Les Cris de Paris, direction : Geoffroy Jourdain. Photo : DR - Les Cris de Paris
En préambule du cycle « De l’Allemagne, 1800-1939 » (1), les Cris
de Paris ont exploré vendredi le versant sombre du romantisme allemand. L’ensemble
vocal dirigé par Geoffroy Jourdain avait en effet programmé les crépusculaires Quatre chants op. 141,
l’une des dernières œuvres composées par Robert Schumann avant de basculer dans
la folie, et Friede auf
Erden op. 7, une page d’Arnold Schönberg de 1907 qui repousse les limites
du langage tonal traditionnel jusque dans ses ultimes limites. Le tout mis en résonance avec une œuvre nouvelle de Beat Furrer, Enigma V.
En ouverture de concert, une pièce d’un compositeur
méconnu en France, Peter Cornelius (1824-1874), qui fut un proche de Richard
Wagner et dont l’opéra-comique le Barbier
de Bagdad que Franz Liszt dirigea en création à Weimar en 1858 a seul reçu
quelque écho pour avoir valu à Liszt son poste de directeur musical de la Hofoper
de la capitale du duché de Saxe-Weimar. Il est pourtant l’un des grands compositeurs de musique choral du romantisme allemand. Conçu en 1872, son Requiem en fa mineur pour chœur mixte à six voix d’une grande
complexité harmonique, dynamique et technique, doit beaucoup aux maîtres de la
polyphonie Renaissance, particulièrement à Lassus et Palestrina. Cette œuvre
funèbre de moins d’une dizaine de minutes a la forme d’un motet sur un texte
vernaculaire allemand du poète romantique Friedrich Hebbel (1813-1863), Seele, vergiss sie nicht (Âme, ne les oublie pas).
S’ensuivirent quatre des six Chœurs sacrés que Hugo Wolf composa en 1881 sur des textes de Josef von Eichendorff dans lesquels se font entendre les échos de la passion orageuse du compositeur pour la jeune Valentine (Wally) Franck, nièce d’un professeur au Collège de France, à qui il avait donné quelques leçons de piano, et, surtout, les vespéraux Quatre chants pour double chœur a capella op. 141, l’une des dernières œuvres de Schumann, qui la composa en 1849 sur des poèmes de Friedrich Rückert (An die Sterne – A l’étoile), Joseph Christian von Zedlitz (Ungewisses Licht - Lumière incertaine - et Zuversicht - Confiance) et Johann Wolfgang von Goethe (Talismane - Talismans).
S’ensuivirent quatre des six Chœurs sacrés que Hugo Wolf composa en 1881 sur des textes de Josef von Eichendorff dans lesquels se font entendre les échos de la passion orageuse du compositeur pour la jeune Valentine (Wally) Franck, nièce d’un professeur au Collège de France, à qui il avait donné quelques leçons de piano, et, surtout, les vespéraux Quatre chants pour double chœur a capella op. 141, l’une des dernières œuvres de Schumann, qui la composa en 1849 sur des poèmes de Friedrich Rückert (An die Sterne – A l’étoile), Joseph Christian von Zedlitz (Ungewisses Licht - Lumière incertaine - et Zuversicht - Confiance) et Johann Wolfgang von Goethe (Talismane - Talismans).
Beat Furrer - Photo : DR - Universal Edition
Mais le moment le plus attendu de ce concert assez
court (une heure), mais d’une densité extrême, était la création mondiale d’une
pièce pour chœur a capella de l’un des grands compositeurs de notre temps,
l’Autrichien d’origine suisse Beat Furrer (né à Schaffhausen en 1954),
fondateur de l’un des ensembles le plus fameux de musique contemporaine,
Kalgforum Wien. Chez lui, à l’instar de la littérature et du jazz, les arts
plastiques tiennent une place importante. Certaines de ses techniques
compositionnelles s’y apparentent, comme la superposition de couches qui
cernent progressivement un objet en reconsidérant une même structure, effets de
clairs-obscurs, etc. La voix, du balbutiement bruité jusqu’au langage
constitué, souvent proche du parlé, occupe une place cruciale dans sa création.
Le tout se retrouve dans Enigma V pour double chœur
a capella composé en 2012 inspirée des prophéties énigmatiques de Léonard de
Vinci (1452-1519) (2) à la suite d’une commande du musée du Louvre, des Cris de
Paris et de l’Etat français, et donné vendredi en première audition française
en présence du compositeur. En un peu moins de quinze minutes, Beat Furrer met en jeu tous les modes de chant, du cri au
murmure, du susurré au bruité, du souffle à la mélodie. Trente-trois chanteuses
et chanteurs (contre 37 pour les autres pièces) ont interprété avec une
musicalité impressionnante un œuvre prenante, riche en effets et extraordinairement
variée, jouant dextrement de l’ombre et de l’écho, déformant, comprimant ou prolongeant
la narration, les mots et les voix. Furrer sort avec bonheur des sentiers
battus, faisant de l’ensemble vocal une véritable fourmilière de sons et de
timbres, la répétition (le mot Vedrassi
constamment repris et transformé) transformant les voix en un orchestre
polychrome résonnant sur les voyelles et les consonnes, accélérant ou resserrant
le débit, laissant le verbe sur la résonance ou au contraire le rythmant
sèchement, jusqu’à le saccader ou au contraire le rendant mélodieux.
Pour conclure ce riche
concert, les Cris de Paris ont proposé une flamboyante interprétation de Friede auf Erden (Paix sur la terre) op. 13,
prière ardente et prémonitoire adressée par Arnold Schönberg en 1907, soit
quatre ans avant le premier conflit mondial, œuvre tonale mais d’une extrême
complexité contrapuntique et harmonique d’une beauté stupéfiante, fervente et
généreuse.
Au total, un programme supérieurement
pensé, commencé par un beau chant de douleur et de compassion, le méconnu Requiem de Cornelius qui dit combien
l’Allemagne du XIXe siècle, dans l’héritage de Jean-Sébastien Bach,
est une terre chorale d’élection, au-delà des Mendelssohn, Brahms et Liszt, et conclu
sur une création contemporaine de Beat Furrer qui démontre qu’il en est encore ainsi
aujourd’hui.
Bruno Serrou
1) Exposition, Hall Napoléon, du 28 mars au 24 juin
2013.
2) (de l’ombre qui se meut avec l'homme) Des formes et des figures d’hommes et / d’animaux les poursuivront où qu’ils fuient / et le mouvement de l’un sera analogue à / celui de l’autre, mais semblera chose digne / d’étonnement à cause des différents / changements de leurs dimensions.
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