Festival Berlioz, Saint-Siméon-de-Bressieux
(Isère), Usine-pensionnat Girodon, jeudi 21 août 2014
Festival Berlioz de La Côte-Saint-André, Festival de l'Industrie 1844. Usine-pensionnat de Saint-Siméon-de-Bressieux. Photo : (c) Festival Berlioz
Le
facteur de piano new-yorkais d’origine allemande Heinrich Steinweg (1797-1871),
fondateur de la manufacture de pianos Steinway (« way » étant la
translation anglaise de l’allemand « Weg ») qui, après la fondation par
ses fils en 1880 de la filiale du vieux continent implantée à Hambourg,
allaient devenir les plus unanimement célébrés par les virtuoses du clavier et
les institutions musicales du monde, a tout fait pour convaincre Hector Berlioz
de se rendre en Amérique, lui offrant des ponts d’or et en lui promettant la
commande d’une œuvre concertante. Mais en vain. Ce qui peut étonner, quand il
s’agit d’un compositeur qui n’avait que peu de rapports avec le piano, qu’il ne
pratiquait guère, puisqu’il était guitariste… Mais s’il fallait pratiquer un
instrument pour composer pour lui, il y aurait peu d’œuvres concertantes… A
l’instar de Steinway à New York, c’est l’Amérique entière qui souhaitait
accueillir Berlioz, dont la renommée est très vite devenue universelle, bien
avant qu’il passe ad patres. Le Brésil,
l’Argentine, l’Uruguay l’attendaient, mais il semblerait que les longues
traversées maritimes de son temps aient définitivement refroidi les velléités
d’Hector, patronyme qui pourtant aurait dû le prédisposer à pareille aventure…
Festival Berlioz de La Côte-Saint-André, Festival de l'Industrie 1844. Usine-pensionnat de Saint-Siméon-de-Bressieux. Photo : (c) Bruno Serrou
Quoi
qu’il en soit, Berlioz, qui rêvait pourtant bel et bien d’Amérique, d’autant
plus qu’il aurait pu y trouver de quoi satisfaire ses passions qui
l’enthousiasmaient depuis l’enfance, lui qui vivait au milieu des bois et des
champs du bas Dauphiné, alors qu’il était le premier-né d’un père médecin épris
de découvertes scientifiques et de surnaturel alors qu’il exerçait dans la
petite commune de La Côte-Saint-André, où son fils ne revint cependant jamais
après son départ à l’âge de dix-huit ans. Ainsi, Berlioz aurait-il pu exhausser
ses rêves de révolution industrielle et scientifique à l’ouest de
l’Atlantique-nord.
Festival Berlioz de La Côte-Saint-André, Festival de l'Industrie 1844. Usine-pensionnat de Saint-Siméon-de-Bressieux. Photo : (c) Bruno Serrou
Ce
que Berlioz n’a pu réaliser de son vivant, le festival qui porte son nom l’a
fait en consacrant son édition 2014, la sixième de son directeur artistique,
Bruno Messina, professeur d’ethnomusicologie au Conservatoire National
Supérieur de Musique et de Danse de Paris, à ce rêve d’Amérique, en mettant
dans le cadre du « Festival de l’Industrie » donné à l’authentique du
grand concert éponyme que Berlioz dirigea le 1er août 1844 dans le
cadre de l’Exposition universelle de Paris la création de Berlioz en regard des
musiques et des cultures venues du continent américain, interprétées par des
musiciens venus d’Argentine, du Brésil, du Chili et des Etats-Unis, notamment
de Louisiane, où la culture française est encore fortement ancrée avec la
tradition cajun.
Festival Berlioz de La Côte-Saint-André, Festival de l'Industrie 1844. Usine-pensionnat de Saint-Siméon-de-Bressieux. Photo : (c) Bruno Serrou
C’est
donc tout naturellement sur un site industriel que la grande soirée d’ouverture
de l’édition 2014 du Festival Berlioz a été organisée. Un véritable événement
pour le nord-Dauphiné, qui a attiré plus de cinq mille trois cents spectateurs
et réuni quelques sept cents cinquante musiciens, chanteurs solistes,
instrumentistes et choristes. Cet édifice classé Monument historique connu sous
le nom d’Usines-Pensionnats Girodon – dénomination due au fait qu’y travaillait
la soie et y vivait une centaine de jeunes-filles de la région dont les plus
jeunes avaient moins de douze ans sous l’autorité de religieuses - sis à
Saint-Siméon-de-Bressieux à une dizaine de kilomètres de La Côte-Saint-André, est
l’un des plus beaux sites industriels de l’Isère. Sa verrière de 1873 et sa
fine charpente métallique qui relie deux bâtiments construits avec un matériau
typique de la région, la terre crue banchée dite « en pisé » ont
accueilli hier une foule des grands jours, d’un côté comme de l’autre du vaste
praticable aménagé pour l’occasion, avec, sur les planches, près d’un millier
de musiciens constitués de deux orchestres, celui des Pays de Savoie et le
Symphonique de Mulhouse, de trois solistes (la soprano Elisabeth Croz, la
mezzo-soprano Amaya Dominguez et le baryton Sacha Michon) et de quelques six cents
cinquante choristes du Chœur Emelthée réunissant professionnels et amateurs
(les partitions étaient disponibles en ligne sur le site Internet du Festival
Berlioz), le tout dirigé par le chef et hautboïste Nicolas Chalvin, directeur
musical de l’Orchestre des Pays de Savoie. Au programme un concert imaginé par
Hector Berlioz en personne, qui aurait dû être donné dans le cadre de
l’Exposition Universelle de Paris en 1844, et rapporter un pactole à Berlioz,
si la préfecture n’avait interdit le bal qui devait suivre le concert… Si le
concert a bel et bien eu lieu, la suite, qui devait le plus rapporter, fut
annulée, suscitant la faillite de l’imprésario auquel s’était associé le
compositeur. Au programme, des œuvres de contemporains de Berlioz ou de ses
modèles, l’ouverture de la Vestale de
Spontini, une scène avec chœur et airs de danse extraite de l’Armide de Gluck, la prière du Moïse de Rossini, l’ouverture du Freischütz de Weber, la prière de la Muette d’Auber, un chœur de Charles VI d’Halévy, le final de la Symphonie n° 5 en ut mineur op. 67 de Beethoven, le chœur de la « bénédiction des
poignards » du quatrième acte des Huguenots
de Meyerbeer et l’Hymne à Bacchus d’Antigone
de Mendelssohn-Bartholdy. Le tout bien sûr mis en regard par Berlioz lui-même
de quelques-unes de ses propres partitions, la Marche au supplice de la Symphonie
fantastique op. 14a, l’Hymne à la France
op. 20/2 H. 97 sur des paroles d’Henri-Auguste Barbier créé le 1er
août 1844 dans le cadre du Festival de l’Industrie et l’Oraison funèbre et Apothéose de la Grande Symphonie funèbre et triomphale op. 15 H. 80, avant de conclure sur l’Hymne des Marseillais (la
Marseillaise) H. 51 dans la version
Berlioz de 1830/1848. Cette dernière a donné lieu à un ballet côté public
invité à qui étaient réservés plusieurs rangs de chaises - tandis que le gros
de l’assistance se tenait debout derrière des barrières de sécurité -, les uns
se levant aux premières sonneries de l’hymne national tandis que les autres
restaient assis, incitant les premiers à se rasseoir, alors que les seconds se
levaient. Du coup, Nicolas Chalvin a donné le départ d’une seconde salve de Marseillaise, la majorité des auditeurs
assis se levant soudain comme un seul homme. « Pourtant, rappelle Bruno
Messina, assistant à une exécution de l’hymne national dans sa version Berlioz,
le général De Gaulle en personne avait décrété que, s’agissant d’une œuvre destinée
au concert, il n’était pas question pour lui de se lever, a contrario des exécutions de l’original
de Rouget de l’Ile, pour fanfare ou orchestre d’harmonie, avec ou sans chœur. »
Festival Berlioz de La Côte-Saint-André, Festival de l'Industrie 1844. Usine-pensionnat de Saint-Siméon-de-Bressieux. Préparation de l'envol de Nicolas Chalvin en montgolfière, sous les yeux de Bruno Messina. Photo : (c) Bruno Serrou
Malgré
une acoustique peu flatteuse, les interprètes, rassemblés sur un double
praticable, le premier niveau réservé aux solistes et aux orchestres, le second,
au-dessus du premier au fond, pour les choristes, se sont donnés sans réserve
pour servir ces pages inégales orchestrées gros, s’imposant dans les pages les
mieux ciselées, comme les extraits des symphonies de Beethoven et de Berlioz, par
la maîtrise instrumentale, et l’étonnante homogénéité des chœurs de la part d’effectifs
d’origines disparates, les couleurs et l’intensité expressive sans jamais
saturer l’espace, même dans les morceaux les plus pompiers, qu’ils soient signés
Spontini, Halévy, Meyerbeer, Mendelssohn, et, surtout Berlioz (Hymne à la France, sur des vers aux
relents franchouillards, et Grande Symphonie
funèbre et triomphale). L’on a pu néanmoins apprécier la cohésion des
musiciens d’un orchestre constitué pourtant de deux ensembles venus de deux
régions séparées de quelques six-cents kilomètres, ceux du Symphonique de
Mulhouse ayant été préparés par leur directeur Patrick Davin, tandis que tous
étaient dirigés par le patron de la formation savoyarde, Nicolas Chalvin. Les
trois solistes, sans être des chanteurs puissants et totalement aguerris, ont réussi
à se détacher sans effort des masses chorales et instrumentales.
Festival Berlioz de La Côte-Saint-André, Festival de l'Industrie 1844. Usine-pensionnat de Saint-Siméon-de-Bressieux. L'envol de Nicolas Chalvin en montgolfière. Photo : (c) Bruno Serrou
Sitôt
le concert terminé, le public s’est dispersé dans le parc de l’Usine-pensionnat
pour assister à l’envol d’une montgolfière vieille de cent-cinquante ans sous la
vigilante attention d’un descendant de l’un des deux frères Montgolfier,
inventeurs de la montgolfière, qui a permis le premier vol humain, le 19
octobre 1783 faubourg Saint-Antoine à Paris avec Jean-François Pilâtre de
Rozier. Cette fois, c’est Nicolas Chalvin qui était à bord, accompagné d’un
pilote de montgolfière, ce qui en fait assurément le premier chef d’orchestre à
tenter l’aventure.
Festival Berlioz de La Côte-Saint-André, Festival de l'Industrie 1844. Usine-pensionnat de Saint-Siméon-de-Bressieux. Le bal. Photo : (c) Bruno Serrou
Une
fois la montgolfière disparue derrière la cime des arbres environnant la piste
d’envol, l’assistance s’est dispersée dans les divers cours de l’Usine-pensionnat,
les uns dans le musée industriel qui y est attaché, se bousculant notamment pour
s’engouffrer dans le petit train où se bousculaient davantage d’adultes que d’enfants,
toucher les vieilles bicyclettes, triporteurs, tracteurs à vapeur, machines-outils
et machines agricoles, les autres cherchant à se restaurer autour de menus campagnards.
Une fois rassasiés, la grande majorité des cinq mille spectateurs a participé à
un « bal américain » avec musiques cajuns de Louisiane amplifiée
façon night-club, avant d’assister à vingt-trois heures passées à un grand feu
d’artifice couronné par des fusées qui, rassemblées, ont dessiné le portrait d’Hector
Berlioz…
Bruno Serrou
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