Annecy, Annecy Classic Festival, église
Sainte-Bernadette, lundi 18 août 2014
Nocturne sur Annecy, veille d'ouverture de l'Annecy Classic Festival. Photo : (c) Bruno Serrou
Lundi
18 août. Dès sept heures du matin, l’église Sainte-Bernadette, qui fait face au
lac d’Annecy, est en effervescence. La veille au soir, sitôt le dernier office
dominical terminé, les machinistes ont investi les lieux, pour déplacer l’autel afin d'installer à sa place un
vaste praticable en bois, une centaine de chaises et plus de soixante pupitres,
tandis qu’électriciens et techniciens du son disposaient et réglaient lumières
et micros. Moins de trois heures plus tard, les musiciens de l’Orchestre
Philharmonique de Saint-Pétersbourg ont fait leur apparition, avant de prendre
place pour la première répétition avec Zoltan Kocsis, le chef qui les dirige
dans les deux premiers rendez-vous de l’Annecy Classic Festival. Une journée
entière de répétitions les attend. Non pas pour des services classiques, avec
coupures syndicales, mais pour dix heures de travail à peine interrompues par
une pause sandwich et de brefs intervalles de détente ou dus à des changements
de placements des effectifs instrumentaux. Le matin a été réservé aux pages d’orchestre,
l’après-midi aux œuvres avec solistes. Tout d’abord le second concerto et la Totentanz de Liszt, avec Denis Matsuev
jouant en bermuda blanc, polo beige et baskets, puis le concerto pour
violon de Brahms, avec Laurent Korcia, vêtu d'un camaïeu de bleu. Sur l’estrade du
chef, Zoltan Kocsis, décontracté et souriant, en tee-shirt blanc et jean's, file chaque œuvre
avant de décortiquer avec orchestre et soliste les passages qui lui paraissent
perfectibles, et discutant avec son soliste à qui il propose des solutions, particulièrement
à Matsuev, dont il connaît parfaitement l’instrument sur lequel il joue, bien
qu’il préfère « largement » les pianos Steinway aux Yamaha sur lequel
s’exprime Matsuev à Annecy. Zoltan Kocsis, malgré son état de santé qui l’a
conduit au seuil de la mort en 2012 à la suite de graves problèmes
cardiovasculaires, semble infatigable. D’autant plus qu’il est arrivé la veille
en voiture directement de Hongrie, et qu’il a veillé tard avec l’équipe du
festival, qui a déclaré forfait alors leur hôte paraissait encore en forme à
une heure avancée de la nuit…
Annecy, église Sainte-Bernadette : Denis Matsuev, directeur artistique de l'Annecy Classic Festival, répétant avec l'Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg. Photo : (c) Annecy Classic Festival
Ve Annecy Classic Festival
Héritier
de l’Académie internationale d’été créée en 1969 par la pianiste Eliane
Richepin, élève d’Alfred Cortot, Marguerite Long et Yves Nat qui en a confié la
destinée en 1998 à son disciple Pascal Escande, par ailleurs directeur-fondateur du
Festival d’Auvers-sur-Oise depuis 1981, l’Annecy Classic Festival prolonge le
mouvement impulsé par son inspiratrice en se faisant l’ardent défenseur des
jeunes générations de musiciens tout en accueillant les artistes les plus
réputés, français ou étrangers, avec une prépondérance russe.
Ce
qui peut s’expliquer par le fait que, depuis 2010, alors que sa survie était
suspendue à des difficultés financières, le festival annécien a déployé la
voilure grâce à l’intérêt que porte à la
cité lacustre un mécène russe passionné de musique, protecteur du pianiste
Denis Matsuev devenu l’« âme du festival », l’homme d’affaires Andreï
Cheglakov, et de sa fondation AVC Charity. Cet intérêt a suscité à son tour une
participation plus conséquente de la Ville d’Annecy et de son agglomération,
ainsi que du Conseil général de Haute-Savoie. Avec cette manne inespérée, la
voilure s’est amplement ouverte au point que l’audience du festival atteint désormais
une dimension d’envergure internationale, attirant les artistes les plus
réputés. Ce qui en fait un rendez-vous majeur de l’été musical français qui a
conquis plus de neuf mille spectateurs en dix jours en 2013. Cela grâce
notamment aux résidences d’orchestres parmi les plus prestigieux au monde
renouvelées tous les trois ans. Ainsi, depuis cinq ans, l’Orchestre Philharmonique
de Saint-Pétersbourg et son directeur musical Yuri Temirkanov fait les beaux
soirs de la fin d’été annecien. Le chef russe a confié sa glorieuse phalange pour
les deux premiers concerts du festival 2014 au grand pianiste chef d’orchestre
hongrois Zoltan Kocsis, avant de diriger lui-même les deux derniers concerts
2013.
Annecy, église Sainte-Bernadette : Zoltan Kocsis dirigeant une répétition de l'Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg. Photo : (c) Annecy Classic Festival
Zoltan Kocsis chef d’orchestre
« L’école
hongroise n’est plus ce qu’elle était voilà encore trente ans, se désolait
Zoltan Kocsis lorsque je le rencontrais à Budapest en 2009 pour le quotidien La Croix dans la perspective de master-classes
qu’il s’apprêtait à dispenser dans le cadre du Festival d’Auvers-sur-Oise. Les
institutions pédagogiques n’ont plus les ambitions d’antan, et je ne vois pas
comment nous allons nous en sortir. Il se trouve néanmoins d’excellents
musiciens, preuve en est nos orchestres, qui sont essentiellement constitués de
Hongrois. » Avec son ami Deszö Ranki, Zoltan Kocsis est le grand pianiste
hongrois de sa génération. Héritier
d’une école fondée par Franz Liszt qui a contribué à l’évolution du piano, avec
des musiciens comme Béla Bartók jusqu’à György Cziffra, Kocsis s’est rapidement
imposé non seulement comme un éminent interprète de la musique de ses
compatriotes mais aussi de Mozart, Beethoven,
Schubert, Chopin, Debussy et de la musique de son temps.
Poète,
secret, flamboyant, fougueux, Kocsis est l’une des personnalités les plus
singulières du monde de la musique. Pianiste, chef d’orchestre, chambriste, il
est aussi compositeur et arrangeur. Lorsqu’on le rencontre à Budapest, dans la
nouvelle Philharmonie sise sur la rive gauche du Danube à dix minutes du centre
de Budapest, Kocsis accueille son visiteur avec chaleur et lui parle sans
attendre du programme qu’il s’apprête à diriger à la tête de son orchestre, le
Budapest Festival Orchestra qu’il a fondé avec Ivan Fischer, s’assoit devant le
grand Steinway de son bureau et joue une réduction improvisée de l’œuvre
programmée. Le matin de notre rencontre, c’était Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss, sortant de son seul clavier
l’infinie diversité des timbres et des nuances de l’orchestre. Les quatre vingt
dix musiciens de Strauss étaient tous présents dans le coffre du grand-queue de
concert. Si bien que la répétition venue, le profane ne sentait presque pas de
différences.
Annecy, église Sainte-Bernadette : Zoltan Kocsis répétant avec Laurent Korcia. Photo : (c) Annecy Classic Festival
En
fait, depuis vingt-cinq ans, Zoltan Kocsis ne se contente pas du piano, qu’il
considère pourtant comme un orchestre à part entière. En 1983, il fondait avec
Ivan Fischer le Budapest Festival Orchestra dont il est l’un des directeurs
artistiques jusqu’en 1997. L’année suivante, il est nommé Directeur
musical de l’Orchestre Philharmonique
National de Hongrie, à la tête duquel il dirige un vaste répertoire, les
compositeurs hongrois, de Liszt, dont il orchestre des pages pour piano, à Peter
Eötvös et György Kurtag en passant par Bartók, dont il a gravé une nouvelle
intégrale discographique, Kodaly et György Ligeti, jusqu’aux écoles française,
particulièrement Debussy dont il a orchestré plusieurs pièces pour piano et des
mélodies, autrichienne, allemande et tchèque. A Annecy, en ce début de semaine,
c’est le chef d’orchestre Zoltan Kocsis que l’on retrouve dans deux programmes
en deux jours. Le premier, ce soir, avec en soliste le directeur artistique du
Annecy Classic Festival, le pianiste russe Denis Matsuev, dans un programme Liszt/
Dvořák, le second demain mercredi avec le violoniste français
Laurent Korcia dans le concerto de Brahms entouré d’une ouverture de Glinka et
de l’Héroïque de Beethoven.
L’édition 2014 de l’Annecy Classic Festival
L’Orchestre
Philharmonique de Saint-Pétersbourg retrouvera son directeur musical les trois
derniers jours de l’Annecy Classic Festival, du 27 au 29 août. Dans l’intervalle,
le festivalier pourra entendre le Messie de Haendel par le King’s Consort (21
août), précédé à midi par un récital des lauréats des Concours d’Astana, de
Kiev et Piano Campus de Pontoise, un concert Mozart/Janáček/Schumann par la pianiste Beatrice Rana et le Quatuor Zaïde (le
22 août), sui vi le lendemain de deux rendez-vous, l’un à midi avec l’Orchestre
des Pays de Savoie dirigé par Nicolas Chalvin avec le duo de pianistes Lidija et
Sanja Bizjia, le second est un récital du pianiste Roger Muraro dans des œuvres
de Wagner arrangées par Liszt. Le 24 août, Patrick Marco, qui dispense par
ailleurs des master-classes dans le cadre d’Annecy Classic, dirige la Maîtrise
de Paris et le Chœur d’Annecy Classic Festival dans des œuvres de Dubugnon et
Mozart. Le 25 août, le festival propose une Nuit du Piano qui réunit le
Britannique Benjamin Grosvenor, le Français David Fray, la Russe Anna Fedorova
et la Chinoise Li Siqian. Le flûtiste Clément Dufour, le pianiste Tristan
Pfaff, Denis Matsuev, l’Annecy Campus Orchestra et Fayçal Karoui sont à l’affiche
le 26 août. Le 27, Alexandre Knasiev sera à l’orgue de la cathédrale
Saint-Pierre d’Annecy dans les Variations Goldberg de Bach, avant le premier
concert du Philharmonique de Saint-Pétersbourg dirigé par Yuri Temirkanov avec
en solistes la soprano Lianna Haroutounian, la mezzo-soprano Géraldine Chauvet
et le ténor Aquiles Machado dans des airs d’opéras. Le 28 août, Temirkanov
dirige un programme russe (Chostakovitch/Moussorgski/Tchaïkovski), où l’on
retrouvera Alexandre Knasiev, cette fois au violoncelle, ainsi que l’excellente
pianiste chinoise Yuja Wang. Enfin, pour le concert de clôture, Denis Matsuev sera
le soliste du Concerto n° 1 pour piano et orchestre de Brahms avec l’Orchestre
Philharmonique de Saint-Pétersbourg et Yuri Temirkanov, qui dirigera également
Rossini et Elgar.
Télévision-Internet et CD
Le
renom international de l’Annecy Classic Festival est amplifiée par la présence
continue pendant toute la durée de la manifestation de Medici.tv, qui
retransmet onze concerts en direct qui seront disponibles chacun gratuitement
en streaming pendant trois mois suivant leur diffusion live (www.medici.tv/#!/annecy-classic-festival). A
noter également la parution du premier disque sous le label du festival
DiscAnnecY, qui est aussi le premier enregistrement solo de la jeune pianiste ukrainienne
Anna Fedorova.
Bruno Serrou
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