Paris, Salle Pleyel, jeudi 20 juin 2013
Orchestre de Paris, salle Pleyel. Photo : (c) Orchdestre de Paris, DR
Pour sa
dernière apparition devant le public de la Salle Pleyel de la saison qui s’achève,
à la veille de son ultime prestation Pyramide du Louvres, et avant de prendre ses
quartiers d’été à Aix-en-Provence pour une Elektra
de Richard Strauss qui s’annonce somptueuse, l’Orchestre de Paris a réuni dans
un même programme trois des grands symphonistes du XXe siècle, Gustav
Mahler, Jean Sibelius et Dimitri Chostakovitch. Néanmoins, pour rester dans les
règles du concert d’orchestre, Paavo Järvi, faute de poème symphonique et de
concerto mahlériens, a retenu un extrait de la grande Suite de Lemminkaïnen du Finlandais, un concerto du Russe, avant de
conclure sur une symphonie de l’aîné.
Paavo Järvi. Pjoto : DR
A l’écoute du
célèbre Cygne de Tuonela, le
mouvement lent de la Suite de
Lemminkaïnen op. 22 de Jean Sibelius (1865-1957), l’on n’a pu que ressentir
quelque frustration de ne pas avoir le bonheur d’écouter les quatre légendes,
tant l’Orchestre de Paris a exalté de ses sonorités fruitées et de son nuancier
infini les beautés évanescentes de cette méditation intemporelle sur la mort,
particulièrement les cordes, aux textures feutrées et lumineuses que les vents,
pourtant en nombre, ne font que colorer, particulièrement un merveilleux solo
de cor anglais d’une prenante mélancolie (remarquable Gildas Prado), et les
cuivres aux sonorités sombres amplifiées par les sourdes résonnances des
timbales, tandis que se détache le violoncelle solo aux mornes colorations.
Frank Peter Zimmermann. Photo : DR
Plus rêche et
acide que ces pages de Sibelius, le Concerto
de pour violon et orchestre n° 1 en la mineur op. 77/99 de Dimitri
Chostakovitch (1906-1975) n’en a pas moins impressionné, permettant tout autant
à l’Orchestre de Paris de briller et de démontrer son aptitude à s’adapter aux
caractères et aux styles les plus divers et tranchés. Composée en 1947-1948, conçu
en quatre mouvements aux titres évocateurs (Nocturne,
Scherzo, Passacaille, Burlesque),
cette partition, la plus longues des œuvres concertantes de Chostakovitch, ne
devait être créé que sept ans après son achèvement, le 29 octobre 1955, par
David Oïstrakh, son commanditaire, et l’Orchestre Philharmonique de Leningrad
dirigés par Evgueni Mravinski. Dans l’intervalle, Chostakovitch, visé par la
vindicte du censeur Andreï Jdanov, avait dû mettre ce concerto dans un tiroir
pour répondre à des commandes instantes émanant du gouvernement soviétique. Dans
cette œuvre très personnelle, seul le mouvement initial chante, les trois
autres étant plus saccadés et tortueux, à commencer par le Scherzo que David Oïstrakh disait « maléfique, démoniaque et
épineux. L’ample Passacaille a l’ambiguïté
d’une méditation au tour pompeux qui se conclut sur une imposante cadence
débouchant sur une joyeuse fête populaire d’un entrain irrésistible qui reprend
indistinctement le thème de la passacaille. La partie soliste, d’une virtuosité
époustouflante voire suffocante tel une course vers l’abîme, a été idéalement
tenue par Frank Peter Zimmermann, qui joue cette œuvre avec une aisance
incroyable, tandis que l’Orchestre de Paris l’enveloppe de ses timbres
triomphants sans jamais le couvrir. Après une telle interprétation, l’on ne
pouvait que penser que le violoniste allemand nous laisserait sur cette
impression inouïe, mais il céda à l’insistance du public, qui lui réclamait un
bis, qu’il puisa bien évidemment chez Bach…
Gustav Mahler (1860-1911). Photo : DR
La Symphonie n° 1 en ré majeur « Titan »
de Gustav Mahler (1860-1911) concluait la soirée - seule cette œuvre est reprise
ce 21 juin au Louvre. Dans cette partition d’une extrême virtuosité, l’Orchestre
de Paris a brillé de tous ses feux, assurant avec maestria la fluidité d’un discours
complexe à mettre en place tant les structures sont alambiquées, faisant à la
fois ressortir les lignes de force, l’architecture, l’unité à travers la multiplicité,
la diversité des plans apparaissant évidente, tout en soulignant l’hétérogénéité
de l’inspiration, à la fois populaire, foraine, militaire, noble et grave, les brutalités,
les saillies, la nostalgie. Unité et altérité dans la conduite de l’œuvre,
la rythmique, le phrasé, les respirations étant parfaitement en place, Paavo
Järvi a en outre évité le pathos et les effets trop appuyés, rendant l’œuvre d’une
profonde et altière humanité magnifiée par le chant vivifiant de la nature, le
chant des oiseaux, l’amour, les angoisses, le tragique et la sérénité, tout en
veillant à l’équilibre des masses, les voix restant toujours claires et les
sonorités jamais saturées. Energique, étincelante, sollicitant à satiété
contrastes et couleurs, alternant grandeur, douleur, passion, onirisme, la
vision du chef estonien est celle d’un grand mahlérien, qui a réussi en deux
saisons à transcender l’Orchestre de Paris, qui, sous sa direction, a atteint le niveau international
le plus élevé, encrant de plain-pied Paris parmi les grandes capitales
symphoniques.
Bruno Serrou
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