Hans Werner Henze. Photo : DR
Compositeur
allemand dont le nom était plus connu en France que l'œuvre, souvent vilipendée
par ses anciens compagnons de route de l’avant-garde, installé en Italie depuis
plus d’un quart de siècle, Hans Werner Henze est mort à Dresde ce samedi 27
octobre 2012.
A l’exception
de deux de ses seize opéras, Boulevard solitude donné au Théâtre
du Châtelet en 1981, et Le Prince de Hombourg présenté à Paris en concert dès 1960 mais porté à la scène qu'en 1997, à
Toulouse, il a fallu attendre 2004-2005 pour voir et entendre en France trois autres de ses ouvrages scéniques, l’Upupa ou le
triomphe de l’amour filial à l’Opéra de Lyon, les Bessarides et Pollicino
au Théâtre du Châtelet, ainsi
que quelques pages instrumentales dans le cadre du Festival Présences de Radio France 2003. Seul le cinéma a porté son œuvre en France,
avec les bandes son des films Muriel et l’Amour à mort d’Alain
Resnais, ou de L'honneur perdu de Katarina Blum de Volker Schlöndorff. Compositeur éclectique et
qui le revendiquait ouvertement, Henze est de la génération des années vingt
qui reste dans l’histoire de la musique sous le label « Ecole de Darmstadt »
à l’égard de laquelle il a rapidement pris ses distances. N’appartenant à aucune école, Henze s’appréciait lui-même
comme un touche-à-tout particulièrement prolifique, s’épanchant sur tous les
domaines qui l’inspiraient. « Je suis allé à Darmstadt trois fois dans
ma vie, comme étudiant puis comme professeur, se souvenait-il lorsque je le rencontrais, en janvier 2003. Et j’ai compris que nous étions
en train de créer une école, un style dont l’ambition était de dominer le
monde. J’ai trouvé cela frustrant, parce que, ayant souffert dans ma jeunesse
de la dictature, j’aspirais à la liberté de pensée et à l’indépendance créatrice.
J’ai donc ressenti le besoin de m’isoler et de trouver mon propre chemin loin
du centre officiel de la musique. Ce fut difficile, parce que l’on avait décidé
que j’étais “un traditore”, puisque j’avais “tradito la causa” ! Ce qui ne
m’était pas très agréable, tant cela me faisait douter de mon travail, de la
justification de ma recherche stylistique. On m’accusait aussi d’être “un ladro”... »
Hans Werner Henze. Photo : DR
Quoique contesté, Henze est indubitablement le
compositeur allemand le plus prolifique de sa génération. Ouvert à tous les
courants esthétiques, son langage polymorphe use avec constance de tous les modes d’écriture,
mêlant expressivité postromantique, libre tonalité, sérialisme, folklore, jazz,
musique populaire. Auteur entre autres de dix symphonies (il se refusait à une
onzième), seize opéras (le dernier, Gisela!,
date de 2010) et une dizaine de ballets,
Henze s’intéressait aussi à la vie publique, au point de s’engager un temps aux
côtés du Parti communiste - il a dédié son Requiem (sans parole) à la mémoire
de Che Guevara, a enseigné, vécu et composé à Cuba -, de prendre une part
active au mouvement de protestation étudiant de 1968, et de se consacrer à la pédagogie,
enseignant plusieurs années dans les classes de composition du Mozarteum de
Salzbourg et du Conservatoire de Cologne. Il a également créé en Italie la
Cantiere Internazionale d’Arte à Montepulciano, fondation pour l’éducation
artistique des jeunes défavorisés dont il a repris le concept en Allemagne,
fondé le Festival de musique pour la jeunesse de Steiermark et la Biennale de
Munich, festival dédié au théâtre musical depuis 1988, dont il a laissé les
rennes à son confrère autrichien Peter Ruzicka.
Hans-Werner Henze. Photo : DR
Né le 5 juillet 1926 à Gütersloh (Westphalie), Hans-Werner Henze est l'aîné de six enfants. Tandis que son père professeur mourait sur le front de
l’Est, il fut lui-même enrôlé de force dans l’armée allemande,
après avoir fait ses classes de musicien comme chanteur dans un Chœur de
Travailleurs, tout en étudiant au conservatoire de Braunschweig. Après la
guerre, il est Répétiteur au Théâtre de Bielefelder, et se rend aux cours d’été
de Darmstadt, où il côtoie entre autres Bruno Maderna, Luciano Berio, Pierre Boulez, Karlheinz
Stockhausen. A Heidelberg, il est l’élève de Wolfgang Fortner,
qui l’introduit aux techniques d'Igor Stravinski, Béla Bartók et Paul Hindemith, étudie la
musique religieuse avec Josef Rufer et la technique dodécaphonique avec René
Leibowitz. Dès 1947, il compose sa première symphonie, cinquante ans avant la
neuvième qu’il écrira à la mémoire de son père sur des extraits du roman
antifasciste Das siebte Kreuz d’Anna Seghers. En 1948, il est à Weimar, et, en
1953, il se rend en Italie, s’installant à Naples jusqu’en 1960, puis à Rome en
1978.
S’appuyant
sur des textes de grande qualité (Auden, Bachmann, Cervantès, Dostoïevski, Gozzi,
Kleist, Morante, Rimbaud, Shelley, Whitman...), ses mélodies, cantates,
oratorios, ballets, opéras, symphonies, et autres pièces instrumentales se présentent
comme une succession d’autoportraits. Parmi les multiples facettes du compositeur, se
distingue un goût pour l’opéra italien qui l’incite notamment à orchestrer en
1985 Le retour d'Ulysse dans sa patrie de Claudio Monteverdi. « Peut-être
se trouve-t-il beaucoup d’italianita
dans mon travail, mais je ne sais pas pourquoi, constatait-il. Un grand peintre
français, Jean-Baptiste Corot, a passé sa vie à Rome à cause de la lumière. Il se peut que
celle-ci ait aussi une grande signification pour moi. J’habite la campagne, dans les superbes Castelli romani, au sud de Rome. Sitôt que je me
retrouve en Allemagne, il me faut à tout prix savoir quand part le prochain
avion pour la ville éternelle. Mais si je n’aime pas ma terre natale, j’aime sa
musique ! La littérature allemande m’est tout aussi vitale. Ce n’est pas
un hasard si les créateurs les plus importants du concept moderne de liberté
sont des Allemands. Peut-être que, comme il pleut presque toujours en Allemagne, nous avons
beaucoup de temps pour penser, imaginer une vie autre. »
Bruno Serrou
La majeure
partie de l’œuvre de Hans-Werner Henze est enregistrée, mais les disques sont peu diffusés
en France. Ainsi, la série (symphonies, opéras, ballets) publiée en 2001 par
DGG n’est-elle disponible qu’à l’étranger. En revanche, Wergo (distribution Harmonia Mundi)
propose entre autres ses pièces pour guitare et celles pour piano, ses cinq
quatuors à cordes, son opéra La chatte anglaise, et le vaudeville La
Cubana. L’Upupa est disponible en DVD chez EuroArts (Matthias Goerne, Laura
Alkin, Alfred Muff, Hanna Schwarz, dans la production du Festival de Salzbourg
2003). Les partitions sont chez Schott Music.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire