Ve Annecy Classic Festival, Annecy, Musée-Château, samedi 23
août 2014
Annecy Classic Festival, Roger Muraro célèbre la mémoire d'Eliane Richepin Château-Musée d'Annecy. Photo : (c) Yannick Perrin
Le Ve Annecy Classic
Festival tourne ce week-end à plein régime. Deux concerts samedi, auxquels il
convient d’ajouter la prestation de l’harmonie de l’Orchestre de l’Académie qui
s’est produite en milieu d’après-midi en plein centre-ville, place de l’église
Notre-Dame-de-Liesse, attirant passants et touristes qui se sont longuement
arrêtés pour l’écouter et la photographier.
Annecy Classic Festival, concert dans les rues d'Annecy de l'harmonie de l'Académie. Photo : (c) Bruno Serrou
Mais les concerts de cette cinquième
journée du festival étaient entièrement voués au piano. Après un rendez-vous à
midi que j’ai raté en raison d’un voyage retour en train depuis La
Côte-Saint-André auquel j’aurais pourtant souhaité assister puisqu’il s’agissait
d’un programme réunissant les sœurs pianistes Lidija et Sanja Bizjak, le
pensionnaire de la Comédie-Française Didier Sandre en récitant et l’Orchestre
des Pays-de-Savoie dirigés par Nicolas Chalvin, ces deux derniers moins de
quarante-huit heures après leur prestation au Festival Berlioz (http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/08/devant-une-foule-des-grands-jours-la.html),
il n’était pas question de manquer le récital que Roger Muraro a donné dans la
salle mythique du Château-Musée où Eliane Richepin (1910-1999) a organisé jusqu’en
1997 les concerts de son académie-festival qu’elle dénommait « Nuits du
Piano », qu’elle avait créé à Paris en 1978 avant de les transférer un an
plus tard à Annecy avec le Centre Musical International d’Annecy. C’est dans
cette même salle, entourée de ses élèves, que j’ai eu personnellement la chance
d’assister voilà déjà un quart de siècle à l’une de ces Nuits précédée de
master classes où j’ai eu la surprise de découvrir le violoncelliste Jérôme
Pernoo à qui la pianiste prodiguait ce jour-là des conseils d’un air sévère
tout en le recommandant au public qui assistait à ce qui avait plus ou moins le
tour d’une master classe. Parmi ses nombreux élèves, au même titre que Pascal
Escande, président de l’Annecy Classic Festival (1) où il pérennise avec succès
l’esprit de son maître et directeur-fondateur du Festival d’Auvers-sur-Oise, Roger
Muraro, disciple d’Yvonne Loriod (1924-2010) et l’un des légataires de l’héritage
pianistique d’Olivier Messiaen (1908-1992). C’est d’ailleurs avec l’un des référents
de ce dernier, Franz Liszt (1811-1886), que le grand pianiste français a rendu
hommage à Eliane Richepin, et non pas avec Frédéric Chopin, Claude Debussy ou
Maurice Ravel, dont la pianiste était une remarquable interprète.
Eliane Richepin (1910-1999). Photo : (c) Annecy Classic Festival
Il faut néanmoins reconnaître que
Liszt sied particulièrement au jeu puissant mais clair, aux doigts déliés et à
la main amplement déployée de Roger Muraro, dont la longue silhouette est plus
filiforme que jamais. C’est sur la Fantaisie
et fugue sur le nom BACH S. 260 que Muraro a ouvert son récital Liszt, sur
un grand-queue Yamaha dont les sonorités profondes, grondantes et réverbérantes
ont permis au pianiste de retrouver l’idée initiale du compositeur hongrois qui
avait dédié tout d’abord ces pages à l’orgue avant de les transposer au piano,
un halo sonore plus ou moins opaque émergeant du coffre de l’instrument pour
envelopper la salle entière. Muraro a ensuite enchaîné deux paraphrases de
Liszt d’œuvres de Richard Wagner (1813-1883), la première sur le Chœur des
fileuses du deuxième acte du Vaisseau
fantôme, la seconde sur l'Immolation d’Isolde (Isoldes Liebestod) de Tristan und Isolde que le pianiste a
interprétées avec gourmandise, partageant avec le public son plaisir de jouer sourire
aux lèvres et yeux pétillants et ne pouvant réfréner son chant intérieur qui
sortait clairement de ses lèvres. Pour conclure la première partie de son
récital, Muraro a proposé deux des dix-neuf Rhapsodies
hongroises, la dixième en mi majeur S.
244/10 dédiée à Béni Egressy et la quinzième en la mineur S. 244/15
sous-titrée La Marche de Rákóczi. L’éblouissante technique du pianiste a fait des merveilles dans ces
pages de virtuosité qui, sous ses doigts de mage volant au-dessus du clavier
sans donner l’impression de le toucher - systématiquement placés à Annecy à
droite de la salle, les journalistes ne voient jamais les mains des pianistes
courir sur les touches, et ne peuvent de ce fait que les imaginer en fonction
de la vélocités de leurs bras -, ont littéralement tétanisé le public, le
pianiste réussissant à faire oublier les sonorités floues et les couleurs mates
du piano.
Franz Liszt (1811-1886)
Un piano qui manque
de brillant et de clarté mais que Roger Muraro a réussi à transcender dans l’immense
Sonate en si mineur S. 178, véritable juge de paix des pianistes comme
des pianos. Composée à Weimar en 1852-1853, conçue en un seul tenant tel un
poème symphonique subdivisé en trois sections principales, dédiée à Robert
Schumann que d’aucuns opposent pourtant systématiquement à Liszt, créée en 1857
par Hans von Bülow, alors proche de Richard Wagner avant de s’en détourner après
que ce dernier lui eut subtilisé sa femme Cosima Liszt pour se rapprocher
de Johannes Brahms, cette gigantesque sonate née d’une seule cellule thématique
renouvelle totalement les structures et le fonds d’un genre pourtant cristallisé
depuis plus d’un siècle et que l’on pouvait croire achevée jusqu’alors avec la Sonate
op. 106 Hammerklavier de Beethoven, ce qui suscite à la fois une incroyable
superposition d’ombres (l’œuvre commence (sol) et se termine (si) dans les
profondeurs de l’instrument) et de lumières séraphiques associée à une extrême
difficulté d’exécution. Roger Muraro embrasse de ses bras interminables l’immensité
de cette œuvre hors normes, ses doigts magiques exaltant tendresse, luminosité
et puissance méphistophélique que le musicien alterne et fusionne tour à tour
avec autant de délicatesse que d’assurance, faisant fi de la matérialité d’un
piano trop terrien pour en sublimer de façon miraculeuse des sonorités
pénétrantes, au point que l’auditeur a l’impression d’un aigu finement ciselé
alors-même que la partie la plus haute du clavier a singulièrement manqué de
brillant. Dramatique et onirique, jouée en un seul souffle, l’approche de
Muraro se situe dans la tradition des grands lisztiens lyriques comme Claudio
Arrau et Martha Argerich, davantage que d’Alfred Brendel, plus intériorisée.
Comme s’il n’avait
pas tout dit dans ce sommet du piano qu’est la Sonate en si mineur de
Liszt, Roger Muraro a célébré la mémoire d’Eliane Richepin en jouant tout en
délicatesse un Prélude et fugue pour orgue de Bach transposé pour le
piano pour ses élèves par son maître, qui, n’ayant pas eu le temps d’achever
son arrangement, le confia à Muraro, qui l’a finalisé. Le pianiste a terminé
son récital sur un Nocturne op. posthume de Frédéric Chopin.
Ce concert est à écouter en streaming sur Medici-tv (www.medici.tv/#!/annecy-classic-festival) pendant les trois prochains mois.
Bruno Serrou
1) Pascal Escande a réalisé un CD
d’enregistrements publiés en 1973 et remasterisés pour l’occasion où l’on
retrouve Eliane Richepin dans les vingt-quatre Préludes op. 28, le Prélude
op. 45 et un Prélude posthume de Frédéric Chopin inclus dans le programme de salle du Ve Annecy Classic Festival.
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