte à plusieurs reprises, la vieille église trapue de style gothique plantée sur la partie culminante du village, est le haut lieu du festival, qui y organise l’essentiel de ses concerts, qu’ils soient sacrés ou profanes, de musique vocale ou instrumentale.

Choeur de l'église Notre-Dame d'Auvers-sur-Oise. Photo : (c) Bruno Serrou

Dimanche, ce sont les voix d’un ensemble vocal russe qui ont résonné sous les voûtes de Notre-Dame, dont l’acoustique est à la fois chaleureuse et limpide. Venu de Saint-Pétersbourg, le Chœur d’hommes du monastère Optina Poustyne est constitué pour l’essentiel de membres de la troupe du Théâtre Mariinsky. Le monastère dont il tire son nom est un haut lieu de la spiritualité orthodoxe, connu non seulement pour ses sages (starets) mais aussi pour son rôle dans la culture russe du XIXe siècle. A l'époque du philosophe Nikolaï Badiaev, du poète Vladimir Soloviev et de l’écrivain Fiodor Dostoïevski, les pèlerins se massaient autour de l’ermitage, le saint-des-saints du monastère. C’est là que la famille Karamazov, dans le roman du célèbre écrivain russe, vient consulter le starets Zosime, vieux moine qui lit dans les âmes. Après la révolution, ce monastère est transformé en ferme, puis, successivement en maison de repos, en hôpital militaire, en camp de prisonniers, enfin en lycée agricole. Comme pratiquement tous les monastères russes, Optina avait été fermé en janvier 1918, et ses moines chassés. Aujourd’hui, quatorze ans après sa réouverture en 1989, cent-dix frères y vivent contre près de trois cents en 1917. 

Monastère Optina Poustyne. Photo : DR

Fondé en 1996, le Chœur d’hommes Optina s’est donné pour mission de ressusciter le chant choral monastique de l’Eglise russe, tout en explorant la musique sacrée des autres Eglises chrétiennes. Chantant exclusivement a capella, l’ensemble est dirigé par Alexandre Semenov, qui chante au milieu du groupe, entouré de deux contre-ténors, deux ténors à sa droite, de deux barytons et de deux basses à sa gauche. Les neuf hommes ont ainsi présenté dans une église comble un programme de dix-neuf chants liturgiques, en majorité, et profanes en seconde partie, traditionnels et savant, d’auteurs anonymes ou identifiés. 

Le concert s’est ouvert sur un Hymne des chérubins et un chant de vieille tradition bulgare, Toi qui es habillé de lumière, qui ont précédé un chant liturgique de Kiev, Il est digne en vérité, hymne impérieux en bourdon de basse. Chant demestvenny (1) du XVIIe siècle, Heureux l’homme qui ne suit pas le conseil des impies / Psaume I avec baryton solo - brillant Boris Petrov, qui excellera également dans Conseil éternel de Pavel Tchesnokov (1877-1944) - est une pièce jubilatoire où solistes et tuttistes jouent d’ornementations fleuries. Il est digne de vérité vient de l’Eglise de Kiev sur un manuscrit du XVIIIe siècle du monastère Saint-Cyrille de Belozersk. Sa mélodie est douce et lumineuse. Harmonisé par Popov Platonov (1876-1942), le superbe chant bulgare La joie des affligés permet aux voix de se détacher et de rebondir les unes sur les autres, sollicitant autant l’aigu que le grave des registres de chacun des protagonistes. Tout en vagues tendres et en rythmes joyeux, Le Seigneur des forces célestes, chant znamenny (2), a précédé Venez, adorons Dieu le Verbe, page de Gueorgui Sviridov (1915-1998) au large ambitus vocal tout en délicatesse et en ardeur contenue. Autre pièce de Pavel Tchesnokov, Mon Seigneur, sauve Ton peuple, a permis de goûter la voix d’un velours, d’une profondeur abyssale et d’une plénitude vertigineuse de Vladimir Miller, « Artiste émérite de Russie » réputé doté de l’une des voix les plus profondes au monde. Un second Hymne des chérubins, cette fois harmonisé par Vassili Kalinnikov (1870-1927), plein d’entrain et de bonhommie, a préludé à une seconde pièce de Sviridov, Saint Amour, occasion d’entendre une première intervention du contre-ténor Alexandre Gorbatenko, à qui les trois ténors ont répondu en écho avant que leurs comparses les rejoignent pour conclure ce chant remarquablement harmonisé. 

Auvers-sur-Oise, église Notre-Dame. Photo : (c) Bruno Serrou

A l’instar du jubilatoire et profane arrangement pour huit voix du Vol du bourdon de Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908) qu’a transcrit Alexandre Semenov. Confié au ténor Evgueni Mikheev soutenu par un léger tissu du tutti, Je prends la route seul sur un texte de Mikhaïl Lermontov (1814-1841), a conduit au touchant chant populaire russe En sortant sur le grand large arrangé par Alexandre Semenov, qui a permis de retrouver l’impressionnant Vladimir Miller, avant que le groupe en son entier le rejoigne pour enlever gaiement le réjouissant Dans une forêt noire qu’il a soutenu d’espiègles boum-boum-boum. Le concert s’est conclu sur un dernier chant populaire russe, Une clochette sonne monotone, conduit par le contre-ténor Alexandre Gorbatenko dont la voix trahit une sensibilité et une spiritualité prégnante.

A noter que le Festival d'Auvers-sur-Oise se poursuit jusqu'au 5 juillet (www.festival-auvers.com)

Bruno Serrou

1) Chant appartenant principalement au répertoire des offices solennels des jours de fête religieuse voués au culte marial marqués par sa complexité rythmique et de sa forme mélodique libre. Les hymnes du chant demestvenny n’ont pas suivi le système de huit tons qu’ont utilisé un certain nombre de compositeurs de la fin du XIXe siècle, comme Nikolaï Kompaneisky (1848-1910), qui ont appliqué le terme demestvenny à des œuvres destinées au concert.


2) De « znamia » (neumes), il s’agit d’un chant traditionnel de l’Eglise orthodoxe russe, dont il constitua la totalité du répertoire musical entre les xiie et xviie siècles.

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