Marseille, Opéra municipal, samedi 15 juin
2013
Jules Massenet, Cléopâtre, acte I : Jean-François Lapointe (Marc Antoine) et Béatrice Uria-Monzon (Cléopâtre). Photo : (c) Christian Dresse
L’Opéra
municipal de Marseillaise reprenait samedi l’ultime ouvrage scénique de Jules
Massenet (1842-1912), Cléopâtre, qui
n’avait pas été donné en France depuis 1990, année où la Biennale Massenet de
Saint-Etienne l’avait ressuscité après qu’il eût longtemps disparu de la scène
lyrique. Sous-titré « drame passionnel », écrit sur un livret de
Louis Payen, en fait le poète journaliste Albert Liénard (1875-1927), créé à l’Opéra
de Monte-Carlo le 23 février 1914, dix-huit mois après la mort de son auteur, Cléopâtre pourrait constituer à deux
siècles de distance la seconde partie de Giulio
Cesare de Georg Friedrich Haendel, puisqu’il conte les secondes amours de la
reine d’Egypte avec un consul romain, Marc Antoine, qui renonça pour elle à la
fois à Rome, à sa femme Octavie et à son honneur.
Jules Massenet, Cléopâtre, acte III : Jean-François Lapointe (Marc Antoine), Béatrice Uria-Monzon (Cléopâtre) et Antoinette Donnefeld (Charmion). Photo : (c) Christian Dresse
Les quatre actes de l’ouvrage
de Massenet alternent, conformément aux canons du grand opéra français, les
moments d’intimité et les scènes de foule, des palais luxueux et des bouges
sordides. « Il ne s’agit pas d’une œuvre pompeuse, prévenait avant la
première Laurence Foster, directeur musical de l’Opéra de Marseille, et lorsque
cela le devient, c’est volontairement, pour souligner le contraste entre la
grandeur de Rome et la volupté de la cour égyptienne, et pour railler les
Romains en regard de la finesse de l’Orient. Malgré ses longueurs, peu ce
pourquoi nous l’avons réduit, il se trouve dans le ballet de la très belle
musique. Des passages sont quasi égyptiens, soulignés par des tarbuki tunisiens,
mais moins couleur locale que le Concerto
’’égyptien’’ de Saint-Saëns. » Côté intrigue, le livret prend quelque
liberté avec les faits réels, ajoutant le personnage de Spakos, amant jaloux de
la reine, et une entrevue en Egypte entre Octavie et Cléopâtre, s’appuyant pour
conclure sur la thèse du suicide de Marc Antoine après que lui soit annoncé la
fausse nouvelle de la mort de son amante.
Jules Massenet, Cléopâtre, acte IV : Béatrice Uria-Monzon (Cléopâtre), Jean-François Lapointe (Marc Antoine) et Antoinette Dennefeld (Charmion). Photo : (c) Christian Dresse
L’intrigue
de Cléopâtre est rondement menée, les
tableaux enchaînant lieux et époques abruptement, abolissant les notions de
temps et d’espace. L’on retrouve dans la partition quantité de références aux œuvres
précédentes de Massenet, qui présente ainsi son ultime partition scénique comme
une sorte de synthèse de sa création, tout en sauvegardant une certaine
originalité, tant du matériau thématique que des structures. L’on est néanmoins
saisi par la pérennité de la pensée du compositeur, qui reste profondément ancrée
dans le grand opéra romantique français, mais orchestrant épais tout en
veillant à ce que la vocalité ne soit jamais étouffée. L’on relève aussi des
influences extérieures, particulièrement de Georges Bizet, dont il semble carrément
entendre une copie conforme du duo final Carmen / Don José dans la scène de la
taverne au second tableau du deuxième acte dans laquelle l’affranchi Sparkos
crie sa jalousie à Cléopâtre, la Carmen
de Bizet semblant avoir beaucoup plus profondément marqué Massenet que Pelléas et Mélisande de Claude Debussy,
créé neuf ans avant la genèse de Cléopâtre.
Lawrence Foster. Photo : DR
Laurence
Foster a clairement mis en évidence ces influences et les violents contrastes
de la partition, ne se faisant jamais excessif dans le pompiérisme de l’œuvre pour
mieux en souligner les élans passionnés et l’onirisme. Le courant semble bien
passer entre l’orchestre marseillais - les cuivres, fort sollicités, font un sans-faute
- et son nouveau directeur musical, qui excelle dans le répertoire français
comme en témoignent ses enregistrements d’Œdipe
de Georges Enesco (1) et de l’Etranger
de Vincent d’Indy (2). Attentif aux chanteurs, il ne les couvre jamais,
préservant ainsi le texte qui reste continuellement compréhensible, d’autant
plus que l’articulation des protagonistes est plutôt limpide.
Jules Massenet (1842-1912). Photo : DR
La mise en scène
de Charles Roubaud est d’un traditionalisme qui plaît au public marseillais, et
elle heureusement incarnée par des chanteurs qui se sentent positivement concernés
par les personnages qu’ils interprètent dans une scénographie de toiles peintes façon Cecil B. De
Mille signée Emmanuelle Favre, qui aurait été mieux inspirée de tendre vers la
stylisation plutôt que vers le réalisme hollywoodien. Sa seule « modernité »
est la projection d’une vidéo conçue par Marie-Jeanne Gauthé, qui a voulu
amplifier le réalisme par ses projections d’arbres, fontaines, torches, tandis
que les drapés fort compliqués des robes dessinées par Katia Duflot vont à l’encontre
de l’image que l’on se fait aujourd’hui de la sensualité antique.
Jules Massenet, Cléopâtre. Jean-François Lapointe (Marc Antoine). Photo : DR
La
distribution est dominée par l’impressionnant Marc Antoine de Jean-François
Lapointe, la voix colorée et impérieuse du baryton canadien donnant au triumvir
une noble stature et une fermeté dans ses choix qui transcendent l’incapacité
du Romain à échapper aux charmes de Cléopâtre. Cette dernière est campée par
Béatrice Uria-Monzon, dont la voix a retrouvé ici sa solidité, malgré des pasqsages de registres pas toujours nets, la mezzo-soprano française contrôlant son
vibrato de façon plus assurée que lors de sa Vénus de Tannhäuser entendue à l’Opéra de Strasbourg en mars dernier (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/03/les-tourments-de-tannhauser-causes-du.html),
tandis que sa Cléopâtre est sœur aînée de Carmen, mais en plus calculatrice et cynique.
Soprano lumineux et droit, Kimmy Mc Laren est une Octavie ardente, et
Antoinette Dennefeld une Charmionte (confidente de Cléopâtre) convaincante. Si
les seconds rôles masculins sont bien tenus (Philippe Ermelier en Ennius,
Bernard Imbert en Amnhès, Jean-Marie Delpas en Severus), le maillon faible de
la soirée est le Spakos de Luca Lombardo, ténor étriqué au timbre serré plus
préoccupé de vocalité que de carnation, tant côté tenue de la ligne de chant et
du timbre que de présence scénique.
Bruno Serrou
1) Enregistré
à Monaco en 1989 avec José van Dam. 2 CD EMI
2) Capté
à Montpellier en 2010 avec Ludovic Tézier. 2 CD Universal Classics/Accord
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