C’est avec cette production du Rake’s Progress d’Igor Stravinsky reprise
hier au Palais Garnier qu’Olivier Py a fait ses début à l’Opéra de Paris en
février 2008. Et c’est avec plaisir qu’on la retrouve au même endroit tant elle
s’avère comme un bol d’air frais dans la grisaille des productions présentées
depuis trois ans par la première scène lyrique de France.
Lorsque Gérard Mortier appela la
star de la mise en scène lyrique ques Olivier Py depuis que l’Opéra de Nancy
lui a confié en 1999 le Freischütz de Weber, il s’agissait en fait d’une
invitation par défaut, puisque, à l’origine, était prévu à l’affiche Luc Bondy
- que Py allait rencontrer sur sa route lorsque le ministre-paillettes Frédéric
Mitterrand par un coup de force nommait son talentueux confrère à sa place à la
tête du Théâtre de l’Odéon -, jusqu’à ce que le dramaturge suisse déclare
forfait pour « raison de santé ». Comédien flamboyant, auteur
prolifique, metteur en scène de théâtre ne craignant pas les œuvres au long
cour, réalisateur de films, directeur de théâtre désormais directeur désigné du
Festival d’Avignon, philosophe et théologien, Py a fondé sa propre compagnie à
vingt-trois ans, en 1988, où il assurait la mise en scène de ses propres textes
ainsi que de ceux de Jean-Luc Lagarce. A l’opéra, après le Freischütz,
il a mis en scène les Contes d’Hoffmann, la Damnation de Faust, Tristan
und Isolde, Tannhäuser et Lulu à
Genève, Curlew River à Edimbourg, Pelléas et Mélisande à Moscou, Idomeneo au Festival d’Aix-en-Provence, Roméo et Juliette à Amsterdam, Hamlet à Vienne, les Huguenots à Bruxelles, Carmen
à l’Opéra de Lyon (voir plus bas dans ce blog) où il participe cette saison à
la création du premier opéra de Thierry Escaich, Claude.
Hogarth, The Rake's Progress, Orgie
Avatar de la période tardive du
néo-classicisme stravinskien dont il est la somme, The Rake’s Progress,
qui a été créé en septembre 1951 à Venise, s’inspire de tableaux de William Hogarth
(1697-1764), peintre du XVIIIe siècle anglais, racontant la
déchéance de Tom Rakewell, jeune héritier qui, après avoir dilapidé sa fortune
au jeu et dans les plaisirs, finit sa vie dans un hôpital psychiatrique. Avec
l’aide de Wystan Hugh Auden et de Chester Kallman, le compositeur a lui-même
conçu le livret, ajoutant le personnage de Nick Shadow, incarnation du Diable,
ce qui rattache évidemment l’œuvre au mythe de Faust. Tout en restant lui-même,
Stravinski se réapproprie l’histoire de la musique depuis le madrigal dans un
langage coloré et précieux, et l’on y retrouve surtout Mozart, de l’aria à la morale qui commente l’action
tirée à la toute fin de l’œuvre en passant par les ensembles, tandis que le
compositeur russe rend hommage à l’opéra du xixe siècle par les
grands chœurs qui participent activement à l’action.
Ce libertin ne pouvait qu’exciter
la verve baroque de Py, d’une efficacité et d’une justesse redoutable, à qui l’on
peut certes reprocher d’en faire beaucoup, au risque de prendre parfois l’ascendant
sur la musique, mais ce foisonnement témoigne de son imagination débordante.
Ainsi ce Rake’s Progress réunit-il
tout ce qui fait la spécificité de Py, autant ses marottes que son génie. De la
commedia dell’arte avec personnages improbables, jongleurs, girls plus
ou moins déshabillées, magiciens parfois difformes, suscitant des impressions
de cabaret et de cirque avec d’innombrables saltimbanques hantant l’espace de
jeu, tandis que des hommes nus masqués ou non se coursent dans les échafaudages
poussés par des machinistes, tous les fantasmes du metteur en scène étant représentés
de façon plus soft qu’en 2008. Ce qui
n’empêche pas un public chic et prude de protester discrètement avant de finir
par partir au second entracte. Le tout se déploit dans des décors légers et
mouvants de Pierre-André Weitz remarquablement éclairés par Bertrand Killy dans
lesquels on retrouve le lit blanc qui hante tous les spectacles de Py.
Finalement, il émane de cette orgie incroyablement signifiante où tout est réglé
au millimètre un sentiment de tristesse et de tendre humanité.
Animée par une magistrale
direction d’acteur, la distribution, entièrement renouvelée depuis 2008, est
excellente et confère à la production une totale homogénéité. Comédien fébrile
et charmeur, le jeune ténor Charles Castronovo a la voix de velours de Tom
Rakewell, mais les aigus ne sont pas toujours nets. A ses côtés, de sa voix de
stentor pleine et charnue qui le conduit parfois à écraser ses partenaires mais
qui se fond fort bien aux ensembles, Gidon Saks, lui aussi acteur remarquable,
campe un Nick Shadow terriblement tentateur et conquérant. Face à ce duo, Ekaterina
Siurina, qui a besoin du premier acte entier pour trouver sa plénitude vocale,
est une touchante Anne Trulove, tandis que Jane Henschel est une
Baba-la-Turque acrobate et Scott Wilde un Trulove un peu effacé. Sous
l’impulsion de Py, le Chœur de l’Opéra de Paris fait mieux que de participer à
l’action, devenant véritable acteur, chacun des protagonistes semblant jouer
son propre rôle tout en fusionnant à l’ensemble. Dans la fosse, Jeffrey Tate
succède à Edward Gardner pour donner à la partition davantage de punch et de
motricité, le chef britannique s’avérant en phase avec la pensée de Stravinski
en se faisant distancié mais sans excès, évitant toute velléité de romantisme pour
ne pas sombrer dans la mièvrerie que peuvent engendrer les plaintes d’Ann
Trulove, le compositeur étant loin de tout sentimentalisme et respectant la légèreté
du siècle des Lumières. L’orchestre de l’Opéra de Paris est vaillant et précis,
tant dans la rythmique que dans le jeu.
Bruno Serrou
Photos : DR - (c) Opéra national de Paris
Petite coquille : Ursula Hesse von den Steinen chante Mother Goose. C'est Jane Henschel qui incarne Baba the Turk.
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