samedi 27 octobre 2012

Hans Werner Henze, le compositeur allemand le plus fécond de sa génération, est mort à Dresde à l’âge de 86 ans




Hans Werner Henze. Photo : DR


Compositeur allemand dont le nom était plus connu en France que l'œuvre, souvent vilipendée par ses anciens compagnons de route de l’avant-garde, installé en Italie depuis plus d’un quart de siècle, Hans Werner Henze est mort à Dresde ce samedi 27 octobre 2012.

A l’exception de deux de ses seize opéras, Boulevard solitude donné au Théâtre du Châtelet en 1981, et Le Prince de Hombourg présenté à Paris en concert dès 1960 mais porté à la scène qu'en 1997, à Toulouse, il a fallu attendre 2004-2005 pour voir et entendre en France trois autres de ses ouvrages scéniques, l’Upupa ou le triomphe de l’amour filial à l’Opéra de Lyon, les Bessarides et Pollicino au Théâtre du Châtelet, ainsi que quelques pages instrumentales dans le cadre du Festival Présences de Radio France 2003. Seul le cinéma a porté son œuvre en France, avec les bandes son des films Muriel et l’Amour à mort d’Alain Resnais, ou de L'honneur perdu de Katarina Blum de Volker Schlöndorff. Compositeur éclectique et qui le revendiquait ouvertement, Henze est de la génération des années vingt qui reste dans l’histoire de la musique sous le label « Ecole de Darmstadt » à l’égard de laquelle il a rapidement pris ses distances. N’appartenant à aucune école, Henze s’appréciait lui-même comme un touche-à-tout particulièrement prolifique, s’épanchant sur tous les domaines qui l’inspiraient. « Je suis allé à Darmstadt trois fois dans ma vie, comme étudiant puis comme professeur, se souvenait-il lorsque je le rencontrais, en janvier 2003. Et j’ai compris que nous étions en train de créer une école, un style dont l’ambition était de dominer le monde. J’ai trouvé cela frustrant, parce que, ayant souffert dans ma jeunesse de la dictature, j’aspirais à la liberté de pensée et à l’indépendance créatrice. J’ai donc ressenti le besoin de m’isoler et de trouver mon propre chemin loin du centre officiel de la musique. Ce fut difficile, parce que l’on avait décidé que j’étais “un traditore”, puisque j’avais “tradito la causa” ! Ce qui ne m’était pas très agréable, tant cela me faisait douter de mon travail, de la justification de ma recherche stylistique. On m’accusait aussi d’être “un ladro”... » 


Hans Werner Henze. Photo : DR


Quoique contesté, Henze est indubitablement le compositeur allemand le plus prolifique de sa génération. Ouvert à tous les courants esthétiques, son langage polymorphe use avec constance de tous les modes d’écriture, mêlant expressivité postromantique, libre tonalité, sérialisme, folklore, jazz, musique populaire. Auteur entre autres de dix symphonies (il se refusait à une onzième), seize opéras (le dernier, Gisela!, date de 2010) et une dizaine de ballets, Henze s’intéressait aussi à la vie publique, au point de s’engager un temps aux côtés du Parti communiste - il a dédié son Requiem (sans parole) à la mémoire de Che Guevara, a enseigné, vécu et composé à Cuba -, de prendre une part active au mouvement de protestation étudiant de 1968, et de se consacrer à la pédagogie, enseignant plusieurs années dans les classes de composition du Mozarteum de Salzbourg et du Conservatoire de Cologne. Il a également créé en Italie la Cantiere Internazionale d’Arte à Montepulciano, fondation pour l’éducation artistique des jeunes défavorisés dont il a repris le concept en Allemagne, fondé le Festival de musique pour la jeunesse de Steiermark et la Biennale de Munich, festival dédié au théâtre musical depuis 1988, dont il a laissé les rennes à son confrère autrichien Peter Ruzicka.


Hans-Werner Henze. Photo : DR


Né le 5 juillet 1926 à Gütersloh (Westphalie), Hans-Werner Henze est l'aîné de six enfants. Tandis que son père professeur mourait sur le front de l’Est, il fut lui-même enrôlé de force dans l’armée allemande, après avoir fait ses classes de musicien comme chanteur dans un Chœur de Travailleurs, tout en étudiant au conservatoire de Braunschweig. Après la guerre, il est Répétiteur au Théâtre de Bielefelder, et se rend aux cours d’été de Darmstadt, où il côtoie entre autres Bruno Maderna, Luciano Berio, Pierre Boulez, Karlheinz Stockhausen. A Heidelberg, il est l’élève de Wolfgang Fortner, qui l’introduit aux techniques d'Igor Stravinski, Béla Bartók et Paul Hindemith, étudie la musique religieuse avec Josef Rufer et la technique dodécaphonique avec René Leibowitz. Dès 1947, il compose sa première symphonie, cinquante ans avant la neuvième qu’il écrira à la mémoire de son père sur des extraits du roman antifasciste Das siebte Kreuz d’Anna Seghers. En 1948, il est à Weimar, et, en 1953, il se rend en Italie, s’installant à Naples jusqu’en 1960, puis à Rome en 1978.

S’appuyant sur des textes de grande qualité (Auden, Bachmann, Cervantès, Dostoïevski, Gozzi, Kleist, Morante, Rimbaud, Shelley, Whitman...), ses mélodies, cantates, oratorios, ballets, opéras, symphonies, et autres pièces instrumentales se présentent comme une succession d’autoportraits. Parmi les multiples facettes du compositeur, se distingue un goût pour l’opéra italien qui l’incite notamment à orchestrer en 1985 Le retour d'Ulysse dans sa patrie de Claudio Monteverdi. « Peut-être se trouve-t-il beaucoup d’italianita dans mon travail, mais je ne sais pas pourquoi, constatait-il. Un grand peintre français, Jean-Baptiste Corot, a passé sa vie à Rome à cause de la lumière. Il se peut que celle-ci ait aussi une grande signification pour moi. J’habite la campagne, dans les superbes Castelli romani, au sud de Rome. Sitôt que je me retrouve en Allemagne, il me faut à tout prix savoir quand part le prochain avion pour la ville éternelle. Mais si je n’aime pas ma terre natale, j’aime sa musique ! La littérature allemande m’est tout aussi vitale. Ce n’est pas un hasard si les créateurs les plus importants du concept moderne de liberté sont des Allemands. Peut-être que, comme il pleut presque toujours en Allemagne, nous avons beaucoup de temps pour penser, imaginer une vie autre. »

Bruno Serrou

La majeure partie de l’œuvre de Hans-Werner Henze est enregistrée, mais les disques sont peu diffusés en France. Ainsi, la série (symphonies, opéras, ballets) publiée en 2001 par DGG n’est-elle disponible qu’à l’étranger. En revanche, Wergo (distribution Harmonia Mundi) propose entre autres ses pièces pour guitare et celles pour piano, ses cinq quatuors à cordes, son opéra La chatte anglaise, et le vaudeville La Cubana. L’Upupa est disponible en DVD chez EuroArts (Matthias Goerne, Laura Alkin, Alfred Muff, Hanna Schwarz, dans la production du Festival de Salzbourg 2003). Les partitions sont chez Schott Music.


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