Paris, Théâtre des Bouffes du Nord, lundi 22 octobre 2012
Henri Barda. Photo : DR
Ce n’est pas tous les jours que l’on
prend plaisir à la découverte. Hier soir, aux Bouffes du Nord, c’est ce qui attendait le
public de la série « Maestro & Friends » d'Aurélie Moron. Et découvrir a été d’autant plus agréable qu’il s’est
agi d’un coup double.
Un grand pianiste méconnu tout d’abord,
qui a pour nom Henri Barda. Né au Caire voilà 71 ans, cet élève du pianiste
polonais Ignaz Tiegerman a fait sensation hier, comme il l’avait fait dans les années 1970 lors de
la parution de ses sonates de Chopin publiées chez Calliope. Depuis lors, l’on n’avait
plus guère eu l’occasion d’entendre parler de cet artiste, si ce n’est par son
travail avec le compositeur Olivier Greif, décédé en 2000. A 16 ans, à
la suite de la nationalisation du canal de Suez et de la guerre qui s’ensuivit,
la famille, contrainte l’exil, se rend à Paris où l'adolescent poursuit ses études au
Conservatoire et prend des cours privés avec Lazare Lévy. Puis, grâce à une
bourse, il part pour New York, où il poursuit ses études à la Juilliard School.
De retour à Paris, il enseigne à son tour au conservatoire de Villeneuve-Saint-Georges,
puis, pendant douze ans, au Conservatoire de Paris, enfin à l’Ecole normale de
Musique. « Je crois à l’idée d’atelier, dit-il dans le programme de salle
du concert d’hier. Comme chez les peintres ou les menuisiers, le maître n’est
qu’un étudiant de plus. » Henri Barda a repris hier une partie du
programme qu’il a donné début septembre à Toulouse dans le cadre du Festival
Piano aux Jacobins, les Valses nobles et
sentimentales de Maurice Ravel, qui, sous ses doigts aériens courant l’air
de rien sur le clavier de son Yamaha d'un soir qu’ils effleurent à peine tout en exaltant des sons d’une
densité et d’une polychromie infinie, et la technique est si parfaite que tout devient
fluide et surnaturel, la musique coulant de source, ainsi que les Préludes op. 28 de Frédéric Chopin, dont
il est de toute évidence l’un des interprètes les plus inspirés et flamboyants.
Cet extraordinaire musicien a offert de ces pages une interprétation
saisissante de beauté et de profondeur, donnant à l’ensemble la force d’un
véritable cycle, en prenant l’auditeur par la main pour ne plus le lâcher jusqu’à
la fin du voyage tout en laissant son imaginaire se déployer librement à la
découverte des multiples paysages dépeint à chaque escale que représente chacun
des vingt-quatre préludes.
HJ Lim. Photo : DR
Seconde révélation, l’une des élèves
préférées de Barda, la pianiste coréenne Hyun-jung Lim, qui vient de publier
chez EMI un coffret de sonates de Beethoven. A 23 ans, elle apparaît de toute
évidence comme l’une des pianistes les plus remarquables de sa génération.
Arrivée en France voilà onze ans, elle est devenue l’élève de Barda en 2003 au
Conservatoire de Paris. Mais c’est avec Alexandre Rabinovitch-Barakovsky qu’elle
s’est produite hier dans deux œuvres pour deux pianos, elle-même tenant le
premier, tant dans la Sonate en ré majeur
KV. 448 de Mozart, dans une interprétation ensoleillée et poétique, que dans
La Valse de Ravel, brillante et
fébrile, attestant d’une technique infaillible et d’une musicalité lumineuse,
le tout porté par un sourire qui en dit long quant à son plaisir de jouer et de
partager ces instants de bonheur avec le public et avec son compagnon d’une
soirée, étonnamment resté froid devant le brio de sa partenaire du jour. Alexandre
Rabinovitch-Barakovsky s’est néanmoins montré à sa hauteur, jouant avec
humilité tout en se faisant très présent, au point de terminer épuisé La Valse.
Alexandre Rabinovitch-Barakovsky. Photo : DR
Auparavant, Rabinovitch a fait entendre
deux pages interminables de son cru, de fastidieuses Manas pour piano amplifié sans intérêt et asourdissantes, dont les
vingt-cinq minutes seraient sans doute plus vite passées si l’auditeur avait pu
s’asseoir en lotus et fumer un joint… Seul m’a maintenu quasi stoïque, m’empêchant
de partir bruyamment pour manifester mon mécontentement devant le piège qui m’avait
été tendu, la prestation en solo de HJ Lim dans deux trop courtes pages de
Scriabine, le premier des Poèmes op. 23,
d’une générosité étincelante, et le douzième des Etudes op. 8 dite « Pathétique »,
profonde et chaleureuse.
Bruno
Serrou
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