Bobigny (Paris), MC93, mercredi 26 juin
2013
Joseph Haydn, Il mondo della luna. Photo : (c) MC93/Opéra national de Paris, DR
Un
an après la Fina Giardiniera de
Mozart (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/06/normal-0-21-false-false-false-fr-x-none_28.html),
la MC93 de Bobigny et l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris ont présenté leur
sixième coproduction (1). Quinze chanteurs de quatre promotions entrées entre
octobre 2011 et octobre 2012, voire pour certains en octobre prochain, ont
alterné fin juin sur la scène de la MC93 de Bobigny dans une production inédite
d’un opéra rarement donné en France de Joseph Haydn, Il mondo della luna (le Monde
de la lune).
Joseph Haydn (1732-1801). Photo : DR
Deux
mois après l’Isola disabitata à la
Ferme du buisson de Noisiel-Marne-la-Vallée, l’Atelier lyrique de l’Opéra de
Paris retrouvait Haydn (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/04/latelier-lyrique-de-lopera-de-paris.html).
Opéra burlesque au caractère onirique, Il
mondo della luna est le septième des douze ouvrages lyriques que Joseph
Haydn a composés pour la cour du prince Esterházy (2), entre 1763 et 1784. Il
se fonde sur un livret de Carlo Goldoni, qui avait été précédemment mis en
musique par Baldassare Galuppi en 1750, puis par Niccolò Piccinni
en 1770. Haydn en dirigea la création à Esterháza le 3 août 1777 à l’occasion
du mariage du comte Nikolaus Esterházy, le plus jeune des fils du prince
Nikolaus Esterházy, avec la comtesse Maria Anna Wissenwolf. A noter que le
personnage du chevalier Ernesto est le seul rôle que Haydn ait destiné à un
castrat contralto, tenu à la création par Pietro Gherardi.
Carlo Goldoni (1707-1793). Photo : DR
L’action
de ce dramma giocoso en trois actes conte
les mésaventures d’un noble aussi riche que naïf, Buonafede, père de deux
filles en âge de sa marier, Clarice et Flaminia, et pourvu d’une servante (Lisetta)
dont il est amoureux mais qui en préfère un autre. Passionné d’astronomie, il se
laisse berner par le professeur Ecclisto, un imposteur qui se fait passer pour
astronome. Son impressionnant télescope ne sert en fait qu’à duper les
amateurs. Avec son complice Ernesto et son serviteur Cecco, il entend duper le
naïf pour qu’ils épousent les trois jeunes femmes. A cette fin, ils lui font
croire à la possibilité d’un voyage dans l’espace, et lui vendent à prix d’or
un puissant somnifère qu’ils présentent comme une liqueur lunaire capable de le
transporter sur la lune. Pendant que Buonafede dort, les compères transforment
son jardin en paysage lunaire. A son réveil, convaincu qu’il se trouve sur la
lune, il croit reconnaître Cecco en empereur de la Lune, mais lui concède la
main de Lisetta, et fait la promesse de faire venir ses deux filles. Celles-ci,
amoureuses d’Ecclisto et Ernesto, participent naturellement au complot. Leur
arrivée suscite une grande parade lunaire au cours de laquelle Buonafede est
promu chevalier, moyennant finance. Se découvrant trompé sous les coups des
sbires des imposteurs, il finit par accepter le mariage de ses filles et
apprend qu’Ernesto et Ecclisto ne manquent pas d’argent et que Cecco est un
brave garçon…
Joseph Haydn, Il mondo della luna. Photo : (c) MC93/Opéra national de Paris, DR
La
scénographie d’Alwyne de Dardel plonge dans un terrain vague de bidonville fait
de roulotte rouillée, de camion putréfié, de pneus décharnés et d’immondices qui
jonchent le sol éclairé par la lune, le tout recouvert dans la seconde partie d’une
grande bâche blanche fantomatique dominée par un clair de terre qui inscrit le
propos de Goldoni sur l’acquisition contrainte de la fortune d’un père par le
mariage au sein d’une communauté de gens du voyage. A l’instar du décor, les
costumes de Sylvette Dequest sont faits d’objets de récupération recyclés qui ont
malgré tout pas mal d’allure.
La
farce en acquiert une contemporanéité qui annihile le merveilleux de la musique
de Haydn et du texte de Goldoni - était-ce d’ailleurs nécessaire, le théâtre de
l’Italien étant aussi éternel que celui de Molière ? -, mais l’on rit
volontiers des pièges dont est victime le naïf et des tours que lui font ses
bourreaux. Seul moment contestable, le tabassage en règle que lui font subir
ses futurs gendres qui deviennent d’un coup de haïssables tortionnaires, avant
le dénouement souriant de l’œuvre qui débouche sur un hymne à la lune. Dans cet
univers inspiré du film Affreux, sales et
méchants d’Ettore Scola sorti en salle en 1976, David Lescot, qui signe ici
sa seconde mise en scène lyrique après The
Rake’s Progress de Stravinski à l’Opéra de Lille en 2011, anime la troupe
de jeunes chanteurs par une direction d’acteur, qui a la spontanéité et la fraîcheur
qui siéent à Haydn, chacun donnant une vérité dramatique et comique de bon
aloi. Les chanteurs présents en avril dernier confortent tout le bien émis à
leur propos : le baryton portugais Tiago Matos est un Buonafede aussi
touchant qu’agaçant, et Anna Pennisi, mezzo au chaud velours, une brûlante et
sensuelle Lisetta. Eva Zaïcik impose sa spontanéité et sa vivacité dans le rôle
travesti d’Ernesto, et les ténors Oleksiy Palchykov (Ecclitico) et Kévin Amiel
(Cecco) ont l’abattage qui convient à des escrocs de petit acabit. Les sopranos
Andreea Soare (Clarice) et Olga Seliverstova (Flaminia) chantent avec art leurs
airs de bravoure tout en en sollicitant l’ineffable poésie.
Une
poésie qui trouve sa résonnance dans la présence insolite dans la fosse d’un
synthétiseur dont les interventions surréalistes ajoutent à la magie de l’orchestre
de Haydn, qui se plaisait au clin d’œil et à la farce jusqu’au cœur de ses
partitions, le chef ayant malicieusement introduit en outre un plaquage de la
chanson populaire Au clair de la lune.
Guillaume Tourniaire dirige avec conviction et énergie un l’Orchestre-Atelier
OstinatO en meilleure forme que dans l’Isola
disabitata, restituant honorablement la vivacité toute en grâce et en rondeur
de la musique de Haydn.
Bruno Serrou
1)
La saison prochaine, la MC93 et l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris
présenteront une nouvelle production d’une œuvre beaucoup plus célèbre, puisqu’il
s’agira de Don Giovanni de Mozart.
2) Un
treizième opéra, l’Anima del filosofo,
fut composé à Londres en 1791, mais ne sera créé qu’en 1951.
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