Festival d’Auvers-sur-Oise, église Notre-Dame,
dimanche 9 juin 2013
Optina, choeur d'hommes du monastère Optina Poustyne en l'église Notre-Dame d'Auvers-sur-Oise. Photo : (c) Bruno Serrou
En
1980, Pascal Escande fondait le Festival d’Auvers-sur-Oise, agglomération du
Vexin français sur la rive droite de l’Oise qui doit sa renommée internationale aux
peintres paysagistes de l’école de Barbizon et, surtout, aux impressionnistes, Charles-François Daubigny, Paul Cézanne,
Jean-Baptiste Corot, Camille Pissarro et Vincent Van Gogh, qui y ont puisé leur
inspiration. Ils en ont immortalisé la plupart des sites, heureusement
sauvegardés, qui font aujourd’hui le bonheur des amateurs et des touristes. Van
Gogh y a peint soixante-dix de ses toiles au cours des derniers mois de sa vie.
« Ici, écrivait-il à son frère Théo en mai 1890, on est loin assez
de Paris pour que ce soit la vraie campagne, mais combien néanmoins changé
depuis Daubigny. Mais non pas changé d’une façon déplaisante, il y a beaucoup
de villas et habitations diverses, modernes et bourgeoises, très souriantes,
ensoleillées, et fleuries. Cela dans une campagne presque grasse, juste à ce
moment-ci du développement d’une société nouvelle dans la vieille, n’a rien de
désagréable ; il y a beaucoup de bien-être dans l’air. Un calme à la Puvis
de Chavannes j'y vois ou y crois
voir, pas d’usines, mais de la belle verdure en abondance et en bon ordre. »
Eglise Notre-Dame d'Auvers-sur-Oise. Photo : (c) Bruno Serrou
Edifiée au XIIe
siècle, rendue célèbre dans le monde entier pour avoir été l’un des grands
sujets de Van Gogh, qui l’a peinte à plusieurs reprises, la vieille église trapue
de style gothique plantée sur la partie culminante du village, est le haut lieu
du festival, qui y organise l’essentiel de ses concerts, qu’ils soient sacrés
ou profanes, de musique vocale ou instrumentale.
Choeur de l'église Notre-Dame d'Auvers-sur-Oise. Photo : (c) Bruno Serrou
Dimanche, ce
sont les voix d’un ensemble vocal russe qui ont résonné sous les voûtes de
Notre-Dame, dont l’acoustique est à la fois chaleureuse et limpide. Venu de
Saint-Pétersbourg, le Chœur d’hommes du monastère Optina Poustyne est constitué
pour l’essentiel de membres de la troupe du Théâtre Mariinsky. Le monastère
dont il tire son nom est un haut lieu de la spiritualité orthodoxe, connu non
seulement pour ses sages (starets) mais
aussi pour son rôle dans la culture russe du XIXe siècle. A l'époque du
philosophe Nikolaï Badiaev, du poète Vladimir Soloviev et de l’écrivain Fiodor
Dostoïevski, les pèlerins se massaient autour de l’ermitage, le saint-des-saints
du monastère. C’est là que la famille Karamazov, dans le roman du célèbre
écrivain russe, vient consulter le starets Zosime, vieux moine qui lit dans les
âmes. Après la révolution, ce monastère est transformé en ferme, puis, successivement en maison de
repos, en hôpital militaire, en camp de prisonniers, enfin en lycée agricole.
Comme pratiquement tous les monastères russes, Optina avait été fermé en
janvier 1918, et ses moines chassés. Aujourd’hui,
quatorze ans après sa réouverture en 1989, cent-dix frères y vivent contre
près de trois cents en 1917.
Monastère Optina Poustyne. Photo : DR
Fondé
en 1996, le Chœur d’hommes Optina s’est donné pour mission de ressusciter le
chant choral monastique de l’Eglise russe, tout en explorant la musique sacrée
des autres Eglises chrétiennes. Chantant exclusivement a capella, l’ensemble est dirigé par
Alexandre Semenov, qui chante au milieu du groupe, entouré de deux
contre-ténors, deux ténors à sa droite, de deux barytons et de deux basses à sa
gauche. Les neuf hommes ont ainsi présenté dans une église comble un programme
de dix-neuf chants liturgiques, en majorité, et profanes en seconde partie,
traditionnels et savant, d’auteurs anonymes ou identifiés.
Le concert s’est ouvert
sur un Hymne des chérubins et un
chant de vieille tradition bulgare, Toi
qui es habillé de lumière, qui ont précédé un chant liturgique de Kiev, Il est digne en vérité, hymne impérieux en bourdon de basse. Chant demestvenny (1) du XVIIe
siècle, Heureux l’homme qui ne suit pas
le conseil des impies / Psaume I avec
baryton solo - brillant Boris Petrov, qui excellera également dans Conseil éternel de Pavel Tchesnokov (1877-1944)
- est une pièce jubilatoire où solistes et tuttistes jouent d’ornementations
fleuries. Il est digne de vérité vient de l’Eglise de Kiev sur un manuscrit du XVIIIe siècle du
monastère Saint-Cyrille de Belozersk. Sa mélodie est douce et lumineuse. Harmonisé
par Popov Platonov (1876-1942), le superbe chant bulgare La joie des affligés permet aux voix de se détacher et de rebondir
les unes sur les autres, sollicitant autant l’aigu que le grave des registres de
chacun des protagonistes. Tout en vagues tendres et en rythmes joyeux, Le Seigneur des forces célestes, chant znamenny (2), a précédé Venez, adorons Dieu le Verbe, page de
Gueorgui Sviridov (1915-1998) au large ambitus vocal tout en délicatesse et en ardeur
contenue. Autre pièce de Pavel Tchesnokov, Mon
Seigneur, sauve Ton peuple, a
permis de goûter la voix d’un velours, d’une profondeur abyssale et d’une
plénitude vertigineuse de Vladimir Miller, « Artiste émérite de Russie » réputé doté de l’une des voix les plus profondes au monde. Un second Hymne des chérubins, cette fois
harmonisé par Vassili Kalinnikov (1870-1927), plein d’entrain et de bonhommie,
a préludé à une seconde pièce de Sviridov, Saint Amour, occasion d’entendre une première intervention du
contre-ténor Alexandre Gorbatenko, à qui les trois ténors ont répondu en écho
avant que leurs comparses les rejoignent pour conclure ce chant remarquablement
harmonisé.
Auvers-sur-Oise, église Notre-Dame. Photo : (c) Bruno Serrou
A l’instar du jubilatoire et profane arrangement pour huit voix du Vol du bourdon de Nikolaï
Rimski-Korsakov (1844-1908) qu’a transcrit Alexandre Semenov. Confié au ténor
Evgueni Mikheev soutenu par un léger tissu du tutti, Je prends la route seul sur un texte de Mikhaïl
Lermontov (1814-1841), a conduit au touchant chant populaire russe En sortant sur le grand large arrangé par Alexandre Semenov, qui a permis de
retrouver l’impressionnant Vladimir Miller, avant que le groupe en son entier le
rejoigne pour enlever gaiement le réjouissant Dans une forêt noire qu’il a soutenu d’espiègles boum-boum-boum. Le concert s’est conclu
sur un dernier chant populaire russe, Une
clochette sonne monotone, conduit
par le contre-ténor Alexandre Gorbatenko dont la voix trahit une sensibilité et
une spiritualité prégnante.
A noter que le Festival d'Auvers-sur-Oise se poursuit jusqu'au 5 juillet (www.festival-auvers.com)
Bruno
Serrou
1) Chant appartenant
principalement au répertoire des offices solennels des jours de fête religieuse
voués au culte marial marqués par sa complexité rythmique et de sa forme
mélodique libre. Les hymnes du chant demestvenny n’ont pas suivi le système de
huit tons qu’ont utilisé un certain nombre de compositeurs de la fin du XIXe
siècle, comme Nikolaï Kompaneisky (1848-1910), qui ont appliqué le terme
demestvenny à des œuvres destinées au concert.
2) De « znamia »
(neumes), il s’agit d’un chant traditionnel de l’Eglise orthodoxe
russe, dont il constitua la totalité du répertoire musical entre les xiie et xviie siècles.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire