Paris, Théâtre de l’Athénée Louis Jouvet, vendredi 22 juin 2012
Noëmi Schindler (violon) et Laurent Cuniot (direction)
Composé en 1917 sur un texte de l’écrivain
suisse Charles Ferdinand Ramuz (1878-1947), pour trois acteurs et sept
instruments (deux de plus que Pierrot
lunaire qu’Arnold Schönberg composera cinq ans plus tard, et sans piano,
considérant que l’œuvre était prévue pour une longue tournée qui n’eut
finalement pas lieu pour cause d’épidémie de grippe espagnole), l’Histoire du soldat est l’une des pages les plus populaires d’Igor Stravinski
(1882-1971). Populaire à plus d’un titre : par son renom, mais aussi par
son contenu et ses influences littéraires et musicales, se fondant sur un conte
faussement innocent inspiré à la fois du Faust
de Goethe et d’un vieux conte russe, et sur une musique faussement populaire,
avec ses couleurs rustiques et ses rythmes aux atours de ragtime et de tango.
Contrairement à Pierrot lunaire, dont l’ensemble
instrumental doit être caché derrière un rideau selon les indication de
Schönberg, Stravinski entendait que les musiciens soient présents sur scène et
visibles du public, « combinés avec le théâtre et la narration, ces
éléments essentiels à la pièce, en étroite liaison, (devant) former un
tout », rappelait Stravinski, qui ajoutait que « dans notre pensée
(la sienne et celle de Ramuz), ces trois éléments tantôt se passent la parole
alternativement, tantôt se combinent en un ensemble ».
Cette histoire d’humble soldat violoneux
qui vend son âme au diable avec pour enjeu son instrument met naturellement en
relation directe musiciens et comédiens. Il suffit d’ajouter quelque figurant
et une ballerine pour en tirer une pièce de théâtre musical. Ce qu’a fait avec délicatesse
et beaucoup de goût le metteur en scène Jean-Christophe Saïs dans un spectacle présenté
la semaine dernière Théâtre de l’Athénée produit par l’ARCAL en coproduction
avec TM+, entre autres, et créé en janvier 2011 au Grand-Théâtre de Reims. Saïs
a demandé aux instrumentistes et au chef de participer à l’action. Tou se déplacent,
conversent, jouent la comédie, tout en jouant avec talent de leurs instruments,
singulièrement le chef, Laurent Cuniot, véritable Diabolus ex… musica du
spectacle, avec ses cheveux blancs hirsutes qui lui donnent l’allure d’un Léopold
Stokowski dans Fantasia de Walt
Disney. Outre cette remarquable performance d’acteur-chef d’orchestre, il
convient de saluer aussi celle des sept instrumentistes de l’ensemble TM+ qui
jouent par cœur une grande partie de la soirée une partition particulièrement
virtuose, de Noëmi Schindler au violon jusqu’à Claire Talibart à la percussion,
en passant par Laurène Durantel (contrebasse), Nicolas Fargeix (clarinette),
Yannick Mariller (basson), André Feydy (trompette) et Olivier Devaure
(trombone).
Raphaëlle Delaunay (la Princesse) et Mathieu Genet (le Soldat)
Poétiquement mis en lumière par
Jean Tartaroli, cosignataire de la scénographie avec Saïs, cette production de l’Histoire du soldat touche, émeut tout en suscitant le rire, donnant à regarder
autant qu’à écouter, liant intimement théâtre, danse et musique, chacun des
protagonistes participant à la réussite du spectacle de façon quasi organique.
Seule réserve qui perdure depuis sa première rémoise, l’exploitation trop
longue d’un portique de funambule sur lequel se déplace tout d’abord le soldat,
excellemment campé par Mathieu Genet, avant de pendre tristement jusqu’à la fin
de la représentation. Le comédien Serge Tranvouez n’est pas réduit à l’immobilité
et à la distanciation d’un narrateur, mais participe à l’action, à l’instar de
la danseuse Raphaëlle Delaunay, qui campe une féline apparition de la
Princesse. Ce spectacle sera repris la saison prochaine, notamment au Grand
Théâtre de Provence à Aix-en-Provence.
Bruno Serrou
Photos : DR
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