Paris, Opéra national de Paris Bastille, Lundi 15 octobre 2012
Natalie Dessay (Marie)
Depuis sa création en 1840, la Fille du régiment de Gaetano
Donizetti (1797-1848) a été l’apanage de l’Opéra Comique, où l’ouvrage a été régulièrement représenté jusqu’en
1914, notamment le 14 juillet, avant de disparaître jusque dans les années 1970 pour être reprise en 1979 avec Mady Mesplé. Mais on se souvient surtout de la
production présentée en 1986 en ce même théâtre réunissant June Anderson,
Alfredo Kraus et Michel Trempon… Il était donc à craindre que le passage de
Favart au vaisseau Bastille desserve cette œuvre stéréotypée, où le compositeur
italien n’a pu retrouver ni la verve ni l’inspiration de Don Pasquale et de l’Elixir d’amour.
Natalie Dessay (Marie)
C’était sans compter sur la mise
en scène luxuriante de Laurent Pelly qui se déploie dans des décors parfaitement
adaptés aux vastes dimensions du plateau de Bastille et qui renvoie fort bien
les voix des protagonistes vers la salle. Créée en 2007 au Royal Opera House Covent
Garden de Londres, cette production aura fait le tour du monde avant d’arriver
à Paris. Nicolas Joël a eu raison de l’inviter, d’autant que Natalie Dessay est
particulièrement à l’aise dans le cocon que lui érige Pelly, avec qui elle aime
à travailler et sous la direction de qui elle a réalisé quelques-unes de ses prestations les plus réussies. Transposant
l’action des guerres napoléoniennes au temps du premier conflit mondial, traitant fort à propos l’œuvre au second
degré, voire au-delà, le directeur du Théâtre national de Toulouse Midi-Pyrénées
se moque de l’armée française bleue horizon (il fait
même appel à un char Renault FT-17), et de la bourgeoisie qui, fait étonnant le
soir de la première, est la même que celle que l’on côtoie habituellement au
Théâtre de Champs-Elysées et au Palais Garnier, et qui reste immuable depuis Louis
Philippe... Tant et si bien que le public hilare se riait en fait de
lui-même, plus ou moins conscient de se regarder dans un miroir.
Natalie Dessay (Marie), Juan Diego Florez (Tonio), Alessandro Corbelli (Sulpice)
Les chanteurs se régalent de
cette farce énorme, et se meuvent avec un naturel bon enfant dans l’espace et
dans la direction d’acteur de Pelly, pour se donner avec une liberté telle que le
chant se déploie avec un naturel incroyable. Ainsi, Juan Diego Florez peut-il
enchaîner les contre-uts avec une aisance si extraordinaire que l’on ne ressent
aucun effort ni excès de virtuosité, tandis que Natalie Dessay brûle les
planches, jouant de sa souplesse physique et de sa féline physionomie avec une
justesse et une générosité souveraines qui irradient la salle entière, suscitant
l’enthousiasme du public à qui elle fait oublier une voix qui n’a plus l’assurance
et l’ampleur d’antan, mais qui s’avère plus solide que dans ses dernières prestations
à l’Opéra de Paris.
Natalie Dessay (Marie)
Aux côtés de ce couple
exceptionnel, l’excellent sergent Sulpice d’Alessandro Corbelli, qui en fait
des tonnes sans pour autant forcer le trait, et l’on se plaît à retrouver Dame
Felicity Lott qui campe une extravagante Duchesse de Crackentorp, tandis que Doris
Lamprecht est une fantasque Marquise de Berkenfield. Le reste de la
distribution (Francis Dudziak, Robert Catania, Daejin Bang, Olivier Girard) brosse
d’attachants caractères. Homogène et coloré, se prenant au jeu de Pelly, le chœur
de l’opéra de Paris participe à l’action avec un plaisir évident, à l’instar de
l’orchestre dirigé avec allant par Marco Armiliato. Au total, une vraie partie
de plaisir, ce qui est trop rare à l’Opéra de Paris pour s’en priver, menée
avec entrain et esprit par une équipe de haut rang pour une œuvre de second
rayon. Mais l’occasion ne nous est-elle pas trop souvent donnée de voir et d’écouter
des partitions majeures confiées à des distributions de troisième ordre ?...
Bruno Serrou
Samedi 27 octobre 2012, Juan Diego Florez a bissé l'air "Ah mes amis!"
devant une salle en délire. Il s'agit du premier bis de l'histoire de
l'Opéra Bastille tiré d'un des airs les plus virtuoses dy répertoire
(avec 9 contre ut)
Photos : (c) DR - Opéra national de Paris
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