dimanche 3 juin 2012

Déception pour une création pourtant attendue de Johannes Maria Staud, Le Voyage, commande de l’IRCAM pour ManiFeste


Paris, Grande Salle du Centre Pompidou, Samedi 2 juin 2012
 Johannes Maria Staud - Photo : DR
A 37 ans, Johannes Maria Staud n’avait jamais déçu. De fait, cet élève de Michael Jarrell, Hanspeter Kyburz, Dieter Kaufmann et Brian Ferneyhough est le compositeur autrichien le plus remarquable, aux côtés de ses aînés Friedrich Cehra et Olga Neuwirth. Depuis Dichotomie pour quatuor à cordes en 1998 jusqu’à Contrebande pour grand orchestre créé en 2010 salle Pleyel par l’Ensemble Modern, et Maniai pour l’Orchestre Symphonique de la Radio Vavaroise en 2011, fruits de commandes émanant d’orchestres comme ceux de Cleveland, où il a été deux ans en résidence, Philharmonique de Vienne et Staatskapelle de Dresde, d’ensembles tels Klangforum, Intercontemporain et Kontrapunkte, du Quatuor Arditti, du Festival de Salzbourg, de la Biennale de Munich (l’opéra Berenice d’après Poe en 2004), chacune de ses 44 œuvres à ce jour sont autant de jalons dans la création d’un artiste à l’immense talent.
C’est pourquoi il était beaucoup attendu de sa nouvelle partition créée hier dans la Grande Salle du Centre Pompidou. Pour son troisième monodrame après Die Ebene (La Plaine) conçu en 1997 sur un texte de Hans Arp et Der Riß durch den Tag (La fissure du jour) écrit pour Bruno Ganz sur un livret de Durs Grünbein en 2011, Johannes Maria Staud a porté son dévolu sur des vers français de Charles Baudelaire, le 126e et plus long des poèmes des Fleurs du Mal, Le Voyage dédié à Maxime Du Camp paru le 10 avril 1859 dans la Revue française et dont les huit parties concluent la section La Mort. C’est à l’IRCAM, où il a passé deux mois, que Staud a réalisé pour cette œuvre d’une demi-heure la partie électronique en temps réel réalisée par Robin Meier. Une électronique qui intervient quasi seule en quatre moments cruciaux de l’œuvre qu’elle ponctue comme autant d’interludes, prélude et postlude. Le dispositif scénique répartit les interprètes en trois points du plateau, six chanteurs (deux sopranos, alto, ténor, deux barytons-basses) côté jardin, quatre instrumentistes (percussion, trompette, accordéon, violoncelle) côté cour, et récitant au centre qui alterne position assise, devant une table, et debout, devant un pupitre. La voix de ce dernier est tour à tour artificielle, pour les effets de lointain ou d’introspection, amplifiée et naturelle. La partie électronique est malheureusement sans véritable intérêt musical, ne livrant aucun élément nouveau ni traitement insolite que l’on espérait pourtant de la part d’un musicien de l’envergure de Staud, tandis que l’audition a été perturbée pendant plusieurs minutes peu après le début de l’exécution de l’œuvre par un haut-parleur récalcitrant qui a pris un malin plaisir à faire de la friture. La partie vocale n’est pas plus inventive, l’ensemble vocal Les Cris de Paris étant sous-employés par un chant cantonné à un registre médian et monochrome. Seule la partie instrumentale s’est imposée par des éclairs d’alliages de timbres et de techniques de jeu qui ont permis de retrouver le Staud que l’on aime. Les interprètes réunis pour cette création sous la direction de Geoffroy Jourdain, Les Cris de Paris (Amandine Trenc, Adèle Carlier, Marie-Paule Bonnemason, Stephan Olry, Jean-Michel Durang et Paul-Alexandre Dubois) et les instrumentistes (Gilles Durot, Laurent Bômont, Anthony Millet et Eric-Maria Couturier) se sont avérés excellents, même si le récitant, l’acteur Marcel Bozonnet, a dit son texte de façon monocorde et trop en force. 
 Marta Gentilucci - Photo : DR
Autre œuvre née à l’IRCAM, Da una crepa (D’une fissure) de Marta Gentilucci. Aînée d’un an de Johannes-Maria Staud, la compositrice italienne a une tête bien plaine : Master en littérature anglaise et allemande en poche, elle a étudié la composition au conservatoire de Florence, avant de s’installer en  2004 à Stuttgart pour suivre les cours de composition de Marco Stroppa à la Musikhochschule, et de se rendre en 2008 à Vienne où elle étudie la composition avec Chaya Czernowin tout en poursuivant son Master de composition et de musique informatique avec Marco Stroppa à Stuttgart jusqu’en 2010. Elle participe en 2009-2010 au Cursus 1 de composition et d’informatique musicale de l’IRCAM, avant d’intégrer le Cursus 2 en 2011. Depuis 2010, elle travaille sur un Doctorat de composition à l’Université de Harvard aux Etats-Unis… Pourtant, à l’écoute de cette partition d’un quart d’heure pour soprano solo (excellente Amandine Trenc), ensemble à cinq voix (soprano, alto, ténor, 2 barytons-basses), clarinette, percussion, violoncelle et électronique en temps réel réalisée dans le cadre du Cursus 2 de l’IRCAM, l’on reste dubitatif quant à la personnalité réelle de cette musicienne de toute évidence encore en quête d’elle-même. 
 Jonathan Harvey - Photo : DR
Entre les deux partitions conçues à l’IRCAM, un moment de grâce pure : les quatre miniatures pour violoncelle seul et sans électronique de Jonathan Harvey (né en 1939) composées en 1989 (Three Sketches) et 1992-1994 (Chant). Quatre pièces qui nécessitent une scordatura (accord différent de l’accord classique d’un instrument à cordes) et dans lesquelles l’interprète semble continuellement improviser. D’où une formidable impression de liberté, de nécessité vitale, une virtuosité naturelle extraordinaire, une beauté mélodique et sonore assumée, une expressivité qui va jusqu’à la spiritualité la plus intense. Un moment de bonheur parfait somptueusement dispensé par Eric-Maria Couturier, membre de l’Ensemble Intercontemporain et de l’octuor Les violoncelles français.
Bruno Serrou

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