Paris, Amphithéâtre de l’Opéra national de Paris Bastille, vendredi 5
octobre 2012
Corniste de formation, né à Copenhague en 1952,
Hans Abrahamsen a étudié la composition avec Per Nørgård à l’Académie royale de musique du Danemark où il
enseigne depuis 1995, puis de György Ligeti. En 1978, il a fondé avec d’autres
étudiants de l’Académie le Groupe de musique parallèle, en réaction à l’attitude
conservatrice de l’institution. En 1972, il compose une Symphonie en Do qui déploie
simple mélodie de trois notes répétées puis développées dans l’esprit de la
« nouvelle simplicité » à laquelle adhèrent alors de nombreux compositeurs
danois. Hans Abrahamsen s’impose rapidement en Europe avec des œuvres qui
superposent à la « nouvelle simplicité » et « nouvelle
objectivité », polyrythmie et polyphonie, ce qui lui permet d’élaborer des
partitions plus insolites et complexes que précédemment. Dans les années
1970-1980, il collabore étroitement avec le London Sinfonietta. C’est à cette
époque qu’il commence à revendiquer une totale liberté d’expression à l’intérieur
de structures strictes, cherchant ainsi à allier forme et imaginaire.
C’est avec une œuvre de cette période que l’Ensemble
Recherche a ouvert le concert du Festival d’Automne à Paris, Winternacht (Nuit d’hiver). Le climat de cette partition pour flûte, clarinette,
percussion, piano, guitare, violon et violoncelle conçue en 1976-1978 et
révisée en 1987 n’est pas sans évoquer celui du Winterreise de Schubert, l’orchestration et le rendu sonore
rappelant ceux du remarquable arrangement pour ensemble instrumental du sublime
cycle de lieder de Schubert réalisé par Hans Zender. Les quatre parties de l’œuvre
s’appuient d’ailleurs sur des poèmes du grand poète autrichien Georg Trakl qui
servent de soubassement à un récit exprimé par les seuls instruments.
A l’instar de son maître György Ligeti, Hans Abrahamsen
a dédié au piano une série de dix Etudes
composées entre 1983 et 1998 qu’il a regroupées par nombre décroissant tout en
isolant la dernière. Membre de Recherche, Jean-Pierre Collot a donné des huit Etudes qu’il a sélectionnées une
interprétation poétique et lumineuse, qui a préludé au plat de résistance du
jour…
… La première française de Schnee (Neige). Cette
grande partition d’une heure est un hommage à Jean-Sébastien Bach pour neuf
instruments qui se présente comme une sorte de Ludus tonalis du minimalisme. L’œuvre commence
sur des susurrements d’une extrême délicatesse, des
sons pulsants, granuleux et à la limite de l’audible, régulièrement et méthodiquement articulés
par les instruments à cordes (violon, alto et violoncelle). Au-dessus
de cette assise qui instaure un climat de mystère, un doux murmure
mélodique du piano dans le haut de son registre, zone où le son des marteaux est presque aussi présent que celui des notes. Quoiqu’austère, la
combinaison instrumentale et musicale ne cesse de surprendre. Ce geste insolite et vibrant ne semble pas émaner des règles strictes de l’écriture canonique.
Pourtant, la partition, dont le premier thème est déduit
de celui de l’Art de la fugue de
Bach, est élaborée en cinq couples de
canons dont le déploiement est ponctué
par trois brefs Intermezzi au cours desquels les instruments se
désaccordent. La seconde de chaque paire
canonique est en fait une version alternative de la première.
Les changements les plus notables
se situent dans l’orchestration. L’œuvre
s’ouvre sur des dissonances de cordes (canon 1a) qui glissent vers des crissements
de morceaux de papier frottés
par le percussionniste-chef d’orchestre sur le bois de
trois tables (canon 1b). Décalé par
l’interaction rythmique du souffle des
instruments à vent ponctué par
les touches du piano dans le médium dont le timbre est bloqué par des enveloppes dans le canon 2a, le rebond va croissant en 2b lorsque le même matériau est joué par l’ensemble instrumental au
complet au sein duquel émerge un merveilleux
dialogue en répons des deux pianos placés face à face de chaque
côté du plateau.
Les doubles canons se font de plus en plus courts, les 1a et 1b étant les plus longs, avec neuf
minutes chacun, tandis que les derniers,
5a et 5b, ne font plus qu’une minute. A l’instar de Morton Feldman, Hans Abrahamsen
contraint à une concentration telle que
très rapidement chaque infime détail sonore est clairement perçu par l’auditeur. L’attention de ce dernier se doit en effet d’être maintenue d’entrée,
dès le long frottement à peine perceptible des cordes bientôt rejointes par le
bruissement du papier. La sécheresse de l’acoustique
de l’Amphithéâtre Bastille et l’éloignement des instruments depuis la rangée du
haut où je me trouvais, ont exacerbé l’impression de quiétude de cette musique
cantonnée le plus souvent dans les nuances ppp-mp - il faut attendre les canons 5a-5b, dits
« enfantins », pour atteindre mf-f. Cette sécheresse forme contraste avec
l’enregistrement que ce même Ensemble Recherche a fait de l’œuvre pour la WDR qui jouait sur la résonance. Mais
cette faible réverbération a incité le public à une écoute plus intense et
concentrée d’une musique qui le réclame impérativement. Il faut en effet s’accrocher pour goûter cette grande
page, mais une fois dedans, on se laisse volontiers porter par les atmosphères
certes répétitives mais si intelligemment menées que l’on ne peut qu’être
convaincu.
l'ensemble Recherche. Photo : (c) Ensemble Recherche - DR
C’est pourquoi l’on ne peut être que choqué par
les bruits parasites qui ont singulièrement perturbé l’écoute à l’Amphithéâtre
Bastille. A commencer par les écoulements de chasse d’eau en provenance des
coulisses tirées inélégamment par quelque personnel de l’Opéra de Paris, une
ventilation se mettant en marche à l’improviste, un voisin anglophone toussant
sans retenue à plusieurs reprises comme s’il était seul au monde, une spectatrice
mondaine à la logue chevelure boire s’en allant lourdement en faisant longuement
résonner ses hauts talons de bottes pour bien faire entendre son mécontentement...
Que le public est inélégant, désormais ! Même (et surtout ?) le plus snob
et prétentieux…
Bruno Serrou
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire