Paris, Centre Pompidou, Grande salle, jeudi 4 octobre 2012
Rune Glerup (né en 1981) - Photo : (c) IRCAM - DR
Voilà tout juste un an, un concert
« Tremplin/Cursus 2 » de l’IRCAM et de l’Ensemble Intercontemporain
révélait un jeune compositeur prometteur de 26 ans, le Catalan Marc Garcia Vitoria.
L’espoir était donc grand hier soir d’une nouvelle révélation, dans la Grande
salle du Centre Pompidou. C’était oublier qu’en matière artistique, les créateurs
aux fortes personnalités ne sont pas légion, et ceux qui possèdent un riche
imaginaire personnel sont plus rares encore. Les quatre impétrants retenus pour
le concert « Tremplin/Cursus 2 » 2012 se seront avérés guère convaincants,
un seul d’entre eux montrant quelque disposition, sort du cursus 2 et signe de
ce fait la seule pièce avec électronique en temps réel du jour.
Mais avant d’aller plus loin, rappelons
ce qui se cache derrière l’intitulé « Tremplin / Cursus 2 ». Il s’agit
en fait côté « Tremplin » de compositeurs sélectionnés par le comité
de lecture de l’Ensemble Intercontemporain et de l’IRCAM, et, côté « Cursus
2 », d’une formation spécialisée en composition, recherche et technologies
musicales dispensées au sein de l’Institut. « Tremplin, est-il dit dans
les documents de l’EIC et de l’IRCAM, est une forme originale de soutien à la
jeune création : l’expérimentation (la "maquette") précède la
confirmation de la commande, un processus analogue à la pratique de l’architecture. »
Toutes les œuvres présentées hier ont été commandées en 2010, les premières par
un comité de lecture constitué de Cyril Béros, directeur de la Pédagogie et de
l’Action culturelle à l’IRCAM, des compositeurs Stefano Gervasoni et Hanspeter
Kyburz, de Susanna Mälkki, directrice musicale de l’Ensemble Intercontemporain,
et de Frank Madlener, directeur de l’Ircam, tandis que le compositeur Yan
Maresz est professeur associé au programme Cursus 2 de l’IRCAM. Avec de telles
personnalités pour décisionnaires, l’on se demande ce qui a bien pu déterminer la
sélection de candidats qui se sont vus dotés de commandes et confiés les outils
nécessaires à la réalisation de leurs œuvres qui, après deux ans de genèse, ont
été créées hier par les musiciens de grande classe qui constituent l’Ensemble
Intercontemporain, auxquels se sont joints trois musiciens supplémentaires.
Aucun Français dans la promotion
2010-2012. S’en trouvera-t-il dans la seconde vague, en avril prochain, constituée
cette fois de jeunes compositeurs du Cursus 1 ?... Conçue pour vingt-deux
instruments, certain étant désaccordés, la première pièce était signée de l’Etatsunien
Anthony Cheung (né en 1982). Dystemporal,
« qui se réfère à la façon distordue et déconcertante (sic) dont la
temporalité est manipulée et perçue au cours de l’œuvre », est une œuvre qui
tourne sur elle-même, dérivant vaguement du minimalisme mais sans la moindre
variation perceptible de rythme ni de tempo - ce qui va à l’encontre de la
promesse du compositeur -, ni même de couleur et d’orchestration. Un
interminable quart d’heure qui, tout compte fait, paraît néanmoins fort digeste
en regard de la partition qui suivait, celle d’Einer Torfi Einarsson. Formé en
Hollande, avant de suivre les master classes de Salvatore Sciarrino, Brian
Ferneyhough, Emmanuel Nunes et Jonathan Harvey, cet Islandais de 32 ans a découragé
son auditoire pourtant venu en nombre poussé par la curiosité et l’envie de
découverte, avec son interminable Desiring-Machines.
Vingt-cinq minutes durant, vingt-trois instruments et une platine tourne-disque
susurrent des sons quasi imperceptibles, une sorte de No Music qui démontre a contrario la volonté de son auteur, qui déclare
dans son texte de présentation abscons qu’il entend « donner la priorité à
la "physicalité" (?) de la performance, etc. » (je passe la
suite). Lorsqu’il évoque dans ce même texte des tempos « sporadiques »
(au pluriel), on se demande de quels tempi
il peut bien s’agir, tant un seul est identifiable et qui perdure
inlassablement. Le compositeur n’acène que des bruits blancs qui nécessitent de
la part des interprètes une virtuosité extrême qui se révèle fort inutile tant
il ne résulte rien de leur jeu - l’un des deux violoncellistes, Pierre Strauch,
caresse de son archet la totalité du corps de son instrument dont il ne néglige
aucun contour, comme s’il s’agissait d’une amante, tandis que le
percussionniste titulaire de la grosse caisse se sert de son instrument comme d’une
table sur laquelle il trace des kilomètre d’écriture avec un marqueur crissant,
Frédérique Cambreling s’escrime à gratter les cordes de sa harpe, Géraldine
Dutroncy n’émergeant à aucun moment de la queue de son piano, etc. Près d’une
demi heure de bruits blancs et d’imitation de sons venu d’une forêt nocturne crépitant
inlassablement ont eu raison des la patience du public, qui, selon le caractère
de chacun, s’est énervé ou s’est assoupi durablement...
Mais nous nous sommes tous réveillés soudainement sous la virulence du premier accord de l’œuvre suivante rudement frappé par les vingt et un instruments requis par Tendenza composé par Magnus Lindberg en 1982 (année de naissance des quatre compositeurs-lauréats). Le compositeur finlandais avait 22 ans lorsqu’il conçut cette pièce d’une douzaine de minutes, et le contraste avec ses cadets d’un peu moins d’une génération est extrêmement violent. Non seulement côté décibels, mais aussi par la puissance de l’inspiration, le sens de la couleur, la richesse et la vivacité rythmiques, les variations de tempos, le sens de la narration, la théâtralité. Lindberg est ici à son meilleur, et l’on ne peut que regretter que tant de talent ait été gaspillé par ce créateur qui a plus ou moins condescendu depuis une décennie à la facilité afin de toucher un plus large public au risque de perdre son identité.
Mais nous nous sommes tous réveillés soudainement sous la virulence du premier accord de l’œuvre suivante rudement frappé par les vingt et un instruments requis par Tendenza composé par Magnus Lindberg en 1982 (année de naissance des quatre compositeurs-lauréats). Le compositeur finlandais avait 22 ans lorsqu’il conçut cette pièce d’une douzaine de minutes, et le contraste avec ses cadets d’un peu moins d’une génération est extrêmement violent. Non seulement côté décibels, mais aussi par la puissance de l’inspiration, le sens de la couleur, la richesse et la vivacité rythmiques, les variations de tempos, le sens de la narration, la théâtralité. Lindberg est ici à son meilleur, et l’on ne peut que regretter que tant de talent ait été gaspillé par ce créateur qui a plus ou moins condescendu depuis une décennie à la facilité afin de toucher un plus large public au risque de perdre son identité.
La seconde partie s’est avérée
plus attractive, même si l’on n’y a pas décelé d’authentiques tempéraments.
Fruit du Cursus 2, Examples of Dust (Des exemples de poussière) de Rune
Glerup est assurément l’œuvre la plus intéressante de la soirée. Agé de 31 ans,
le compositeur danois a réparti de façon significative son orchestre de
vingt-sept instruments sans percussion sur deux rangs disposés en arc de cercle
continu, les cordes à gauche (3 violons, 2 violoncelles devant, 2 altos,
contrebasse derrière), les bois à droite (clarinette basse, 2 clarinettes,
piccolo, flûte devant, contrebasson, basson, 2 hautbois derrière) encadrant les
cuivres (2 cors, 2 trompettes devant, 2 trombones, tuba derrière), le tout ceinturé
par deux pianos. Son écriture a du souffle et du coffre. L’œuvre est bien
construite, le son séduit, le compositeur usant d’un riche nuancier, et l’électronique
« live » est discrète mais efficace, créant un climat onirique sans
jamais empiéter sur l’ensemble instrumental. L’alliage instrument/informatique
crée une théâtralité qui ménage de continuelles surprises, chaque séquence s’enchaînant
avec la suivante de façon inattendue au moment-même où l’auditeur commence à se
dire qu’il a compris et qu’il est temps de passer à autre chose, ce qui dit
combien le compositeur a le sens du temps et sait ménager les climats.
Un peu plus convenue mais non sans attraits, commandé par Tremplin, Past Beyond de la Chinoise Lu Wang (née en 1982) pour vingt-huit instrumentistes déroule en seize minutes les paysages de la Chine, empruntant au débit et aux timbres des langues des divers dialectes chinois mêlés des sons quotidiens des mégapoles et des campagnes de l’Empire du Milieu, tout en se fondant sur les particularités de l’écriture musicale occidentale.
Un peu plus convenue mais non sans attraits, commandé par Tremplin, Past Beyond de la Chinoise Lu Wang (née en 1982) pour vingt-huit instrumentistes déroule en seize minutes les paysages de la Chine, empruntant au débit et aux timbres des langues des divers dialectes chinois mêlés des sons quotidiens des mégapoles et des campagnes de l’Empire du Milieu, tout en se fondant sur les particularités de l’écriture musicale occidentale.
Sous la direction plus souple que
de coutume de Susanna Mälkki, l’Ensemble Intercontemporain a joué sa partie
avec sérénité, n’affichant aucun a priori sur les œuvres programmées auxquelles
les musiciens ont ainsi donné toutes leurs chances en les offrant avec une
égale dextérité au seul jugement des auditeurs.
Bruno Serrou
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